Conflit de Notre dame des Landes : un redéploiement possible de la région Pays de la Loire

 

On parle souvent de Notre Dame des Landes comme d’une contestation écologique et sociale. On en parle tellement d’ailleurs que cette image de violence et d’insécurité a fini par coller à la peau de le Ville de Nantes et de la Région Pays de Loire… Aujourd’hui, après des années de battage médiatique désastreux sur cette affaire, Nantes est en 2018 selon l’express la première ville de France où il fait bon travailler et la neuvième où il fait bon vivre. Comment ces territoires ont-ils contré cette mauvaise réputation ? Alors que le projet Notre Dame des Landes a été un gros coup d’arrêt de 20 ans dans les projets de développement économiques, quelles stratégies ont-ils mis en place ? 

Une saturation endémique des transports


Les Pays de Loire sont une région carrefour entre plusieurs autres pôles régionaux. Nantes, la capitale, draine une population et un bassin économique qui mange largement sur la Nouvelle Aquitaine et la Bretagne. Nantes est trop à l’ouest et trop éloignée de Paris ou d’une frontière pour pouvoir devenir une capitale internationale, et pourtant… c’est son ambition ! 

Les pays de Loire ont commencé leur réflexion stratégique il y a quelques dizaines d’années déjà ; le Grand Port Maritime de Nantes-Saint Nazaire (qui compte plusieurs terminaux entre les deux villes) a obligé la région à de gros efforts de reconversion d’une industrie navale sinistrée. La question se pose également du transport de marchandises : le port de Nantes est fortement concurrencé sur l’île de Nantes par des projets urbains ambitieux, et le port de Saint-Nazaire est saturé et nécessite un agrandissement. Le port de Nantes-Saint Nazaire a longtemps tourné en sous-régime et décliné doucement. 

Le fret ferroviaire pose aussi un problème : pas de ligne TGV entre Nantes et Bordeaux pendant longtemps (il fallait entre 4 à 6 heures pour s’y rendre) et la Loire classée patrimoine mondial de l’UNESCO bloque des travaux d’ampleur sur les lignes qui sont justement en bord de Loire. Les lignes LGV annoncées pour le grand ouest ne font gagner que 6 mn au trajet Paris Nantes contre plus d’une demi-heure à la liaison de Rennes et de l’ensemble de la Bretagne avec Paris… 

Les réseaux routiers sont saturés également entre Nantes et Paris, et Nantes connaît de grosses difficultés de circulation quotidienne. La Loire en particulier est difficile à franchir ; c’est le seule fleuve « sauvage » de France et sa navigabilité est très incertaine, même aujourd’hui, du fait de ses montées des eaux très rapides et de ses fonds changeants. Son lit majeur est très large dès Saumur et Angers, et chaque pont doit tenir compte à la fois de cette largeur et des assauts furieux du courant. A l’ouest de Nantes, l’unique pont existant est celui de Cheviré qui est une prouesse technique. Une autre prouesse est celle du pont de Saint Nazaire (le plus long pont de France) dont les conditions de circulation sont extrêmement réglementées. 

L’aéroport Notre Dame des Landes présentait une solution idéale d’augmentation du trafic de marchandises et de personnes pour la région. Mais il a aussi été vecteur d’une campagne de médias si forte et si négative que la Région Pays de Loire a dû travailler sa communication...  et revoir ses plans. 

Réflexion stratégique plus globale


Pour devenir un acteur majeur, la région Pays de la Loire a travaillé sur une stratégie à long terme. Le cœur de l’activité économique se situe en Loire Atlantique, mais également en Vendée avec un taux de chômage très bas, un tissu très dense de PME à structure familiale, et en Maine et Loire où quelques secteurs d’activités sont florissants (en particulier l’agriculture spécialisée à Angers), et où des villes comme Cholet ont sorti leur épingle du jeu avec une belle activité industrielle et un taux de chômage inférieur à 5% depuis plusieurs années. 

Mais parce que c’était un marqueur de l’identité régionale et un secteur stratégique, il fallait d’abord sauver l’industrie navale et ses emplois ; la région Pays de Loire a monté un programme de financement de formation très performant dans ce secteur en particulier, et a axé sa politique sur la recherche et l’innovation depuis plus de 20 ans : programmes universitaires, pépinières d’entreprises, partenariats public-privé sont très nombreux. Aujourd’hui le pari est réussi : Airbus a installé une partie de ses ateliers à Nantes Atlantique, des écoles comme le CESI à Saint-Nazaire ont acquis une bonne réputation dans le milieu industriel, et les laboratoires de recherche fleurissent et ont remporté de beaux succès. 

La région a également cherché à se reconvertir, car l’activité a été essentiellement industrielle (aéronautique) et agricole ou agroalimentaire pendant 50 ans. Continuant de surfer se la ligne de l’innovation, Nantes a misé sur l’informatique avec succès : de belles écoles reconnues, et un foyer important d’informaticiens et de sociétés de services (Nantes est une « capitale des SS2I »!). Ce sont d’ailleurs ces cadres de l’informatique qui ont été attirés par Nantes ces dernières années en en faisait la 1ère ville où il fait bon travailler. Une deuxième piste de reconversion explorée par la région est dans le pôle Biologie, partagé avec Angers. Tant en médecine qu’en agriculture, la région finance les programmes de recherche. Angers est ainsi Pôle international du végétal. La région et en particulier la Ville de Nantes sont connues pour produire des petites entreprises innovantes, et d’ailleurs nombre de PME nantaises se sont fait racheter  ces dernières années… 

Pour contrer une image de marque négative causée par les affrontements sans fin de ND des Landes – affrontements qui se sont souvent délocalisé au cœur de la ville -  la région a investi dans le secteur touristique et culturel. Aujourd’hui, la ville de Nantes est une capitale internationale culturelle : Les Folles Journées, le Festival de Science-Fiction, Eurovéloroute 6, les Floralies, le Voyage à Nantes, les Machines de l’Île… La liste de ces évènements est longue et les gens viennent de loin. Et même, ces évènements s’exportent et exportent aussi la réputation de Nantes Capitale Culturelle. La fréquentation touristique des Pays de la Loire est en grande partie étrangère, en particulier en Maine et Loire. 

Jeux d’acteurs


Les oppositions au projet d’aéroport sont venues d’abord de l’intérieur, c’est-à-dire du département Vendée et Maine et Loire, pour qui un aéroport aussi loin de leur territoire représentait une menace pour leurs activités économiques. Les entreprises de Vendée ont même lancé une pétition en ligne. Ensuite sont venus les écologistes, les zadistes, et la suite qu’on connaît. Un référendum a été proposé aux habitants des Pays de Loire, qui ont répondu favorablement à l’installation d’un aéroport, mais la situation s’est enlisée avec la fin que l’on sait : l’État abandonne le projet, et d’une certaine manière abandonne aussi la région Pays de Loire : c’est un camouflet. Évidemment le plan B avait déjà été pensé : l’agrandissement de l’actuel aéroport a déjà ses plans et ses études d’impact de nuisance qui ont d’ailleurs été un argument pour la construction de ND des Landes. Paradoxalement, la zone autour de l’aéroport Nantes Atlantique a vu fleurir de nombreux bâtiments industriels ces dernières années dont… ceux d’Airbus, dont la stratégie de réinternalisation amène à développer leurs ateliers nantais. La région demande à l’État une contrepartie à son coup de Trafalgar : le financement du réaménagement de l’aéroport… mais aussi l’amélioration de la desserte de Nantes Atlantique. 

Un redéploiement portuaire


Cette desserte passe en particulier par la construction d’un 2ème pont de Cheviré pour franchir cette barrière naturelle qu’est la Loire. La construction de ce pont est envisagée et débattue en région depuis 10 ans, mais les coûts en sont trop élevés pour la région et le projet a sans cesse été reporté.   L’argument contre la construction de ce deuxième pont a longtemps été que 70% des usagers de l’aéroport venaient du Nord de la Loire et que l’engorgement provoqué dans le trafic déjà saturé sur le périphérique disparaîtrait dès la construction de l’aéroport… Cet argument vient de se retourner ! Pour l’instant, après le pont de Cheviré, il n’existe qu’un bac pour franchir la Loire et le pont de Saint-Nazaire à circulation réglementée. D’autre part le pont de Cheviré est souvent fermé aux camions et même souvent fermé tout court à cause du vent qui a causé de nombreux accidents. Enfin il est complètement saturé en trafic quotidien et ne permet pas une augmentation de flux routier. Un nouveau pont où les camions peuvent passer changerait la carte de circulation autour de Nantes et permettrait à Airbus de se voir livrer ses marchandises depuis la zone de fret de Cheviré jusqu’à l’aéroport Atlantique où sont situés ses ateliers. En effet Airbus, qui est un acteur de poids dans l’échiquier régional, a investi dans le transport maritime de ses pièces détachées. Cela augure également la montée en puissance du Port de Nantes -Saint-Nazaire. Cela fait quelques années que les programmes d’investissement montrent une volonté politique de mise en valeur. Cette remise en valeur est pensée comme un véritable réagencement régional. En effet, la condition de la fermeture du site de Nantes est l’agrandissement du port, et la Ville de Nantes a tout intérêt à fermer cette zone pour continuer à valoriser l’Île de Nantes sur laquelle elle a déjà réalisé de belles opérations urbaines. Les acteurs du Port de Saint-Nazaire attendent l’agrandissement depuis… Presque aussi longtemps que l’aéroport était attendu ! 

L’activité du port de Nantes Saint-Nazaire va croissant ces dernières années, et ce n’est pas un hasard. Un soutien politique fort a été apporté à la fois aux activités portuaires en général et au secteur aéronautique en particulier. Ainsi le rachat de STX (la plus grosse entreprise de construction navale de Saint-Nazaire) par les italiens Financieri a fait l’objet de nombreuses tractations avec l’Etat Français mais aussi avec les autres pays européens. Tous les efforts ont été fait pour reculer l’échéance, même de proposer aux salariés de racheter une part de l’entreprise. L’enjeu est national mais aussi européen, car Financieri est une entreprise italienne ayant développé son activité en Chine. En tous cas, STX voit son carnet de commandes gonfler de manière historique depuis ! 

Nantes-Saint-Nazaire a des concurrents en France et en Europe : Le Havre, Rouen, sans parler de Dunkerque, Calais ou Rotterdam un peu plus loin. Chacun de ces ports se bat pour le fret, pour la construction navale, pour le raffinage de pétrole… Le port de Nantes-Saint-Nazaire n’a pas que des atouts. Sa situation géographique est problématique pour la raffinerie : le site de Donges est coincé entre des zones touristiques à clientèle exigeante (La Baule, Pornic, Guérande…) les maires des villes avoisinantes mettent le holà à la moindre anicroche. Total a par exemple beaucoup de mal à brûler ses méthanes sans que l’odeur n’affecte les communes. Ils doivent tenir compte de la marée, de la météo, et des voisins ! La production doit être arrêtée chaque fois qu’une plainte est déposée. Concernant le fret, les arrivages sont principalement des marchandises qui sont destinées à alimenter le bassin régional et interrégional. Nantes-Saint Nazaire a une positon géographique idéale pour cela, lui manque… les capacités, et les infrastructures. 

L’abandon du projet Notre Dame des Landes a débloqué le développement territorial de la région Pays de Loire qui était suspendu depuis trop longtemps. Là où l’on peut voir de prime abord une opposition Etat-Région, l’analyse des investissements et des appuis de l’Etat aux projets régionaux montre une stratégie concertée de développement économique, où chacun des deux acteurs a su défendre ses intérêts. 

 

Caroline Darré