Longtemps à la marge des enjeux d'influence liés à la pratique du football, les États-Unis s'y sont impliqués tardivement. Bouleversant l'ordre établi au niveau des instances footballistiques internationales, les États-Unis s'imposent comme nouveau joueur dans le monde du "soccer": un terrain de jeu à la croisée des échiquiers d'influence politique, économique et culturelle. Ceci n'est pas resté sans engendrer une guerre de l'information générant et se nourrissant de la polémique.
Le football : instrument d'influence et moteur de business :
Plus qu'un sport, le football est une activité certes ludique mais dont la formidable capacité à attiser les passions des masses a transformé en un instrument d'influence/contrôle. Ferveur patriotique, apaisement social, propulsion politique et d'autres phénomènes culturels se cotoient pour conférer à ce "jeu" un fond bien plus sérieux. Des sommes astronomiques sont générées par tout type d'activités connexes extrêmement lucratives : droits de diffusion, produits dérivés, transfert de joueurs, recettes aux guichets, sponsoring, publicité et droits d'image sont autant de sources directes de création de richesses, indirectement complétées par les occasions que brandit l'exposition médiatique qu'un évènement majeur peut offrir au pays organisateur. Cela élèverait le chiffre d'affaires du foot-business à 400 milliards d'euros par an.
Le paradoxe culturel américain : aversion et attirance pour le football
Si les États-Unis ont tardé à s'intéresser à ce sport, c'est parce que la culture américaine perçoit différemment les valeurs qu'un jeu doit véhiculer. Une comparaison avec le football américain permet de déceler l'origine de la répugnance du public pour le football/soccer. Le premier est caractérisé par un fort contrôle hiérarchique et une réglementation du jeu stricte et extrêmement explicite. Il glorifie le mythe américain d'un monde juste, où le meilleur gagne toujours, où l'exaltation du "more" (plus) se traduit par des scores nettement élevés en buts. Les résultats de l'individu comme ceux de l'équipe sont plus facilement quantifiables. En revanche, le football/soccer est perçu comme un sport mou et inorganisé, aux règles assez floues (Le hors-jeu n’est pas du goût des américains), au temps non contrôlé à la seconde et -sacrilège ultime- où un match peut finir à égalité, ou se solder par un faible score. Malgré cela, les États-Unis découvrirent un aspect intéressant de ce sport : le potentiel de son business et l’impact de son influence.
FIFA, un géant soupçonné d’opacité, corruption et népotisme:
Aux commandes de cette nébuleuse du foot se trouve la FIFA, association officiellement à but non lucratif. Ce qui ne l'a pas empêché d'être éclaboussée à répétition par des scandales qui ont montré un visage bien plus sombre que celui affiché, de temple du fair play. Au fil des années des affaires douteuses ont dévoilé une organisation en proie au clientélisme, népotisme et opacité. Cet aspect sombre de la FIFA fut même mis à profit par ses propres figures en s’accusant à plusieurs reprises.
La réaction des États-Unis
Ayant organisé le mondial de 1994, les Etats-Unis ont pu prendre conscience des bienfaits économiques et d'influence de ce phénomène global. Leur montée en puissance n'était plus qu'une question de temps. Les scandales de corruption, l'opacité et les luttes intestines étant le flanc mou de cette organisation, l’attaque ne pouvait que viser ce front-là. L’étincelle qui fit éclater cette guerre de l’information fut le doute sur les dessous de l'attribution en 2010 de l'organisation des coupes du monde à la Russie en 2018 et au Qatar en 2022. Le cas du Qatar (concurrençant la candidature américaine) suscita de forts soupçons. Une enquête fut ouverte par la chambre d'instruction du comité d'éthique de la FIFA, présidée par l’américain Michael Garcia. Le rapport Garcia pointa du doigt les pratiques frauduleuses et obscures qui menèrent à l'attribution des deux mondiaux. Ce rapport ne fut pas publié en son intégralité et aucune sanction ne s'en suivit, résultant en une démission tonitruante du procureur nord-américain.
La contre-offensive juridique
Simultanément, la machine judiciaire américaine lança ses procédures d'investigation contre le mastodonte footballistique commençant par son tentacule régional: la Concacaf (confédération d’Amérique du Nord, Centrale et Caraïbes). Investiguant les droits de diffusion des différentes compétitions continentales, l'enquête s'approcha des figures capitales de la FIFA et prit une ampleur internationale, profitant du concept flou d’extraterritorialité du droit américain, pouvant saisir une trame planétaire à cause d’un détail ayant eu une relation avec le sol, citoyens ou argent américain. Cette internationalisation de l'affaire s'accompagna de l'implication de profils de plus en plus importants et par conséquent d'une médiatisation plus intense et élargie du scandale. Ainsi, Loretta Lynch (procureur général des USA) joua un rôle dans l’enquête. James Comey -directeur du FBI en personne- fustigea la FIFA par des déclarations largement diffusées. Resserrant l’étau au sommet de la FIFA, les autorités américaines eurent recours à la collaboration de Chuck Blazer. Extravagant new-yorkais occupant le poste de secrétaire général de la Concacaf. Accusé d’évasion fiscale, M.Blazer devint informateur des services fédéraux américains, fournissant au FBI des informations précieuses. Lui-même siégeant au comité exécutif de la FIFA, il aurait été équipé d'un micro espion camouflé dans un porte-clés qu'il utilisa lors de ses réunions.
La déstabilisation organisationnelle de la FIFA
Le 27 Mai 2015 fut une journée noire pour la FIFA, elle marqua le passage à l'acte des autorités judiciaires de deux côtés de l'atlantique contre ses officiels.
Si la corruption avait coûté leurs postes en 1998 à Havelange et Teixeira, en 2011 à Bin Hammam et Warner, cette fois-ci serait la grande purge qui bouleverserait la FIFA à tout jamais. Accompagnée d’une campagne médiatique, discréditant l'organisation et son comité exécutif. Deux jours après, Joseph "Sepp" Blatter, qui ne fut pas concerné par les arrestations, fut élu pour un cinquième mandat... pas pour longtemps. Dans les mois suivants, des têtes du football mondial continueront à tomber, chacun pour une raison: A.M.Villar en Espagne et son fils en Amérique du Sud, l'indéboulonnable Issa Hayatou en Afrique, sans oublier le maître de la confédération européenne, M.Platini, le « frère ennemi » de Blatter.
Mesures judiciaires, campagne médiatique, "buzz" sur les réseaux sociaux et même une initiative de la société civile apparue ex nihilo sous le nom de "New FIFA Now", il ne manquait qu'une image. Un cliché pour la postérité résumant la descente aux enfers de la FIFA, en la personne de son patron jadis inoxydable. S'apprêtant à commencer une conférence de presse à Zurich, le 20 Juillet 2015, Joseph "Sepp" Blatter se vit lancer au dessus de la tête une poignée de dollars. L'image d'un Blatter surpris, les yeux baissés sous une pluie de billets à l'effigie de G.Washington fit le tour du monde. Après sa démission, il fit l'objet d'une enquête interne qui décida de le bannir (aux côtés de M.Platini) du monde du football durant 6 ans.
L’enchaînement des polémiques
En pleine tempête contre Blatter -et quelques jours avant sa réélection- un intervenant de poids fit irruption dans cette guerre. Le président russe, Vladimir Poutine accusa les Etats-Unis d'ingérence afin d'étendre son hégémonie à la FIFA et empêcher la réélection de M.Blatter, dont il s'est dit sûr de l'innocence allant même jusqu'à le proposer pour le Nobel de la Paix. De son côté, Jack Warner (ancien vice président de la FIFA et président déchu de la Concacaf) accusa les États-unienne d'avoir transformé le football en Amérique du nord en un cauchemar, œuvrant pour le démembrement de la FIFA.
Blatter insinua que son successeur Gianni Infantino (qui entretemps avait publié le Rapport Garcia), réprimait les mécontents du nouveau système mis en place au sein de l'instance. Infantino fit l’objet de révélations liées au scandale Panama Papers. Blatter out, Infantino in... Mais aussi une nouvelle campagne qui s'annonce aussi polémique: la prochaine bataille dont le monde connaitra le résutat au mois de juin 2018. Une candidature américaine (présentée conjointement avec le Méxique et le Canada) essayera de décrocher l'organisation du mondial de 2026 face à un outsider déterminé: le Maroc. Si Blatter a exprimé son soutien à la candidature marocaine, Infantino a annoncé que la candidature conjointe nord américaine était « un message positif ». Une nouvelle controverse éclate alors: en mars 2018, le président de la fédération royale marocaine de football proteste dans une lettre adressée à la FIFA (et largement publiée au Maroc) contre les changements survenus 24h avant la date limite du dépôt du dossier de candidature. Ces changements incluraient des critères impossibles à satisfaire par le Maroc avant juin, mais que les Etats-Unis et les autres pays candidats remplissent déjà. Le 05-04-2018, Blatter publie un tweet taclant Infantino pour ces nouveaux critères. La polémique n’est pas terminée. Elle est relancée par l’annonce que MM. Blatter et Platini seront les invités du président Poutine pour assister au mondial de Russie en juin 2018.
Derrière les enjeux commerciaux du football se profilent des jeux d’influence dont la nature est plus géopolitique. La confrontation larvée entre puissances s’exprime depuis le début du XXe siècle par une démultiplication des affrontements informationnels lors des évènements sportifs de résonance mondiale.
Nawfal BAKHAT