La polémique sur la fiscalité des GAFA en Europe

  
 

Le 21 mars dernier, la commission européenne a rendu publique un nouveau texte ciblant ces nouveaux géants du numérique appelés GAFA, acronyme qui désigne les entreprises plus connues sous les noms de Google, Apple, Facebook, Amazon. Ce projet de taxe de 3% concerne les entreprises dont le chiffre d’affaire globale dépasse les 750 millions d’euros, ou celles qui génèrent 50 millions d’euros de revenus sur le sol européen. La taxe concerne les pays dans lesquels se trouvent les utilisateurs et non plus les sièges sociaux des entreprises en question. Elle représente une contrainte pour les GAFA qui bénéficiaient jusqu'à présent d’un régime d’imposition très favorable dans des pays tels que l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg, Chypre ou Malte, ce qui leur permettait de ne payer que 9% d’impôts, alors que les entreprises « physiques » payaient 23% en moyenne. 

Le nouveau texte de la commission européenne suscite un affrontement majeur à l’intérieur des 28 pays de L’Union européenne où l’on peut voir se dessiner des intérêts divergentsà cause des prises de position des pays qui accueillent les sièges sociaux de certains GAFA. L’Irlande, Malte et le Luxembourg bénéficient à ce titre de nombreux avantages tels que l’emploi local généré par la délocalisation des GAFA et des recettes fiscales non négligeables. 

Le manque d'unité de l'Union Européenne à l'égard des États-Unis


L’Irlande, les Pays-Bas et le Luxembourg sont ouvertement défavorables àcette taxe et défendant une solution internationale, coordonnée par l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) prévue pour 2020. Une alternative provisoire afin de gagner un peu plus de temps avant de voir se mettre en place une norme universelle et internationale à laquelle il faudra de toutes les façons se soumettre. 

La France, avec le soutien de l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, insistent sur la nécessite d’une solution immédiate avec le projet de taxe pour une instauration début 2019. A l’heure où Monoprix noue des partenariats avec Amazon, et où le Crédit Agricole propose d’utiliser le service Apple Pay, il est grand temps de mettre en place un socle législatif adapté aux nouveaux enjeux du numérique et dans une vision à plus long terme de réfléchir aux enjeux de la souveraineté économique des entreprises françaises sur leurs propres sol. 

On comprend bien pourquoi la France cherche à multiplier les effets d’annonce afin d’obtenir l’ascendant médiatique et gagner ce bras de fer informationnel face aux GAFA dans un premier temps et les Etats Unis dans un second temps sur un fond de guerre commerciale annoncé par la taxe sur les importations minières. 

Les nouveaux rapports de force du monde immatériel


Les GAFA désormais appelés OTT « Over The Top », passent par-dessus les États et s’adressent directement au consommateurs, imposant ainsi leurs propres normes et conditions d’utilisations à des utilisateurs et des états soumis au bon vouloir de ces nouveaux législateurs privés. Principales capitalisations boursières au monde, ces géants sont aujourd’hui les producteurs d’une des plus grandes sources d’intelligence et de data sur la planète. Grâce à la digitalisation des contenus par la collecte, le traitement et la production de données, ils sont aujourd’hui les facteurs premiers de la migration de l’économie mondiale vers le numérique. 

C’est lors du dernier G20 Finance, organisé le 16 mars dernier à Buenos Aires, que se sont révélées les oppositions entre les positions des pays de l’Union européenne et celle des États-Unis. Ces derniers s’opposent à toute forme de soumission face à l’Europe et refusent fermement cette taxe. Ils refusent l’ingérence d’autres pays dans les recettes fiscales de leurs principaux acteurs économiques. Imposer une nouvelle pression fiscale pourrait freiner selon eux la croissance et avoir un impact négatif sur l’économie du pays. 

Mais, dans le même temps, la puissance américaine n’est pas sans contradiction dans la gestion de ce dossier sensible, comme en témoignent les attaques verbales répétées de Donald Trump contre Jeff Bezos, le président d’Amazon et du Washington Post. Depuis le début de son mandat, Trump soulève la question de l’imposition sous-évaluée à l’égard des GAFA. Ce manque à gagner a selon lui des effets négatifs sur le développement d’une politique d’ancrage industriel sur le sol américain. 

Le risque d'une guerre commerciale larvée


Au lendemain de la mise en place d’une taxe sur l’importation d’acier et d’aluminium des Etats Unis, risquant de mettre à mal les échanges commerciaux avec l’Europe, le projet de taxe GAFA pourrait être considéré comme une riposte économique démontrant la capacité des pays à l’origine de cette initiative à faire preuve de protectionnisme économique et de vision stratégique pour ses 28 membres. 

Aujourd’hui les GAFA, demain les BATX (Baidu, Ali baba, Tencent, Xiaomi) les géants chinois du numérique. L’Europe en général et la France en particulier, sont pris en tenaille par les affrontements sous-jacents entre la Chine et les États-Unis. Ainsi que le rappelle très justement Richard Hiault dans le journal les Echos : 

« Comme leurs homologues américaines, les entreprises européennes se plaignent de devoir divulguer, pour opérer sur le marché chinois, des secrets commerciaux et d'être contraintes d'opérer des transferts de technologies. « Une autre préoccupation importante identifiée concerne l'objectif de la Chine de prendre le contrôle de la technologie étrangère et de la rendre chinoise, en particulier dans les domaines technologiques clés définis par l'Etat », souligne la Commission. Les milieux d'affaires européens « signalent que de nombreuses procédures de passation de marchés en Chine nécessitent des transferts de technologie ou des divulgations de savoir-faire » de la part des entreprises étrangères. » 

Il va être de plus en plus difficile pour l’Europe de privilégie un discours sur la multi-latéralité des échanges, au moment même où les deux premières puissances mondiales en soulignent les limites dans leurs stratégies respectives de long terme. L’Union Européenne se doit de mettre en place un socle de défense et de protection face à une exploitation des données des utilisateurs au mieux des intérêts des pays européens, de leur fiscalité et de leur population. 

 

Célia Ayoub


  

  

Références : 

  
 

  • Article d’Hugues Robert, « Fiscalité des GAFA : la commission européenne précise ses projets », Le Monde du Chiffre, 28 mars 2018.
  • Article de Jean Quatremer, « Comment l’Union européenne va prendre le numérique dans ses filets », Libération, 23 mars 2018.
  • Article de Cécile Ducourtieux et Audrey Tonnelier « Taxation des GAFA : Bruno Le Maire poursuit sa quête de soutiens européens », Le Monde, 16 septembre 2017.
  • Article de Cécile Ducourtieux, « La taxe GAFA risquer d’accentuer les tensions avec Washington », Le Monde, 21 mars 2018.
  • Richard Hiault « La véritable guerre commerciale de Trump », Les Echos, 26 avril 2018.