Voiture autonome : vampirisation annoncée du secteur automobile par le monde du logiciel

La voiture autonome était un non sujet il y a à peine 10 ans. Elle est devenue en un laps de temps négligeable un enjeu stratégique pour les constructeurs automobiles les acteurs de la technologie et mêmes les États tel qu’en témoigne le récent rapport Villani

L'autopilotage, un concept ancien


Avant l’automobile, le pilotage automatique a très tôt été adoptée dans le monde de l’aéronautique pour réduire le taux d’accidents dans le transport aérien, la majorité des accidents étant alors dues à des erreurs humaines. L’idée de décliner les technologies d’auto-pilotage dans le monde automobile est largement antérieure à l’engouement qu’on connait aujourd’hui. Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser, son adoption ne se heurtait pas à des problèmes techniques – les étagères de Toyota, Nissan et Bosch regorgeaient de technologies d’autopilotage depuis les années 1990 – mais à l’acceptation du concept par la société civile. L’argument principal avancé par les détracteurs du véhicule autonome a de tout temps été celui de la sécurité; argument quelque peu étrange quand on sait que l’introduction de l’auto-pilotage dans l’aéronautique a considérablement réduit de taux d’accidents. Il a fallu attendre 2010 et l’intervention du géant américain Google, pour que les populations commencent à se faire à l’idée de voir des voitures sans conducteur dans notre paysage urbain. 

Le nouvel entrant Google


En octobre 2010, Google annonce avoir réussi à concevoir une voiture autonome pour être officiellement exploitée dans le cadre de son service de cartographie StreetView. La firme américaine affirme que son prototype a parcouru près de 140 000 miles. L’information est reprise par différents médias de renom, analysée et décortiquée, et se met à résonner. On peut s’en rendre compte en analysant l’évolution des requêtes Google pour le terme self driving cars. Avant cette date, le concept de voiture autonome n’intéressait pas grand monde. Un pic d’intérêt accompagne l’annonce de Google. Il s’en suit un intérêt exponentiellement croissant et une vraie tendance sociétale d’adoption du concept au point de façonner les politiques publiques d’innovation (fc. rapport Villani). 

Après le premier coup d’essai, Google n’a pas attendu la fin de l’évangélisation de la société civile pour préparer le terrain juridique. Dès mai 2011, les lobbyistes de Google sont intervenus auprès des autorités du Nevada, pour autoriser les tests grandeurs nature de cette nouvelle technologie. Et le rythme des actions de lobbying dans ce sens n’a eu de cesse d’augmenter au point que la compagnie de MontainView s’offre en 2017 tout le cabinet de lobbying Holland & Knight pour faire face à l’incertitude induite par la nouvelle administration américaine. Indéniablement, la voiture autonome tient à cœur aux dirigeant de Google. Pourquoi tant d’effort ? Google s’apprête-il à devenir un constructeur automobile ? Pourquoi une firme du monde immatériel se hasarderait-elle à faire du business dans le monde matériel largement moins rentable, plus risqué et tres capital intensif ? 

Le nouvel intérêt des constructeurs automobiles


A partir de 2015, le rythme des innovations technologiques propres à Google diminue et le flambeau a été repris depuis par les constructeurs et équipementiers automobiles historiques qui sont redevenus en 2017 les premiers déposants de brevets dans le domaine. 

 

Si l’on s’accorde sur le fait que les dirigeants de MontainView agissent en bonne intelligence, qu’ils n’avaient aucunement l’intention de créer un nouveau constructeur automobile, aventure trop hasardeuse comme on a évoqué précédemment, seule l’explication du recul intentionnel de Google au profit des constructeurs devient logique. 

L'enjeu du commerce des données


Le comportement de Google dans cette affaire semble à première vue incohérent. Il n’en est rien. Pour comprendre les enjeux derrière cette affaire, il faut dépasser la ^roblématique de la sécurité. Avec un véhicule entièrement autonome, il devient possible de ne plus tenir le volant, de ne plus être concentré sur la route ; la voiture devient alors un espace de vie et de consommation. Elle ouvre la voie au monde de l’infotainment. Google est avant tout une régie publicitaire. Son business model est fondé sur le développement des Data analytics permettant à partir de données de navigation, et plus récemment de positionnement, d’analyse d’image, de profiler ses utilisateurs et donc de monnayer ces profils aux annonceurs publicitaires. De plus en plus de modèles hauts de Gamme sont de nos jours équipés du système Android Auto. 

Les voitures autonomes constitueraient alors un nouveau relai de croissance pour la firme de MontainView après 10 ans de stratégie dans le mobile, un marché quasi saturé ou plus rien de fondamentalement passionnant ne se passe aujourd’hui comme ci-bien expliqué par Motorola. L’entrée de Google dans le monde du mobile lui a permis un accès à des données d’utilisateurs qu’il ne pouvait jusque-là pas recouper avec les requêtes de recherche. De la même façon, en s’imposant dans tous les habitacles des futurs voitures autonomes, Google aura accès à encore plus d’informations pour plus d’analytics et plus de ciblage au grand bonheur des annonceurs. Contrairement au mobile, ou Google n’a fait que réagir à Apple avec 3 ans en retard, dans le cas des voitures autonomes, c’est Google qui a pris le leadership des systèmes d’exploitations d’infotainment

Avec le Smartphone, plusieurs grands noms de la téléphonie mobile qui ont raté le cap d’Android ont disparu ou presque comme Nokia, Motorola, ou encore plus récemment Black Berry. Conscients de ce risque, quasiment tous les constructeurs proposent déjà sur leurs modèles hauts de gamme une station d’infotainment à base d’Android Auto. L’avènement du véhicule autonome sert avant tout à maximiser le temps de cerveau disponible pour consommer de la data. 

 

Alain Clémenti