Affrontements économiques larvés à propos des messageries mobiles

 
 


Le 20 avril 2018, Google annonce son intention de se relancer sur les services de messagerie instantanée, en proposant un service de messagerie implanté directement sur les terminaux équipés d’Android. Google a vanté dans la presse spécialisée et généraliste (de Les Numériques aux  Inrocks en passant par le Guardian) les bienfaits de sa nouvelle messagerie comme étant la plus apte à répondre aux besoins des échanges modernes : Google Chat est en effet la première messagerie à utiliser le protocole RCS (Rich Communication Services). De ce fait, Google Chat a vocation à supplanter le SMS grâce au partage de contenu ainsi que la géolocalisation en sus du service de chat (à deux ou plus). L’application bénéficie également d’un cryptage plus abouti que le SMS qui avait par le passé déjà fait l’objet de contrôles et de surveillance de la part d’organismes tiers. Les Californiens ont annoncé que leur application serait installée par défaut sur la majorité des terminaux mobiles Android (qui représentent 73.11% du marché mondial en 2017), y compris en Chine. Comment ont-ils réussi ce tour de force ? 

Qui sont les acteurs du marché de la messagerie mobile ?


Aux États-Unis, Google lance Hangout en 2013 (alors que WhatsApp -désormais Facebook- avait été lancé en 2009 et l’iMessage de Apple en 2013) mais fera le choix de ne le rendre accessible aux particuliers qu’en 2017. Force est de constater que Hangout n’a jamais réussi à concurrencer les applications des deux autres géants Américains en termes de nombre d’utilisateurs, et ce malgré les maintes tentatives de communication de Google. On soulignera per exemple les vœux d’Obama sur Hangout en 2017, ou la confirmation de l’utilisation du service de messagerie par la NASA et d’autres services américains, mettant ainsi en avant ainsi son niveau de sécurité. Cette tentative de communication était-elle à double tranchant, indiquant malgré-elle une ingérence du gouvernement ? 

Le 8 avril 2018, Facebook est sommé de s’expliquer face au sénat américain suite à la fuite de données personnelles en lien au scandale Cambridge Analytica. Lors de cette audience, en réponse à l’aveu de perte de contrôle de Facebook par son créateur, certains sénateurs envisagent de séparer l’entreprise en plusieurs entités distinctes, ce qui impliquerait la scission de la messagerie du réseau social. Pendant ce temps, Telegram, la messagerie cryptée russe, est bloquée par le gouvernement tant que celle-ci refuse de donner les clés de cryptage au FSB (services secrets Russe). Prétextant un motif de sécurité nationale et de véracité de l’information diffusée, le Kremlin menace également les GAFA de blocage ; blocage qui a susciter une vague de protestation en Russie. 

En Chine, Tencent, dont le service WeChat compte plus de 1 milliard d’utilisateurs, est taxé par les occidentaux d’être l’extension du contrôle du pouvoir chinois sur sa population. De son côté Huawei, avait décidé de lancer sa propre messagerie en RCS afin de remplacer le SMS, pour finalement abandonner leurs travaux fin janvier et s’allier à Google dans la mise au point l’application Google Chat. Pourquoi Huawei renonce à sa messagerie au profit de Google alors que celui-ci est interdit en Chine ? 

Comment Google a réussi son retour en chine et à normaliser le marché à son avantage ?


Entre janvier et février 2018, les chinois ZTE et Huawei se voient menacés par le département du commerce américain de devoir interrompre leurs relations commerciales avec les Etats-Unis - allant des microprocesseurs, aux systèmes d’exploitation Android de Google - et de se voir infliger de sévères amandes. Cette menace est à double effet car, d’un côté elle supprime une part de marché conséquente aux entreprises chinoises ; mais surtout risquerait de conduire à la mort de ces sociétés dépendantes d’Android - plus que des microprocesseurs qui peuvent être substitués par des firmes chinoises. 

Cette menace fait suite au non-respect des embargos auxquels font face la Corée du Nord et l’Iran par ZTE et Huawei, qui ont aidé les deux pays à développer leurs réseaux de communication et à créer un smartphone supposément sur base Android. 

Pour mémoire, Google est frappé d’interdiction en Chine depuis 2010, mais entame son retour en janvier 2018 avec l’annonce de partenariat avec Tencent et Huawei, en particulier sur les systèmes de messagerie et leurs interfaces (reconnaissance sémantique, video…). 

En Avril 2018, Google annonce un accord avec 60 entreprises dont LG, Samsung, Huawei, Microsoft et ZTE qui porte sur l’installation de Google Chat par défaut sur les terminaux. Dans la foulée on peut noter que Donald Trump a levé la menace de blocus contre les firmes chinoises et le renoncement à une guerre économique ouverte avec la Chine 

Coutumiers de l’extraterritorialité de leur droit, notamment dans le cadre de non-respect d’embargo, on peut légitimement se demander pourquoi les Américains ont décidé de lever les sanctions envisagées dans le cadre des interactions Chine – Corée du Nord ? Est-ce l’aveu d’une stratégie de coopétition ? S’agit-il ou non d’une perte de puissance des États-Unis ? 

Une polémique naissante sur la fiabilité de Google


Des contestations concernant Google Chat sont apparues sur Twitter via le compte d’Amnesty International (et son site web), soulevant un point majeur : contrairement aux autres messageries, le cryptage Google Chat n’est pas complet, ce qui permettrait aux autorités de certains pays de pouvoir récupérer les informations sous prétexte de lutte contre le terrorisme (cf. le cas d’Apple, qui a officiellement refusé de donner les  « back doors » au FBI suite aux attentats de San Bernardito en 2015). 

Cette question peut d’autant plus légitimement se poser que les États-Unis ont formalisé un nouvel outil d’extraterritorialité et de droit de surveillance sur les données (dont les données personnelles) via le CLOUD Act (permettant la saisie de mail ou de données partout dans le monde par le ministère de la justice américain). Sans oublier la fin annoncée de la neutralité d’Internet via le changement de statut de l’organisme de régulation d’Internet aux États-Unis (FFC). Ne va-t-on pas vers une illusion de protection des données personnelles, jusqu’au prochain scandale ? Google a-t-il le moyen de remplacer le sms sans s’attirer les foudres de la société civile et des gouvernements étrangers ? 

 

B.Berard