Montagne d'Or" en Guyane : Un conflit instrumentalisé à des fins politiques ?


 

En août 2015, Emmanuel Macron – alors ministre de l’Economie et de l’Industrie – était déjà favorable au Projet « Montagne d’Or » en Guyane. La compagnie minière, maître d’ouvrage détenu par les multinationales Nordgold (Russe) et Colombus Gold (Canadienne), prévoit en effet d’extraire près de 80 tonnes d’or en près de 12 ans et ce à partir de 2022. Pour mettre en perspective la grandeur de ce projet, il peut être intéressant de le comparer aux réserves de pays comme la France (4ème - 2436 tonnes) et la Russie (5ème  - 1857 tonnes) ou de regarder que d’après le rapport du Conseil Mondial de l’Or (CMO) de 2017, il n’y a que 40 pays dans le monde qui possèdent plus de 80 tonnes d’Or. Or, dans le département d’outre-mer français en proie à un taux de chômage très élevé (22% en 2017 dont 44% sur les 15-24 ans), la décision d’investissement ne fait pas l’unanimité. Pour cette raison, un grand débat public organisé par la CNDP (Commission Nationale du Débat Public) et soutenu par WWF France a eu lieu du 7 Mars au 7 Juillet pour déterminer les avantages et les inconvénients d’un tel projet. 
 

Une catastrophe environnementale ?


Au travers de sa campagne de communication, WWF France parle d’une menace exceptionnelle et d’un impact désastreux pour l’écosystème guyanais. D’un autre côté, la Compagnie Montagne d’Or (CMO) et son président Pierre Paris mettent en avant plusieurs points majeurs : 
 

  • Les zones exploitées seront replantées d’essences locales.
  • Une aide va être assurée à l’Office National des Forêts pour replanter des arbres dans les zones dégradées.
  • Une participation de la compagnie va être assurée sur des recherches scientifiques pour améliorer la biodiversité en Guyane.
  • La moitié du site de 8km² est déjà défrichée.


Sur l’aspect de la technique d’extraction, WWF France s’inquiète des milliers de tonnes de cyanures qui seront nécessaires durant les 12 années de projet. Or, le cyanure – contrairement au mercure qui est interdit en Guyane (car il contamine l’environnement pour toujours) – « est déjà présent dans l’environnement et s’altère très rapidement » fait valoir Pierre Paris. Par ailleurs, la société compte recycler un maximum de de cyanure, mais  « une petite partie» se retrouvera dans les résidus miniers, qui seront oxydés pour en éliminer le cyanure. Ceci permettra d'être « très largement sous la norme française, elle-même cinq fois inférieure à la norme internationale ». 
 

Un levier économique ?


Depuis plusieurs mois, une bataille de chiffres a lieu entre les défenseurs et les opposants du projet Montagne d’Or (sur des points comme les subventions étatiques, la valeur actualisée nette (VAN) et le taux de rentabilité interne (TRI)) pour calculer la rentabilité de l’investissement. N’étant pas le but premier de cet article, nous ne parlerons pas en détails de cette analyse (pour cela, voir Analyse de la WWF France : « La Montagne d’Or, un mirage économique ? »). Au-delà de ces chiffres, le 18 Juin 2018, lors du dernier débat public organisé, le maire de Saint-Laurent-du-Maroni [commune la plus proche du futur site minier] s’est exprimé pour exprimer son soutien au projet « Je ne vois pas simplement une mine avec un trou béant sur une partie de la planète, je vois surtout un levier économique […]. 

75 % des jeunes de Saint-Laurent sont sans diplôme. Plus de 50 % de la jeunesse est sans emploi. Le choix pour moi est vite fait. Il n’y a pas d’alternatives. ». Le 4 Juillet 2018, Mediapart a publié un article mettant en avant un autre point sur ce sujet brûlant de la Montagne d’Or : il s’agit de la montée en compétences des employés locaux. Outre la création de 500 à 700 emplois, Pierre Paris argumente sur la formation et la montée en compétences de de ses employés dont il assure que près de 90% seront guyanais. Le 3 Avril 2018, il expliquait alors que compte tenu de la durée du projet s’étalant à 12 ans « Le personnel sera formé pour occuper des emplois, mais il sera aussi formé au fur et à mesure de l’exploitation pour pouvoir travailler soit sur d’autres projets miniers, soit dans d’autres industries ». 

La CMO a même créé - avec l’aide des élus - une nouvelle licence professionnelle à l’université de Guyane intitulée « Métiers des ressources naturelles et de la forêt ». De cette manière, la multinationale accompagnera un développement économique à long terme répondant directement aux besoins de la population sur place. Il semble alors important de considérer qu’en dix ans, le nombre de demandeurs d’emploi en Guyane a été multiplié par deux (avec un taux de chômage d’environ 20 %). Dans l’ouest, vers Saint-Laurent-du-Maroni, le taux de chômage monte à 35 % et Pôle emploi dénombre plus de 6 000 demandeurs d’emploi dans la région (58 000 demandeurs d’emploi sur la Guyane entière). 
 

Un conflit instrumentalisé à des fins politiques ?


Les acteurs (ONG, associations, Etat français, entreprises, élus métropolitains, élus locaux, autochtones etc.), qu’ils soient en défense ou en défaveur du projet Montagne d’Or, sont nombreux. Si l’on passera sur la pertinence de certaines associations (« Trop Violans », « 500 Frères » ...) de manifester leurs désaccords en étant cagoulées [interdit depuis 2009 en France] avec pour fin de lutter contre la misère et la violence en Guyane et pour moyen de freiner le développement économique de la Guyane, d’autres acteurs semblent instrumentaliser le conflit avec des objectifs plus honorables. Le 23 Février 2017, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) a mis en ligne une étude ayant pour sujet « la Place Des Peuples Autochtones Dans Les Territoires Ultramarins Français : La Situation Des Kanak De Nouvelle-Calédonie Et Des Amérindiens De Guyane ». 

Dans cette étude, il est par exemple expliqué que les violations des droits fondamentaux des Amérindiens de Guyane sont multiples. En effet, l’effectivité de bon nombre de leurs droits civils et politiques, économiques, sociaux et culturels n’est pas assurée, et ce, même après plus de trente années de mouvement amérindien. A travers son dossier, la CNCDH souligne que la difficulté d’accès aux droits n’est pas de la même intensité pour tous les Amérindiens de Guyane. En effet, il existe sur le territoire guyanais une fracture entre deux zones : 
 

  • Celle du littoral, au mode de vie moderne.
  • Celle de l’intérieur, qui est une zone très peu urbanisée, au sein de laquelle l’accès aux services primaires (eau potable, électricité, soins primaires, scolarisation) et aux services régaliens inhérents à un Etat de droit n’est pas pleinement assuré.


Le mal être est multifactoriel et touche principalement les jeunes autochtones qui connaissent un sentiment de désœuvrement, un fort taux d’alcoolisme, une addiction aux drogues, un fort taux de suicides [le taux de suicide des Amérindiens de l’intérieur est 17 fois plus élevé que celui des régions métropolitaines] et un sentiment général d’être abandonné par l’état Français. Leurs principales revendications s’articulent aujourd’hui autour de la reconnaissance par l’Etat de leur qualité de « peuples autochtones », titulaires de « droits ancestraux à la propriété de leurs territoires », ainsi que celle de leur « droit de conserver leurs langues et leurs cultures et de développer leurs institutions ». 

Malgré les promesses politiques, les résultats ne sont pas là et il est difficile de se faire entendre quand l’on possède un faible capacité d’influence. Cette montée de la puissance politique des peuples autochtones est bloquée par des questions d’ordre pratique (qui limitent l’exercice du droit de vote) liés à l’enclavement de ces mêmes populations. Ne serait-ce que pour participer à des élections municipales, plusieurs heures de trajet par voie terrestre ou fluviale peuvent être nécessaires. Finalement, quand sur France24, le 18 Juillet 2018, Christophe Pierre (porte-parole de « Jeunesses Autochtones de Guyane ») se dit prêt avec son collectif à stopper le projet physiquement, il serait légitime de se poser la question suivante :  Serait-ce une forme de révolte ayant pour but de créer une nouvelle zone de non droit [ZAD numéro 2 ?] ou tout simplement un message [politique] essayant de convaincre sur le fait que les autochtones ne se battent pas uniquement pour eux mais aussi pour la Guyane et l’ensemble du peuple guyanais ? 

 

Carlson Jeanneau