Depuis près de quatre ans, les multinationales du soda et de l’eau sont empêtrées dans une série de scandales en Amérique du sud et plus particulièrement au Brésil. La mécanique s’est accélérée en 2016 pour finalement arriver au point où Coca-Cola et Nestlé ont dû rédiger en février 2018 des communiqués locaux dénonçant les « fake news » dont ils font l'objet. Ces communiqués n’ont pas empêché la persistance d'une certaine suspicion à leur encontre.
En 2014, à la suite à la « découverte » de « l’édulcorant de demain » (la stevia) et son exploitation, la tribut Guarani, détentrice ancestrale de la recette et des plantations, a demandé des comptes aux industriels et le droit de conserver ses terres. Ces revendications sont restées inaudibles dans un pays en prise avec la corruption (Cf petrobras), en pleine crise économique et en quête d’image (avec l’organisation de la coupe du monde et des JO dont Coca-Cola a été le sponsor officiel). Rappelons au passage que le Brésil a toujours eu du mal à considérer ses minorités.
En mai 2016, juste avant le début des JO de Rio et dans un contexte de crise politique nationale, les Guaranis manifestaient dans les rues du pays pour protester contre ceux qui détiennent la quasi-totalité du marché de l’eau et du soda dans le pays avec en premier lieu Coca-Cola.
Les enjeux de la désinformation
La polémique a commencé sur le blog Le Correio do Brasil . Connoté« anti-impérialiste », ce réseau social sort l'information suivante le 22 aout 2016 : « Coca-Cola et Nestlé auraient négocié avec le gouvernement la privatisation pour 100 ans de la deuxième plus grande réserve d’eau potable au monde, la réserve de Guarani (cette information a été démentie deux ans plus tard). Le 26 août 2016, M. Temer succède à la présidente destituée D. Roussef (héritière de Lula). Le 13 septembre 2016 est publiée la liste des privatisations par le gouvernement, la réserve n’y figure pas.
La réserve souterraine est à cheval sur 4 pays. Elle fait l’objet d’un protocole de gestion commune en négociation depuis 2010 avec l’ensemble des pays (Paraguay, Uruguay, Argentine et Brésil) qui a été ratifié le 4 mai 2017. Inscrite au patrimoine immatériel du Brésil, cette réserve d'eau requiert une réforme constitutionnelle afin de la privatiser, ce qui s’avère impossible au vu de la crise politique qui sévit depuis 2015 dans le pays.
En 2017 d’autres médias relancent la polémique et ajoutant les noms de Danone, Dow et Ambev (5eme brasseur mondial et distributeur de PepsiCo dans le pays), mais ces noms disparaissent aussi vite qu’ils ne sont venus, il ne reste plus que Coca-Cola et Nestlé.
Le 3 avril 2017, Fato do Brasil réactive la polémique qui finit par se retrouver sur le blog « complotiste » Truth Theory le 5 Février 2018. Ce dernier propage la rumeur à l’international conduisant au démenti apparu en exclusivité via leurs sites brésiliens.
Qui pourrait être derrière une telle rumeur ?
Il est bon de rappeler que Coca-Cola et Nestlé ont été condamnés ces dernières années pour des faits similaires respectivement au Mexique, en Inde et au Pakistan. Il est donc crédible de croire que les faits peuvent se répéter. Or, suite à la multiplication des affaires, notamment ces faits et le scandale de l’huile de palme, Nestlé et Coca-Cola, en pleine phase de « greenwashing », ont cherché à redorer leur image ces dernières années. En parallèle, la Russie organise, dans quelques mois, la coupe du monde dont Coca-Cola est un sponsor officiel qui représente cependant toujours une image de globalisation et d’américanisation.
Le passage éclair des sociétés Danone, Ambev et Dow dans cette rumeur de scandale est surprenant. Or en 2017, peu après ce volte-face, PepsiCo et Danone ont été sollicités pour le rachat du géant des produits laitiers Brésilien (Vigor) , un acquisition estimée à plus 6 milliards de dollars. Pour sa part, Dow a finalisé la cession de ses actifs en agro-alimentaire dans le pays au chinois CITIC agri.
Il est utile de souligner que les trois principaux médias lanceurs et relayeurs de cette information, ont des liens étroits avec la politique, par exemple :
- Le propriétaire et rédacteur en chef de Correio do Brasil , Gilberto de Souza est également actif dans le think tank BRICS Policy center dont certains membres sont en contact avec Russia Today et China Daily.
- Fato do Brasil, blog pro Lula, est détenu par un éleveur bovin de la région, or le partage des terres entre plantation de stevia et élevage bovin suscite une forte compétition.
- Truth Theory appartient à Pawel Gluza et Michal Jacek Sygula, dont l’un des leitmotiv est “truth is subjective and can differ from person to person dependant on your world view”. Un mois après le communiqué de presse de Nestlé et Coca-Cola ceux-ci n’ont pas retiré leur article. En revanche Truth Theory intègre en préambule le démenti des deux firmes, s’excusant pour leur précédente inexactitude, et corrige son article avec pour seul additif : un second round de privatisations aura lieu au Brésil d’ici un an incluant la réserve de Guarani au profit de Coca-Cola et Nestlé.
Le 24 mars 2018, alors que le forum de l’eau au Brésil se termine (sponsorisé par Dow, Coca-Cola, Suez, Nestlé, l’Etat Brésilien…), les noms de Suez et Dow sont à nouveau associés à Guarani. En parallèle, Petrobras (Libra field) a lancé des appels d’offre (via Modec) dans lesquels Suez (via Degremont) et Dow devraient être en compétition avec des ingénieries locales.
Le 28 mars 2018, Nestlé annonce la session de ses activités eaux dans le pays au brésilien Grupo Edson Queiroz.
Au vu de la chronologie des faits et des éléments il ne semble pas irraisonnable de s'interroger sur une potentielle stratégie d’influence de nature "nationaliste" pour déstabiliser les compagnies étrangères dans le pays ?
B. Berard