Le 5 juin 2017 au matin l’Arabie Saoudite, Bahreïn, les Emirats Arabes Unis et l’Egypte (dans une moindre mesure) imposaient un embargo au petit émirat qatari. L’embargo s’accompagnait d’une rupture des lignes aériennes et navales entre ces états et le Qatar ainsi que le rappel des ambassadeurs en poste à Doha. Le royaume saoudien fermait également sa frontière terrestre avec le Qatar ; seul passage terrestre de l’émirat. Officiellement les 4 états à l’origine du blocus reprochent au Qatar son immixtion dans leur politique intérieure et étrangère et sa connivence avec l’Iran ainsi que son soutien à certains groupes terroristes. Le quartet a fourni une liste de 13 demandes pour la cessation du blocus notamment la fermeture de la chaîne AL-JAZEERA et de tous les médias que le Qatar finance, l’alignement de l’émirat sur les positions économiques sociales politiques et militaires du quartet.
Les forces géo-économiques en présence
Le Qatar a le PIB par habitant le plus élevé au monde en 2017 avec 124,927 $. La population du Qatar s’élève à un peu plus de 2 200000 habitants. En 2016 le Qatar se positionne comme le 4ème producteur de Gaz au Monde. L ‘Arabie saoudite avec un PIB de 55,263$ par habitant et une population de près de 33 millions de personnes est le deuxième producteur de pétrole au monde et ses exportations s’élèvent à 152 milliards de dollars d’exportation de combustible en 2015. Les EAU compte selon les sources officielles près de 9 157000 habitants en 2015. Son économie en plus de la rente du pétrole repose sur le tourisme et l’immobilier. Avec un PIB par habitant bien plus faible que ses alliés (46776 $) Bahreïn compte 1 300000 habitants. Une importante manne pétrolière et le solide soutien saoudien lui assurent une stabilité politico-économique. Le rapport de force qui s’est créé entre les différents acteurs est à la fois économique et médiatique. Le second étant utilisé pour provoquer une baisse des investissements chez l’adversaire et une détérioration de son image. L’image dans ce rapport de force est une véritable caution dans les investissements et opérations économiques en provenance de l’étranger ou vers l’étranger.
Objectifs du blocus
Les EAU et Bahreïn se sont alignés sur la stratégie saoudienne pour briser le rayonnement international de Doha. Des fondamentaux étaient visés s : sur le court terme le quartet a voulu écorner l’image et sur le long terme briser la manne gazière ainsi que les principales sources financières de Doha.
Une campagne médiatique a été mise en place en amont du Blocus. Des chaînes comme ALBAYNE ou ALARABIYA chaîne financée par l’Arabie Saoudite ont organisé de nombreux débats politiques et économiques pour « montrer l’influence nocive du Qatar dans la péninsule ». Les médias pro-saoudiens de Bahreïn ont accusé le Qatar de soutenir l’opposition à la famille royale. Les journaux du Qatar (ALSHARQ, ALRAYA) avec Al-Jazeera en tête ont mené une campagne de représailles en mettant en avant les exactions au Yémen. Les médias de part et d’autre ont tenté de salir les familles régnantes en faisant éclater des scandales de corruption afin de décourager les investissements dans les pays du Golfe.
Le quartet semble vouloir briser l’économie du Qatar sur le long terme en le coupant de sa manne gazière. Il demeure une nuance car le quartet ne pouvait sanctionner directement le domaine énergétique qatari car les EAU (et l’Egypte dans une moindre mesure) dépendent du gaz qatari. Le quartet va attaquer toutes les sources de revenus périphériques afin de saper la manne gazière. En effet pour stabiliser son économie le Qatar n’aura de choix que de s’appuyer sur la forte source de revenus que représente le gaz. L’augmentation de la production (une augmentation de près de 30% un mois après le blocus) fut utilisée pour combler les déficits dus au blocus dans les autres secteurs de l’économie. Pour le quartet les réserves du Qatar diminueraient plus vite que prévu et l’émirat n’aurait pas le temps de reconvertir son économie et serait asphyxié et obligé de céder aux revendications du quartet. La manne gazière alimente le fond d’investissement (QIA), bras financier de l’émirat. Ce dernier est une des cibles principales du quartet afin de couper les ressources financières du Qatar qui sont entre elles interdépendantes.
En outre, l’interdiction faite à Qatar Airways de survoler les territoires des pays du quartet rallonge la durée des vols de deux à trois heures en moyennes et prive la compagnie de plusieurs millions de voyageurs (saoudiens, émiratis). La situation empêche le développement du tourisme sur lequel misait fortement Doha pour son repositionnement économique. En effet selon la Qatar Tourism Authority l’émirat compte doubler son nombre de touristes en 2023 pour atteindre 6 millions de personnes.
Les adversaires du Qatar ont voulu saper la renommée financière du Qatar sur le terrain monétaire. Le média The Intercept appartenant au fondateur d’eBay s’est vu remettre par la plateforme Globalleaks des échanges entre l’ambassadeur émiratis et la banque luxembourgeoise Havilland proche du Prince héritier d’Abu Dabi. Ces échanges repris par le journal le Monde font apparaître que des manipulations financières illégales devaient provoquer une vente massive de la dette souveraine du Qatar par les détenteurs. Ces opérations auraient eu pour conséquence de faire chuter la valeur des titres sur le marché et d’attaquer à la fois l’économie du pays incapable de terminer la construction des infrastructures et de facto son image de solidité financière dans le but de lui rafler l’organisation de la Coupe du monde et de couper les investissements dans l’émirat.
En réponse le Qatar a accéléré et adapté sa stratégie de reconversion économique. Déjà depuis 2003 et la création du Qatar Investment Authority avec 320 milliards de dollars de réserve l’émirat mène une politique d’investissement de la manne gazière : développement de la chaîne Al-Jazeera, de la compagnie Qatar Airways par des acquisitions immobilières et de terres agricoles. Selon la banque africaine de développement le Qatar souhaitait réaliser des achats de terres agricoles en Afrique. Le Qatar a cherché à montrer mettre en avant ses capacités financières par le biais de sa vitrine sportive le PSG avec l’achat du joueur Neymar pour un montant de 220 millions d’euros. Cet achat a été effectué malgré le blocus et les restrictions financières qui en découlent pour assurer l’image d’un Qatar solide financièrement.
La fermeture de la frontière avec l’Arabie Saoudite a forcé le Qatar à réaliser des investissements colossaux dans le transport de marchandises qui doivent désormais transiter uniquement par les couloirs aériens. L’émirat a importé 14000 vaches pour être autosuffisant en lait. Le Qatar a développé ses capacités de fret pour se fournir en produits alimentaires en Iran et en Inde. Toutes ces opérations sont le fruit d’investissements provenant de la manne gazière et du fond d’investissement souverain (QIA) qui perd des ressources, autant dans ces capacités d’investissements que de fond de sûreté. Et cela semble être la volonté du Quartet qui a probablement conscience des capacités financières du Qatar et sait que le Blocus pourrait porter ses fruits sur le long terme et forcer l’émirat à une négociation. Mais à la vue de la situation de l’Arabie Saoudite et des difficultés financières de ses alliés il se pourrait que l’affaiblissement économique du Qatar coûte très cher aux saoudiens et à leurs alliés.
Un affrontement aux retombées négatives pour les deux parties
A l’aune du rapport de force le Qatar avec ses capacités de résilience et le soutien économique d’Etats comme la Turquie ou l’Iran a résisté à la tentative d’étranglement de son économie. L’émirat affiche en 2018 une croissance supérieure à celle de l’année précédente. Certains organismes soulignent que le blocus n’a eu pour effet que d’accélérer la conversion de l’économie qatarie. Néanmoins, les routes d’approvisionnement alternatives coûtant plus cher, le Qatar ne pourra vivre sous blocus économique pendant longtemps.
Le blocus contre le Qatar nuit à l’économie des pays de la zone. Le blocus se transforme en un pari de savoir qui sera le premier à céder économiquement et devra faire des concessions. L’Arabie saoudite chef de file du blocus apparaît fragilisée car la situation décourage les investissements. La baisse des prix du pétrole en 2014 a retardé le projet de diversification de l’économie souhaité par le royaume et a fragilisé son économie. Ainsi l’économie saoudienne s’est par le blocus privé du marché qatari représentant pour les entreprises du royaume plus de 330 millions de dollars.
Pour le Qatar son statut de « dominé » a pu être minimisé sur le court terme en s’appuyant de la manne gazière et sur son fond souverain mais le Qatar ne peut pas être considéré comme vainqueur de ce rapport de force économique. La diversité des achats dédiés à son image n’assurent pas au Qatar les revenus nécessaires au soutien d’une économie dépourvue sur le long terme de ses revenus énergétiques (investissement dans le club PSG qui reste plus une vitrine qu’un modèle de rentabilité) et affaiblie dans sa reconversion par les effets du blocus.
Vincent Grimaldi d’Esdra
Sources
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Enasri Nabil, « Malgré l’embargo le Qatar annonce une augmentation de 30% de sa production de gaz », 8 juillet 2017, (consulté le 05/10/2018). Disponible sur : www.observatoire-qatar.com/actualites-du-qatar/item/801-malgre-l-embargo-le-qatar-annonce-une-augmentation-de-30-de-sa-production-de-gaz
Saïd Nazeeha, « Les médias du Golfe enrégimentés contre leurs voisins »OrientXXI, 27/02/2018, Disponible sur : https://orientxxi.info/magazine/les-medias-du-golfe-enregimentes-contre-leurs-voisins,2292. Se fonde sur www.al-sharq.com/news/details/509738 : « Les chambres de la mort, une preuve de la barbarie de Manama » et sur : « http://www.raya.com/news/pages/35468151-f589-4f25-ac79-c128dd2330ce : « Bahreïn, le ministre de l’intérieur accusé de torture sur les détenus »