Le 2 mai dernier, l’agence Reuters rendait compte d’une orientation importante que le Président de la République française a décidé d’officialiser lors de son déplacement en Australie. La pression chinoise dans la zone Pacifique était le prétexte pour dessiner un nouvel axe indopacifique entre l’Australie, l’Inde et la France, en y associant potentiellement la Malaisie, Singapour et le Japon. Cette ouverture de la France sur la zone Pacifique se fonde sur les relais incontournables de la Réunion et de la Nouvelle Calédonie. Par ce nouvel axe Paris-Delhi-Canberra, Emmanuel Macron sort enfin des sentiers battus empruntés par ses prédécesseurs. Les contrats d’armement signés avec ces deux pays en sont une illustration concrète (avions Rafale vendus à l’Inde, sous-marins Shortfin Barracuda vendus à l’Australie). Mais il existe aussi d’autres indices sur ce passage à l’acte. Citons à titre d’exemple les facilités que la France offre discrètement à l’Inde pour l’aider à briser l’encerclement chinois sur la question de l’accès aux ports dans les pays qui ‘environnent.
L’Australie a été pendant longtemps hostile à la présence territoriale de la France dans la zone Pacifique. Cette nation se rapproche désormais de Paris comme le confirme le déplacement récent d’Emmanuel Macron à Sydney. Depuis plusieurs mois, le débat est vif au sein du Parlement de Camberra sur la question des relations avec la Chine. Pékin n’hésite plus à s’immiscer dans ce débat en critiquant le bien fondé des critiques émises par une partie de la classe politique australienne sur les stratégies d’influence étrangère nuisibles aux intérêts de leur pays. L’Institut du Pacifique souligne à ce propos certaines des lignes de fracture qui apparaissent aujourd’hui dans la société australienne :
« Même si elle ne citait pas spécifiquement de médias, l’ambassade avait été, dans un passé récent très critique à l’égard d’enquêtes faites par l’Australian Broadcasting Corporation (ABC) et Fairfax Media dans des universités indiquant qu’au cours des derniers mois, des étudiants chinois dans ces universités s’étaient plaints de documents pédagogiques incorrects ou insultants à l’égard de la Chine. Il s’agissait de documents relatifs à Taïwan ou à la Mer de Chine du sud. Les professeurs dans ces universités ont exprimé leur préoccupation que toute expression critique à l’égard de la politique chinoise devienne impossible, portant ainsi des atteintes sérieuses à leur liberté d’expression ».
Pour la première fois depuis bien longtemps, la France sort d’une posture statique ou purement défensive. Certes Emmanuel Macron prend les précautions d’usage. « La Chine a parfaitement conscience de la différence fondamentale entre (...) la stabilité et l’hégémonie ». Mais « nous ne sommes pas naïfs : si nous voulons être vus et respectés par la Chine comme un partenaire à égalité, nous devons nous organiser ». Le nouvel axe indopacifique entre l’Australie, l’Inde et la France fait penser à cette fameuse troisième voie souhaitée jadis par le général de Gaulle. Ce dernier n’avait d’ailleurs pas pu réellement lui donner une illustration concrète, à cause de la division figée du monde en deux Blocs antagoniques.
Cette éclaircie sera-t-elle suffisante pour contrebalancer les concessions que la France fait sur d’autres dossiers de nature géoéconomique ? La politique suivie par Donald Trump a une géométrie variable qui est en train de devenir risquée pour ses propres alliés. Les accords signés dernièrement avec la Chine sont vides de sens. La partie de bras de fer entre Washington et Pékin n’en est qu’à ses débuts. L’ouvrage[1] Chine/Etats-Unis : Quelles guerres économiques réalisé par l’Ecole de Guerre Economique est une première grille de lecture sur la nécessaire prise en compte des rapports de force économiques entre ces deux puissances. Les conséquences de cette rivalité de nature « impériale » aura des retombées pas forcément positives sur les relations entre les Etats-Unis et l’Europe.
Christian Harbulot
[1] Cyril Bertschy, Anthony Grosdet, Jérôme Laprée, Malika Smaili, Chine/Etats-Unis : Quelles guerres économiques, Paris VA éditions, 2018.