Le 14 mars 2018, la révélation surgit des Etats Unis qui est immédiatement relayée par l’AFP en France via tweeter. Il y a des particules de plastique dans l’eau en bouteille. Les jours suivants cette information est diffusée par les réseaux sociaux et l’ensemble de la presse. Du fait du caractère sérieux des médias ayant relayé cette information et de sa propagation fulgurante, on peut s’attendre à un séisme. Ce marché colossal est entièrement basé sur la confiance des consommateurs.
Genèse de l'information
L’étude a été lancée par une organisation de journalistes américains, Orb Media , à laquelle s’est associée CBS News. Elle a été réalisée par Pr Sherry Mason du laboratoire de l’Université de l’Etat de New York (SUNI). Elle confirme, à hauteur de 93%, la présence de particules plastique dans l’eau en bouteille. Cette présence serait dûe à l’altération de l’emballage et également à la décomposition des déchets plastiques déversés dans les océans ou stockés en décharge polluant les nappes phréatiques.
Il convient de noter que cette étude n’a pas été validée par la communauté scientifique ni même authentifiée par les autorités publiques. Il est donc légitime de s’interroger sur la bienveillance de cette alerte qui ressemble à une attaque informationnelle visant l’ensemble d’un marché. L’annonce n’épargne aucun acteur, puisque plus de 250 bouteilles de plusieurs marques provenant de plusieurs continents ont été analysées.
« Eau en bouteille », de quoi parlons-nous ?
Il se consomme 89 milliards de litres d’eau en bouteille au niveau de la planète. Ce qui représente un marché de 44 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Les principaux acteurs sont Nestlé qui en est le leader avec 15,3 % de parts de marché détenant plus de 70 marques. En seconde position vient le groupe français Danone avec un chiffre d’affaires de 3,9 milliards d’euros sur ce secteur et ayant un taux de croissance de 11%. Cette forte croissance se ressent sur l’ensemble du globe. Aux Etats-Unis la consommation d’eau embouteillée dépasse aujourd’hui celle des sodas pour la toute première fois. Une fébrilité apparaît au travers de rachats et de concentrations d’entreprises. Danone a racheté un producteur américain d’eau Bio pour un montant de 12,5 milliards de dollars. Les pays tels l’Inde et la Chine voient eux aussi leur consommation s’envoler. Le phénomène devient mondial .
Les grands acteurs de ce marché rivalisent d’innovation marketing pour maintenir leur leadership. La bataille fait rage sur tous les fronts. Des suspicions sur certaines pratiques des grandes entreprises apparaissent comme dans le reportage « Bottled Life » décortiquant les pratiques de Nestlé.
Mais cela concerne aussi un autre marché qui est celui la bouteille plastique. En 2021, il se vendra 500 milliards de bouteilles. Ce type d’emballage prévaudra sur tout autre pour tous les liquides. Ce chiffre nous interroge sur son empreinte écologique. En effet, en France seulement 22 % des déchets plastiques sont recyclés.
Pourquoi ce marché existe-t-il ?
De nombreuses organisations et autorités incitent les consommateurs à se tourner vers l’eau du robinet. Mais la perception de la qualité de l’eau des consommateurs penche nettement en faveur de la bouteille. En effet, il demeure de nombreux articles à charge en France expliquant que l’eau du robinet contient des nitrates et autres substances toxiques . Aux Etats-Unis, de multiples reportages montrent l’inflammation de l’eau, sortant du robinet, causée par l’extraction du gaz de schiste.
Cette perception est surtout entretenue par le discours publicitaire des producteurs d’eau en bouteille. L’eau est toujours représentée par sa pureté, son bienfait sur l’organisme et son rapport à la nature symbolisant l’essence même de la vie. Elle en est même devenue un alicament.
Dans un tel contexte informationnel, l’eau du robinet ne pouvait que laisser le terrain à sa rivale.
Les industriels au cœur de la cible
Les attaques se dirigent là où il y a intérêt. Ici, est pointé la pratique des industriels endossant des milliards en polluant l’environnement, mettant en danger la santé publique de la population mondiale ainsi que la planète entière. Sans vérification préalable de la véracité de l’information, des réactions sont apparues partout dans le monde. Comme au Canada, où l’Université de McGill de Montréal entend mettre un terme sur son campus à la distribution d’eau en bouteille d’ici le 1er mai 2019.
Analogie avec d’autres affaires
Au delà de la mise en garde sanitaire, on peut voir certaines analogies avec d’autres scandales sanitaires. En 2013, est apparu le scandale de la fraude à la viande de cheval au sein de Spanghero. L’information s’est vite révélée exacte et après plusieurs mois de bataille, le sort de la société fut scellé. Récemment, Lactalis fut confronté au scandale du lait contaminé aux salmonelles. Le groupe a été ébranlé. Le PDG Emmanuel Besnier a été sommé de sortir de sa réserve médiatique. Mais au cours de l’affaire l’accent a surtout été mis sur l’opacité de la société. On ne peut qu’être suspicieux face à une société ne déposant pas ses comptes annuels. Mais cela fut réparé en début d’année ce qui a réjoui la FNSEA.
Typologie des scandales sanitaires
La comparaison de différents scandales permet de déceler une certaine structure dans l’attaque informationnelle en matière sanitaire. On retrouve toujours les mêmes séquences. En premier lieu, Les lanceurs d’alerte ne sont pas pris au sérieux. Puis vient le déni, les répliques hasardeuses ou encore la fabrication du doute de la part des industriels. Ici, Nestlé a admis qu’il y avait des particules dans quelques bouteilles de ses marques mais en quantité nettement inférieure à ce que prétend l’étude. Alors que l’année dernière, l’accent était mis sur la qualité de la bouteille PET qui ne pouvait transmettre de particule de par sa stabilité chimique. De son côté, Danone préfère se retrancher derrière la méthodologie d’analyse prétextant qu’elle n’est pas adaptée à ce type de recherche. Ensuite, on peut observer un attentisme des autorités politiques. Et en dernier lieu survient irrémédiablement la crise et ses conséquences.
La résistance des firmes aux attaques informationnelles
Nestlé et l’ensemble des acteurs de ce marché sont habitués aux multiples attaques de la part d’ONG, d’organisations luttant pour l’environnement ou pour toute autre cause. Il peut s’agir de la défense d’une nappe phréatique dans un endroit du monde, la protection d’espèces en voie de disparition. Pour l’instant, ces multinationales réussissent à les contrer tout en poursuivant leur croissance. Pourtant, il faut noter que plusieurs alertes furent lancées concernant la présence de plastique dans l’eau en bouteille mais qu’elles deviennent de plus en plus précises et détaillées. La dernière n’hésite pas à mettre en avant le nom d’une Université de renom, de décrire scientifiquement la méthodologie d’analyse. L’accumulation et l’efficacité croissante des attaques informationnelles peuvent arriver à ébranler d’énormes structures.
Olivier Offroy