Le 20 avril 2018, une forme de contestation inédite a vu le jour au Maroc. Un appel au boycott des marques Afriquia (carburant), Centrale Danone (produits laitiers) et Sidi Ali (Eaux en bouteilles) a été lancé sur Facebook par des instigateurs anonymes. Les jours qui ont suivi, cette information a été diffusée sur les réseaux sociaux et relayée par la quasi-totalité de la presse.
L'usage offensif d'Internet pour lancer le boycott
Le boycott est un mode d’action très faiblement ancré dans la culture marocaine. Malgré cela, les perceptions individuelles des boycotteurs ont présenté un intérêt commun. Ils n’ont pas cherché à se rassembler pour agir ni à diffuser de l’information, ils voulaient simplement dénoncer la cherté de la vie, le monopole exercé par certaines entreprises et exiger une révision, à la baisse, des prix. La hausse des prix est un sujet très sensible au Maroc, pays qui souffre d’une inflation endémique depuis 2004. Depuis quelques années déjà, les associations de consommateurs se plaignent de la hausse des prix des produits de première nécessité. Ce sont ces mêmes revendications qui ont déclenché la constitution d’une armée de boycotteurs marocains qui hurle son ras-le-bol de l’économie oligopolistique dont les principaux acteurs pratiquent des prix élevés. Ce boycott, assez unique en son genre, se caractérise par une mobilisation des individus au sein de leur sphère domestique et privée. Internet, en tant que seul moyen d’expression des « faibles », a très largement servi la mobilisation de cette campagne. En effet, l’ordre du boycott a été lancé sur des pages Facebook suivies par des centaines de milliers de personnes, qui ont été nombreux à partager un photomontage des trois marques frappées d'une croix, accompagné du slogan suivant « nous boycottons ». L’opinion semble avoir largement soutenu l’appel au boycott : un sondage réalisé par Averty révèle que 79.8% des répondants ont confirmé leur support à cette campagne. Parmi les 20.2% restants, 66.8% sont encore indécis quant à leur soutien à la campagne alors que 24% refusent d’y adhérer. L’image des entreprises a été atteinte et le volume des ventes a significativement baissé.
La communication défensive des entreprises
Les entreprises visées ont commencé par voir ce mouvement d’un œil perplexe voire amusé avant de réaliser l’importance de l’impact qu’il pouvait avoir. Des refus de livraisons ou d’achats des produits boycottés ont engendré une baisse des ventes. C’est ainsi que les marques ont enfin pris conscience de la force de la mobilisation digitale dans l’opinion publique. Silencieux dans un premier temps, les industriels, visés par le boycott, ont mis beaucoup de temps réagir et mettre en place un dispositif de gestion de crise.
La première réaction fut celle de la Centrale Danone et elle fut contestée. En effet, le Directeur de communication a assimilé le boycott à une « trahison de la nation ». Un contre-coup qui n’a fait qu’augmenter l’intensité du mouvement. Pour y remédier, l’entreprise a dû s’excuser avant de se rapprocher du consommateur par une tentative de réconciliation qui s’est traduite par le lancement d’offres inédites pour le mois de ramadan sur une grande sélection de ses produits. Afriquia, quant à elle, s’est vite retrouvée au cœur d’un rapport parlementaire relatives aux marges excessives des pétroliers. Le silence qui a suivi n’a rien arrangé. En ce qui concerne le groupe Sidi Ali, après avoir observé un très long silence, l’entreprise a justifié la hausse des prix par des taxes et un taux de TVA élevé. Le groupe a opté pour une communication institutionnelle, notamment par l’usage de communiqués de presse. Par la suite, elle a fait appel à tous les Marocains pour venir constater sur place en visitant le site de production. Comment tenir cette promesse de transparence si toute l’armé des boycotteurs décident de faire le voyage ? Ces tentatives d’explications pour calmer les ardeurs, vont-elles suffire pour arrêter le boycott ?
La prise de conscience progressive des autorités
L’appel au boycott pointe du doigt des poids lourds de l’agro-alimentaire. Ces trois entreprises, leaders dans leur secteur d’activité au Maroc, sont détenues par des dirigeants influents du monde économique, et politique pour certains. Cette appartenance explique l’absence de d’impartialité dans les rangs du gouvernement marocain. Le Ministre de l’Economie, M. Mohamed Boussaïd, a déclaré « nous devons encourager l’entreprise, les produits marocains, pas comme ce que font certains «Mdaouikhs» étourdis qui appellent à boycotter des entreprises marocaines qui pourtant sont structurées, emploient des citoyens et paient leurs impôts». Tandis que le Ministre de l’Agriculture, Aziz Akhannouch l’un des principaux concernés, a déclaré qu’il était dans le concret et que cette campagne n'aurait aucun effet du fait qu’elle est d’origine virtuelle. De même, sur sa page Facebook, la parlementaire de l’USFP, Mme Hanane Rihhab, a qualifié les boycotteurs de "troupeau", ce qui a suscité la colère des internautes. L'élue a fini par supprimer sa publication avant de s'en excuser. Le gouvernement a menacé de poursuites judiciaires, tous ceux qui diffuseraient de fausses informations affectant l’économie nationale. Cela a engendré une colère de la toile qui s’est attelée à dénoncer vivement le manque de professionnalisme de l’Exécutif. Quelques jours après, le Chef de Gouvernement a présenté ses excuses par rapport à certaines déclarations de ses Ministres à l’encontre des boycotteurs.
Il est à souligner que le gouvernement a pour mission essentielle de « protéger le consommateur ». De plus, il faut noter que le conseil de concurrence est gelé depuis plusieurs années alors qu’il a pour objectif de régulariser le marché marocain.
Amal Sahli