IKEA France : une attaque informationnelle interne

 

En mars 2012 IKEA France faisait l’objet d’une attaque informationnelle de grande ampleur. « Le Canard Enchainé » publiait des courriels échangés entre IKEA France et Sureté International, une société privée de sécurité. Dans ces messages il est question de payer un accès illégal aux fichiers de police afin d’obtenir des renseignements sur des employés et des clients du géant suédois du mobilier. L’affaire est alors largement relayée dans les médias. Elle aura également des échos dans les sphères syndicale, politique et économique entrainant ainsi l’image de la marque IKEA dans une crise majeure. 

La crise informationnelle


Le 29 février 2012, « Le Canard Enchaîné » révèle l'existence d'un système d'espionnage des salariés en France qui reposerait sur des pratiques illégales en raison d’accès à des fichiers confidentiels réservées à la police et la gendarmerie (fichier des antécédents judiciaires ou système de traitement des infractions constatées). En mars, le parquet de Versailles ouvre une enquête préliminaire après le dépôt de plainte du syndicat Force Ouvrière pour "collecte de données à caractère frauduleux, déloyal ou illicite". Celle-ci est suivie de l’ouverture d’une information judiciaire. Avril 2012, IKEA condamne officiellement ces pratiques et annonce une révision de son mode de gouvernance, ce qui entraine les licenciements de quatre dirigeants d'Ikea France. Le groupe IKEA adopte ensuite un code de bonne conduite et sa filiale France crée un département "gouvernance et conformité" ainsi qu'un comité d'éthique. En Juillet 2012, le siège d’IKEA France est perquisitionné. Plus récemment, dans son réquisitoire définitif rendu le 2 janvier dernier, le parquet renvoie l’affaire devant une juridiction pénale estimant que les charges sont suffisantes. 

Une résonnance économique et politique qui amplifie la portée de l'attaque


La parution de l’article du « Canard Enchainé » est suivie d’une couverture médiatique dans la presse nationale et régionale offrant une exposition maximale version « grand public ». Fortement relayée par les organisations syndicales de l’entreprise, l’affaire s’étend au monde politique et économique. Des sites internet et autres blogs vont jusqu’à faire état de liens présumés entre les acteurs de l’affaire IKEA et l’UMP alors au pouvoir. Le 1er mars, AGORA VOX, premier site internet européen de journalisme citoyen plaçait l’affaire IKEA sur le terrain politique en établissant un possible lien entre le gérant de la société Sureté International et les courants de pensées sécuritaires proche de l’extrême droite. Le blog « Démocratie Réelle Maintenant des Indignés de Nîmes », dans son article « Espionnage : après IKEA, Quick » faisait quant à lui état de pratiques identiques au sein d’autres grandes entreprises. Pour contre-attaquer, l’enseigne de fast food confiait à Agnès Catineau du cabinet Brunswick, spécialisé en communication de crise, le soin de répondre à une interview du journal Le Parisien du 25 novembre. Une intervention qui a permis que la marque Quick ne soit finalement plus mentionnée par la suite. Face à IKEA, la CFDT, Force Ouvrière et la CGT, organisations syndicales majoritaires, occupent l’espace médiatique. Ces deux dernières portent plainte et médiatisent cette démarche. Elles utilisent également la voix de leurs avocats (pour la CGT Maîtres Yassine et Hakiki). Ces deux syndicats élaborent simultanément un message concordant quel que soit l’émetteur : confédération, unions départementales ou délégués des magasins IKEA. Le caractère sensible de cette affaire concernant l'usage illégal de fichiers de police a provoqué la réaction de Marie-France Monéger Guyomac’h, la patronne de l’Inspection Général de la Police Nationale . Cette dernière précise que ces pratiques sont devenues de plus en plus rares. Pour sa part Alain Juillet, patron du Club des directeurs de sécurité des entreprises (CDSE) qui estime qui « ces affaires ont plombé l'image du métier » se désolidarise des pratiques de la société IKEA. Enfin, le traitement informationnel de l’affaire IKEA n’a pas provoqué de révélation de pratiques identiques dans d’autres entreprises. 

IKEA tente de se défendre


La gravité des faits reprochés et leur couverture ont donné à la marque IKEA une exposition majeure sans que cette dernière n’ait pu mener d’action significative de contre-offensive. Le 6 avril 2012 dans un communiqué transmis à l’AFP, IKEA France évoquait « des pratiques qui ne respectaient pas les valeurs et l’éthique de l’entreprise », refusant ainsi de se placer sur le terrain juridique afin de minimiser les faits et leurs impacts. IKEA France, dans une annonce assimilable à celle d’un 1er mea culpa, licenciait les 4 cadres dirigeants impliqués. Un certain nombre d’erreurs ont été commises dans la gestion de cette crise. La cellule de crise était constituée de cadres dirigeants étrangers du groupe IKEA qui, a priori, ignoraient les spécificités des relations sociales « à la française ». Petra Hesser - directrice des ressources humaines monde du groupe a fait le déplacement pour rencontrer les partenaires sociaux avec l’aide de deux traducteurs pour tenter d’établir le dialogue. Enfin, le directeur général IKEA France qui reconnaissait avoir « péché par manque de contrôle » mandatait dans la foulée un cabinet d’audit pour apprécier la situation, sans concertation avec les organisations syndicales. Ces dernières ont alors contre attaqué dans les médias, vidant de sens cette décision pour en faire finalement une arme contre IKEA. Dès le mois de juin 2012, Stefan Vanoverbeke directeur général IKEA  France annonçait par voie de l’AFP l’instauration d’un code de bonne conduite à l’attention des managers de l’entreprise, à nouveau sans concertation préalable avec les organisations syndicales et certainement avec trop d’empressement. Une action perçue très négativement par les salariés qui refusaient d’être considérés comme les responsables de la situation alors qu’ils en étaient les victimes allant jusqu’à qualifier cette initiative de « poudre aux yeux pour éteindre le feu médiatique » dans un article au journal « 20 Minutes ». L’ensemble des actions engagées par IKEA France se sont finalement avérées inefficaces car inaudibles et pour la plupart finalement contre-productives. 

Grille de lecture et risque informationnel sociaux


IKEA connait depuis plusieurs années différentes crises (évasion fiscale, condition de travail des usines au Bangladesh) et attaques informationnelles qui détériorent son image de marque et donc son fonds de commerce. L’absence de grille de lecture sociale et culturelle  pertinente n’explique-t-elle pas les erreurs commises par IKEA dans le cas français ? Le modèle de management suédois a t’il occulté l’importance des partenaires sociaux dans la gestion de cette crise ? Il semble que les ventes IKEA soient toujours en croissance, mais qu’en serait-t-il dans le cas d’une nouvelle attaque informationnelle d’envergure avec une gestion identique à celle précitée ? Certains experts déclarent que l’année 2013 a été pour la marque IKEA annus horribilis, l’année de la  « déconstruction » de son image. Les grandes entreprises sont dotées de direction des risques souvent rattachées à la direction générale ou financière qui n’appréhendent pour la plupart pas les risques liés aux crises managériales et sociales. Elles restent principalement centrées sur les risques industriels, logistiques, de propriétés intellectuelles, de cybercriminalité ou de risques environnementaux. Le risque humain et social est trop souvent négligé car il est lié aux pratiques et politiques internes de l’entreprise (management, prévention des risques psycho sociaux, santé au travail) alors qu’il représente in fine un risque informationnel majeur comme nous le démontre le cas IKEA France. 

 

Luc Berthier.


  

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