Dans le contexte de la coupe du monde de football de juin/juillet 2018 en Russie, plusieurs intrigues viennent ternir un évènement à vocation humaniste rassemblant les nations autour de l’esprit sportif et Coubertin. Tout d’abord le cas de l’empoisonnement supposé de l’ancien espion Sergei Skripal et de sa fille Yulia. Le 4 mars 2018, l’ancien membre des renseignements russes ayant collaboré avec les services britanniques du MI6, aurait fait un malaise au centre de Salisbury. Les éléments médiatiques, ainsi que prises de positions officielles sont sans ambigüités : Sergei et Yulia Skripal ont étaient empoisonnés par les services secrets russes.
La tentative d'élimination physique comme arme de guerre psychologique
Cette affaire nous semble d’autant plus réelle, et la partie présumée responsable d’autant plus coupable, que l’histoire nous rappelle non seulement les parapluies bulgares ; mais également l’empoisonnement de l’ancien espion Alexander Litvinenko le 1ier Novembre 2006. Les salves médiatiques continueront sans cesse, malgré les élections présidentielles en Russie le 18 mars 2018. Comme le veut l’usage diplomatique de la bilatéralité et la symétrie, à l’expulsion de personnels étranger la contrepartie procède au même nombre d’expulsions. En solidarité avec la Grande-Bretagne, plusieurs pays européens ont expulsé des diplomates russes. Cela a entraîné un ballet d’expulsions depuis et vers la Russie depuis mars 2018.
Actuellement, les vies de Sergei et Yulia Skripal sont hors de danger, néanmoins les investigations sont en cours, et sous la supervision de l’OIAC (l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques). Cette affaire soulève cependant un certain nombre de questions, tels que le refus de collaboration bilatérale de la part de la Grande-Bretagne avec la Russie. IL est difficile de repousser l’intérêt de la partie russe à propos d’une telle tentative de meurtre sur une personne arrêtée, jugée conforment à l’article 275 du code criminel russe[1] et condamné pour haute trahison à 15 ans de prison. S’ajoute à cette remarque l’interrogation sur la temporalité d’une telle attaque alors que la Russie semble vouloir se rapprocher de l’Occident.
Les mauvaises manœuvres du camp occidental
Plus récemment, l’intriguant cas du journaliste Arkadi Babtchenko, présumé assassiné le 29 mai 2018. Babtchenko était ancien reporter au sein du très sérieux journal Novaya Gazeta, réputé pour être un journal d’opposition au Kremlin et à Vladimir Poutine. Il dénonçait régulièrement la corruption et les dérives du pouvoir oligarchique. Au même titre que sa défunte consœur Anna Politkovskaya, assassinée en octobre 2006, Arkadi Babtchenko aurait était assassiné le 29 mai 2018 à Kiev en Ukraine selon Radio Free Europe.
Dans un premier temps, cet assassinat a été présenté comme une tentative du gouvernement russe d’éliminer un opposant, mais c’était sans compter sur la réapparition miraculeuse du journaliste le 30 mai 2018. En effet, ce dernier a bien mis en scène son propre assassinat présumé avec l’aide des services ukrainien (SBU[2]). Outre le fait qu’il ait eu une manipulation pour le moins inhabituelle, la version officielle soulignait la nécessité de tendre un piège aux services secrets russe qui auraient voulu éliminer Arkadi Babtchenko.
Que les motifs avancés de cette manipulation médiatique soient réels ou pas, la méthode a été décriée par l’ensemble de la profession journalistique. A l’évidence, elle entache la crédibilité des protagonistes. Ces deux affaires en l’espace de trois mois posent de sérieuses questions au sujet du droit à l’information. Ce droit est défini par la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes en 1971, appelé aussi Charte de Munich.
Le manque de transparence de l’information, ou encore l’aveu éhonté du mensonge et de la manipulation ouvre une voie au pouvoir russe pour souligner ces points faibles tel que rapporté dans le Monde : « Babtchenko poursuit une série de résurrections miraculeuses et nombreuses ces derniers temps, d’abord les enfants prétendument empoisonnés avec du chlore en Syrie (…), puis les Skripal à Salisbury… ».
Les attaques informationnelles ne font d’ailleurs que conforter l’opinion publique russe dans une stratégie de la tension, et positionne de fait la Russie dans un état cognitif de défense. L’inconscient russe reste meurtri, humilié, pressuré par les faits historiques dont les plus importants sont :
- La non reconnaissance du sacrifice russe durant la seconde guerre mondiale, et la participation à la libération de l’Europe
- L’élargissement de l’OTAN aux anciens pays de l’Union Soviétique, et l’encerclement de la Russie fédérale.
- La guerre de Yougoslavie, et l’atteinte à la Serbie (pays allié).
- La reconnaissance unilatérale de l’indépendance du Kosovo.
- La disposition du bouclier anti-missile américain en Europe.
- Les guerres successives au Proche-Orient dans les zones d’influences Russe (Irak I, Irak II, Libye, Syrie) et la négation de la victoire russe en Syrie.
Cet ensemble de faits alimente la méfiance et la suspicion qui est renforcée par les investigations relatives à l’ingérence russe dans l’élection du président des Etats-Unis, par la mise en garde du secrétaire d’Etat Tillerson à l‘encontre des autorités russes en cas d’interférence dans les élections au Mexique. Plus récemment la série télévisé Occupied diffusée sur la chaine ARTE imagine une occupation de la Norvège par la Russie. La réalité dépassant la fiction, la Suède a fait publier et distribuer un livret sur Comment se préparer à la guerre, tout cela dans un contexte de tension avec la Russie. Cette suite d’informations, et d’intoxications, ne font finalement qu’encourager le pouvoir russe dans sa position de victime, et décrédibilise de fait toute information négative. Cette tension inconsciente permet au pouvoir de faire oublier ses promesses, mais également permet d’expliquer tout manquement ou toute dérive.
Ahmed Graouch
[1] Loi fédérale 64-Fz adoptée le 13 juin 1996 par la Douma, Chapitre 29 - Crimes contre les fondements du système constitutionnel et de la sécurité de l'État
[2] Sluzhba Bezpeky Ukrayiny ( Служба Безпеки України ) Service de Sécurité Ukrainien