Le patriotisme économique, une histoire russe
A l’image du charismatique ancien patron du KGB, Youri Andropov[i], qui fut à l’origine de la perestroïka, le pouvoir russe - bien avant l’arrivée de Vladimir Putin en 2000 - s’empresse de reformer l’économie nationale. La privatisation massive donnera naissance à des groupes internationaux, mais aussi à une nouvelle génération d’hommes de pouvoir, les « siloviki ». En effet, « Sila », en russe signifie force, et de fait « siloviki[ii]» peut être traduit par les ministères de forces, ou, les hommes forts (usant de violences). L’ingérence du pouvoir dans les cercles économiques aura un double résultat, premièrement, enrichir une garde prétorienne, mais également protéger les secteurs sensibles d’un investissement étranger massif, et d’une littérale conquête de l’Est.
Cadre législatif du renseignement économique en république Fédérale de Russie
Adoptée en février 1995, la loi fédérale n°40-fz, sur les organes de sécurité de la Fédération de Russie, notamment l’article 15 de cette même loi, permet aux serviteurs des organes de renseignement principalement KGB (jusqu’avril 1995 puis FSB) GRU, SVR, MVD, d’œuvrer au sein d’organisations économiques, société d’états, privées (nationales ou étrangères). Ces Hommes d’états et de renseignement, officiellement infiltrés au sein des entreprises, et d’organisations économiques deviennent à la fois relais, et sources d’informations dans le but de la protection des intérêts économiques Russes. A l’image, de l’évolution de l’écusson du KGB – Glaive et bouclier – le FSB (Bouclier et glaive) est synonyme de la position cognitive des services de renseignements Russe, à savoir, la protection avant tout. La fin de l’ancien KGB a été comparée à la naissance d’une hydre à quatre têtes.[iii] (voir Annexe)
En Russie, tout comme dans une majorité de nation, une liste de secteurs stratégiques est établie par le pouvoir politique afin de protéger ces derniers. La loi fédérale n°40 est particulièrement restrictive vis-à-vis des investissements étrangers, pour tout acquisition de plus de 25 % du capital d’une entreprise d’un secteur stratégique, par un acteur étranger, il faut obtenir au préalable l’autorisation d’une commission à laquelle siègent des représentants du ministère du Commerce et de l’Économie, mais également des membres, particulièrement influents au sein de cette commission, du FSB (services de sécurité intérieure).
A ce dispositif s’ajoute la loi fédérale no 128-fz qui prévoit 105 activités régies par ces conditions. Le 25 décembre 2008, la Russie publiait la liste de 295 entreprises stratégiques. Il s’agit des sociétés qui bénéficient de l’aide de l’État pour affronter la crise. Au départ, le premier ministre Vladimir Poutine envisageait une liste de 1 500 entreprises « vitales » pour son pays. Finalement, ce nombre a été divisé par six. On y trouve les géants de l’énergie (Gazprom, Rosneft, Loukoïl,), de la métallurgie (Norilsk Nickel, Rusal), mais aussi des médias (Première Chaîne, Russia Today).
Cet arsenal juridique c’est renforcé depuis 2014 et les enjeux politiques en Crimée, en effet, le 21 juillet 2014 et l’adoption de la loi fédérale 242-fz relative à la protection des données personnelles de citoyens russes, obligeant toutes sociétés ayant manipulé ou ayant accès aux données personnelles de citoyens russes à les héberger physiquement en Russie. Aussi, l’adoption du décret 1236, effectif depuis le 1ier janvier 2016, interdit aux organisations gouvernementales russes d’acquérir tout logiciel informatique développé par des sociétés non russes et non validées par l’organisme d’état responsable des nouvelles technologies, et des télécommunications ; le ROSKOMNADZOR[iv].
Enfin, tout comme le Patriot act des USA, la Fédération de Russie a adopté les lois fédérales 374-fz et 375-fz en juillet 2016, (applicable des le premier juillet 2018). Ces lois sont également connues sous le nom de lois Yarovaya [v]. Les lois Yarovaya, regroupent un ensemble de mesures de lutte contre le terrorisme. En outre, elles permettent aux fournisseurs d’accès internet russes de garder l’ensemble des données électroniques et téléphoniques échangées via leurs réseaux pour une durée de six mois.
Par ailleurs nous avons pu assister aux dérives des systèmes de surveillance Echellon, ou du Patriot act,[vi] qui sous couvert de sécurité, ont largement contribués à la guerre économique ; nous pouvons anticiper une même utilisation économique des lois Yarovaya. Concentrer le renseignement politique, diplomatique et militaire, et réorienter leurs priorités vers le champ économique, créer une sainte trinité économie-renseignement-politique, peut être considérer comme la deuxième vocation des lois Yarovaya.
Organisation structurelle des services russes de renseignement
Les services de renseignements contemporains, (après l’arrivé au pouvoir du directeur du FSB (ex-KGB) Vladimir Putin) sont principalement organisés en quatre divisions :
- FSB (Федеральная служба безопасности Российской Федерации (ФСБ), Federal'naya sluzhba bezopasnosti Rossiyskoy Federatsii - Service de sécurité fédéral de la Fédération de Russie
- GRU( Главное разведывательное управление Glavnoye Razvedyvatel'noye Upravleniye) (ГРУ ) Agence principale de renseignement
- SVR Слу́жба вне́шней разве́дки, Sluzhba vneshney razvedki, (СВР) Service de renseignement extérieur de la Fédération de Russie
- MVD (Министерство внутренних дел (МВД) tr. Ministerstvo Vnutrennikh Del Ministère de l’intérieur
Chacun de ces départements a dans l’histoire contemporaine des exemples d’activités relatives au renseignement économique, le SVR avec l’affaire Anna Chapman ou encore le GRU avec son implication dans la captation d'informations technologiques sur le territoire américain. Ces services de renseignements ont des activités très diverses, parfois se chevauchent, ou sont antagonistes. Ce tableau récapitulatif permet d’avoir une vision synthétique des activités des services de renseignements[vii].
Un ensemble de services de renseignements, en compétition cognitive, nécessite une chaîne décisionnelle afin d’éviter une guérilla inter-services. A l’image du politburo, l’ensemble des services de sécurité sont rassemblés au sein du conseil de sécurité[viii] de la Fédération de Russie, sous l’autorité directe du président de la république. Ce conseil traite à la fois de la sécurité au sens régalien, mais également de la sécurité économique et des intérêts des groupes nationaux, et accessoirement, des relais économiques et médiatiques de la position politique russe. (Exemple Russia Today). La démonstration de la connivence entre renseignement, économie et défense, ne fait plus de doute, il serait intéressant de définir l’organisation du renseignement économique au sein de chaque « tête d’hydre » FSB, SVR, MVD, GRU.
A ce premier cercle officiel, il serait également nécessaire d’étudier, la « garde prétorienne » économique du Kremlin, notamment les responsables des groupes –premier à avoir une appétence pour les acquisitions financières aux intérêts du Kremlin, par exemple, Abramovitch, Potanin, Kovalchuk, Usmanov, Prohkorov, Mamut, Berezkin. Ainsi une anticipation de la menace russe serait plus efficace, comme le dis Sun Tzu « Le soldat expérimenté avance seulement quand il est sûr de sa direction »
Ahmed Graouch
[i] https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-roman-des-espions/iouri-andropov-l-homme-puissant_1765423.html
[ii] Le Vine 2009,; Soldatov and Borogan 2010; Harding 2011
[iii] Yuri Felshtinky and Alexander Litvienenko, blowing UP Russia: Terror From Within, second edition (London: Gibson Square, 2006)
[iv] The Federal Service for Supervision in the Sphere of Telecom, Information Technologies and Mass Communications (ROSKOMNADZOR)
[v] http://vote.duma.gov.ru/vote/94599
[vi] http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2006-05-0064-001
[vi] Russian Military Power, Building a military to support great power inspiration, dia.mil, 2017
[vi] http://en.kremlin.ru/structure/security-council/me
Lire l'annexe en PDF : Synthese Intelligence russe