La recherche pharmaceutique confrontée à une guerre à l’accès aux données de patients
Au cours des quinze dernières années l’espérance de vie de l’homme à travers le monde a le plus augmentée, une première depuis 1960. La normalisation des règles d’hygiène, l’amélioration des services de soins, mais surtout l’accessibilité aux médicaments ont permis cette avancée pour l’humanité. L’avancée de la médecine repousse de plus en plus loin les besoins thérapeutiques, ainsi les professionnels de la santé n’ont plus l’aspiration de soigner les symptômes pathologiques, mais bien de guérir - de l’étymologie garir « rendre la santé » - définitivement les malades, et plus particulièrement les malades chroniques. L’exemple le plus médiatique reste le cas du sofosbuvir, plus connu sous son nom commercial, Solvadi. Ce traitement commercialisé par le laboratoire Gilead permet la rémission complète des patients atteints d’hépatite C. Cette course à l’innovation a bien évidemment des enjeux considérables, à la fois de nature sanitaire, économique, et ausi en termes de stratégie d’influence. Imaginez un instant, un groupe, une entreprise, un conglomérat capable d’avoir le monopole sur la santé, voire la vie d’un groupe de personne. A ce titre, Médecin du Monde, mais également un ensemble d’organisations non gouvernementales ont tenté de s’opposer à la protection intellectuelle de Solvadi auprès de l’office européen des brevets. Le champ de la santé et plus précisément celui de la pharmacie, est devenu le théâtre de dissensions, d’offensives et de conquêtes, à la recherche du « saint Graal » thérapeutique. Outre, l’investissement croissant en recherche et développement pour atteindre 150 milliards de dollars en 2015, les processus de recherches restent néanmoins longs, coûteux et fastidieux.
Le durcissement des rapports de force
Le Leem (organisation professionnelle des entreprises du médicament en France), estime qu’il est nécessaire d’étudier 10.000 molécules, les sélectionner, et dépenser environ 1 milliard d’euro pour arriver à 1 seule molécule pouvant bénéficier au patient après 10 ans d’investigation (Annexe 2). La balance coûts / bénéfices étant aussi appliquée au domaine pharmaceutique, un besoin de retour sur investissement s’est fait ressentir sur les équipes de R&D[1]. Progressivement l’externalisation de la chaine de valeur, et le poids des fusions et acquisitions ont pris le dessus sur les principes de recherche conventionnelle. Les exemples d’affrontements financiers à grands coups de millions de manquent pas, l’un des plus inouï est bien la dispute entre Sanofi et Pfizer pour le rachat de la biotech Medivation. Dans cette affaire, les rebondissements ont été nombreux : offre, contre-offre, tentative de destitution du conseil d’administration, mise en concurrence ; tout cela pour finalement arriver à une valorisation de 14 milliards de dollars. A cette stratégie frontale, parfois destructrice dans la mesure où prix ne fait pas la valeur, une autre stratégie plus discrète à vue le jour. A l’image du film Duplicity, où sur fond d’escroquerie romanesque, deux anciens agents du MI6 et de la CIA travaillent pour deux multinationales pharmaceutiques concurrentes ; bien qu’une histoire similaire ait eu lieu en 2017 aux USA, la pharmacie en dehors du septième art, est réellement l’espace d’impostures, de contre-vérités et de tromperies. Non seulement par essence même de cette discipline basée sur l’innovation, qui ne devrait être ni partagée, ni vendue[2], mais bien parce que la plus-value d’un groupe pharmaceutique réside dans sa capacité à formaliser l’information et la connaissance, afin de créer un capital technologique (un brevet) et de la valeur ajoutée. Entre faux espions et vrais secrets, l’histoire nous rappelle l’affaire de prétendus cas d’espionnage à l’encontre du laboratoire Eli Lilly, ou encore l’affaire de cyber-espionnage au détriment du groupe britannique GSK. Mais s’agissant de santé, et donc de morale et d’éthique, les tactiques économiques sont de fait soumises à un jugement particulièrement sévère de la part de l’opinion publique.
Une course aux données de patients
En 1990, avec l’émergence de nouvelles disciplines telles que le séquençage du génome humain, la bio-informatique, la médecine moléculaire, cette vague technologique a également entraîné la naissance d’un intérêt commun et du besoin de partage des connaissances[3]. il suffit que l’ensemble des acteurs partagent leurs données, et mutualisent leurs connaissances afin de faciliter l’innovation. Cette initiative appuyée par de nombreuses organisations, à la fois l’EFPIA[4] ou encore l’ PhRMA[5], IFPMA[6], JPMA[7] mais également plus de quarante groupes pharmaceutiques est une première dans le concept de concurrence. Etant donnée la quantité d’informations que peuvent collecter les laboratoires au cours de leurs années d’investigations, le partage permettra de fait la réduction des cycles de recherche et une augmentation du retour sur investissement. Bien que cette démarche soit louable, elle ne bénéficie qu’aux acteurs les plus importants, et exclut les sociétés plus modestes, qui souvent sont productrices de ruptures technologiques, à l’image de GNS Healthcare, ou encore Cellectis, mais qui sont en manque de ressources économiques.
Bien que la convergence des intérêts concernant les données de recherche clinique soit clairement codifiée, statuée, et ratifiée. L’importance stratégique des données de patients, qui permettent d’ajuster les traitements, connaitre les mutations génétiques des patients et d’éventuelles corrélation avec les résultats thérapeutiques. L’accès aux données médicales/ biologiques des patients permettrait de catalyser la recherche clinique. A ce titre, en avril 2018, le leader mondial des données de patients atteints de cancer, l’américain Flatiron Health qui est aussi spécialisé dans la collecte électronique de données de patients, fut l’objet d’une acquisition par le Laboratoire Roche pour la somme de 1.9 milliards USD. Les exemples de ce genre ne manquent pas. Citons le cas de la société Cota healthcare, ou encore de Tempus, qui confirmerait la place centrale des données de santés, mais aussi le double jeu des laboratoires pharmaceutiques. En outre, nous pouvons nous questionner sur l’inspiration et la sincérité de l’open-data innovation, celui-ci ne serait-il finalement pas un moyen de mesurer les compétences de ses adversaires, de juguler une forme de tension soumise par les états sur les prix des thérapies ; tout en conservant le champ de la lutte financière. L’année 2018 devrait être, d’après le cabinet Ernst & Young, une nouvelle année record pour les fusions et acquisitions dans le secteur de la santé, et dépasser les 200 milliards de capitaux échangés, soit plus que les budgets de recherche et développement.
Ahmed Graouch
[1] https://www.sla.org/wp-content/uploads/2015/06/1546_ProductivityBiopharmaIndustry-DiMasi.pdf
[2] Mascarenhas, B, Baveja, A and Mamnoon, J (1998). Dynamics of Core Competencies in Leading Multinational Companies. California Management Review 40(4): 117–132
[3] Smith, D and Carrano, A (1996). International large-scale sequencing meeting. Human Genome News 7(6):
[4] European Federation of Pharmaceutical Industries and Association
[5] Pharmaceutical Research and Manufacturers of America.
[6] International Federation of Pharmaceutical Manufacturers and Associations
[7] Japan Pharmaceutical Manufacturers Association