Les affrontements autour de l’Internet des Objets

 

L’Internet des Objets Connectés ou I.O.T (Internet Of Things), suscite bon nombre d’intérêts aussi bien d’un point de vue technique, stratégique qu’économique. 

Cet article ne se veut pas être une note technique, un dossier de presse ni opposer les technologies comme le font la plupart des articles de presse spécialisée en confrontant LoRa à SIGFOX car le « vrai » combat n’a jamais vraiment été là. Il a pour but d’expliquer l’évolution successive des différentes technologies amenant à l’IOT, les modèles économiques des protagonistes, pour mieux appréhender l’univers technologique, et surtout d’avoir une vision d’ensemble des enjeux stratégiques. 

Selon le rapport annuel des opérateurs de télécoms, disponible ici, l’accent est porté en 2018 sur l’IoT (FY18). L’entrée en guerre de ces opérateurs de télécoms dans la bataille de l’IOT est officiellement déclarée. 

Les enjeux compétitifs de l'IOT


D’un point de vue économique, le marché semble très juteux même si difficilement quantifiable : 

Si l’annonce de « 50 milliards d’objets connectés d’ici 2020 » lancée en 2011 par Cisco a longtemps servie de référence, ce chiffre a récemment été réactualisé 

notamment par Gartner ici annonçant 20 milliards d’objets, ou encore par Idate explosant toutes les statistiques avec un chiffre record de 80 milliards d’objets connectés en 2020. 

Ceci s’explique notamment par un dés-engouement de l’IOT suite à l’absence de sécurité by design ou by network (en attente de normalisation), ou encore l’inutilité avérée de certains objets considérés comme « gadgets ». Ceci a conduit à la fin de start-ups fragilisées par une offre commerciale inadaptée sur un marché immature. 

Le cœur des préoccupations demeure le sujet du traitement des données personnelles, tant au niveau régalien qu’au niveau privé. 

L’IoT est une suite d’évolution technologique et non une révolution. Si l’on constate ces 20 dernières années une accélération de la digitalisation de notre société, tout à commencé par l’apparition des « SCADA » dès 1960 et la démocratisation du modèle « Machine to Machine » fin des années 1990. 

Nous pouvons résumer par ces principes généraux comme suit : 

Les technologies de type « Machine to Human » sont déployées à échelle industrielle par les Systèmes d’Acquisitions et de Contrôles de données (SCADA). 

Concernant le Machine to Machine ou M2M, il est développé essentiellement par les opérateurs télécoms au profit de l’industrie et du grand public par la normalisation du Global Packet Radio Service (2,5G ou 2G+). 

Par facilité intellectuelle, la presse cherche maintenant à opposer l’IoT au M2M. 

Le M2M et l’IoT sont deux concepts, deux phénomènes très importants et assez proches. Ce sont deux solutions qui proposent des accès à distances à des objets ou des capteurs. 

Le M2M se définit traditionnellement par un réseau de télécommunication point à point utilisant un module cellulaire ou WiFi intégré, pour connecter des machines ou des objets à un réseau. L’intervention humaine n’est pas nécessaire, les informations circulent d’un endroit à un autre et peuvent être relayées via un serveur vers un logiciel. 

L’IoT repose quant à lui sur l’identification de chaque objet, souvent connecté les uns aux autres, afin qu’ils puissent envoyer des données sur une plateforme Cloud, comme AWS d’Amazon, ou à une application à plus large échelle. 

L’architecture réseau étant différente l’une de l’autre, les cas d’usages et les équipements sont également différents. Par analogie, un marteau et un tournevis restent des outils mais ne peuvent pas être utilisés de la même façon. 

D’un point de vue technique, si l’on dissèque un objet connecté, on retrouve différents équipements matériels et logiciels qui permettent son bon fonctionnement : microcontrôleur, SoC, micro-ordinateur, micrologiciels monolithiques ou hétérogènes, interface de communication vers un réseau de courte ou de longue distance, passerelle de communication. 

Toutefois, les solutions techniques dédiées à l’IoT restent encore aujourd’hui très hétérogènes. Les systèmes d’exploitation sont peu ou pas connus : FreeRTOS, RIOT, eCos, Lepton, Contiki, REMS, TinyOS, Brillo (Google), Windows 10 IoT Core (Microsoft). Les normes de radiofréquence sont elles aussi, diverses et variées : WiFi, Bluetooth LE, NFC, RFID, SigFox, LoRa, LoRaWAN, ZigBee, Z-Wave, normes propriétaires. 

C’est à la fois sur les composants, les systèmes d’exploitations, l’interopérabilité des objets et les vecteurs de transmission que se jouent les conflits asymétriques de l’IoT. 

Plus précisément, le nerf de la guerre est la standardisation: Ceux qui imposeront leurs normes  seront les grands vainqueurs. 

Un échiquier multidimensionnel


Les instances où se négocient les enjeux économiques et technologiques statués par les normes mondiales se retrouvent à trois niveaux : 
 

  • France


L’Autorité de Régulation des Communications Eléctroniques et des Postes (ARCEP) fixe le cadre de la régulation des réseaux des opérateurs télécoms en France. L’ARCEP fait respecter les normes européennes dans l’hexagone. 
 

  • Europe


l’European Telecommunication Standards Institute (ETSI) constituée des lobbyistes suivants  : opérateurs télécoms européens, équipementiers, administrations ont pour objectif de défendre les intérêts économiques des partenaires et font appliquer les directives de la 3GPP car membre de la dite coopération. 
 

  • Monde


3rd Generation Partnership Project (3GPP) est LA coopération entre organismes de standardisation en télécommunications au niveau mondial, elle assure la maintenance et le développement de spécifications techniques pour les normes. On y retrouve les lobbys de chaque zone : Japon (ARIB et TTC), USA (ATIS), Chine (CCSA), Europe (ETSI), Inde (TSDSI), Corée du sud (TTA). Pour information, les états n’ont qu’un rôle consultatif au sein du 3GPP, seuls les opérateurs télécoms et les équipementiers détiennent le pouvoir de décision. Pour exemple, le Commissariat aux Communications Electroniques de Défense se coordonne avec ses homologues européens pour « faire passer les messages » auprès du 3GPP concernant les interceptions légales et de sécurité des communications sur les réseaux des opérateurs. 

Parallèlement à ces instances, la GSM Association, représente près de 800 opérateurs et constructeurs de téléphonie mobile à travers 220 pays du monde. 

Elle a d’ailleurs annoncé en 2015 avoir mis en place un nouveau projet « Mobile IoT Initiative » soutenu par 26 opérateurs mobiles, équipementiers, fournisseurs de chipset, de modules et d’infrastructures leaders à l’échelle mondiale : une initiative conçue pour favoriser l’utilisation des solutions Low Power Wide Area. Le nouveau groupe a travaillé à accélérer la disponibilité commerciale de la technologie IoT mobile en facilitant les démonstrations, les validations de concept et les essais pour une sélection de technologies LPWA complémentaires sur le spectre sous licence. Elle a fourni aussi une analyse et une liste de recommandations pour pousser le projet de normalisation auprès des 3GPP et a conclu comme suit : 

« En raison de la diversité des exigences de l'application IoT, une seule technologie n'est pas capable de traiter tous les cas d'utilisation de la LPWA. Pour cette raison, l'industrie de la téléphonie mobile s'est concentrée sur deux normes 3GPP sous licence complémentaires : l'évolution à long terme pour les machines (LTE-M) et l'Internet à haut débit (NB-IoT). Les technologies LPWA dans le spectre sous licence peuvent être déployées de manière simplifiée, sans sacrifier les principales exigences des clients, telles que la durée de vie de la batterie et la sécurité. » 

SIGFOX vs Opérateurs télécoms


Quand SIGFOX est venu « bouleverser » le monde du M2M avec son offre de réseau propriétaire, il a très vite agacé les opérateurs historiques télécoms français et mondiaux. Très rapidement, des alliances se sont crées : d’un coté, SFR avec SIGFOX souhaitant bénéficier du déploiement national et international de la start-up toulousaine, et de l’autre, BOUYGUES TELECOM et ORANGE ont indépendamment fait le choix de LoRa ne désirant pas être tributaire d’un nouvel opérateur. 

D’une agilité incomparable de par sa structure, SIGFOX a su conquérir de nouveaux marchés très rapidement. 

Selon le monde informatique SIGFOX a frappé vite et fort en déployant son réseau dans 45 pays à ce jour et dessert 803 millions de personnes et continue son expansion en espérant atteindre 60 pays d’ici la fin de l’année. 

SIGFOX agace de plus en plus les opérateurs historiques, notamment en chine, ou HUAWEI est leader dans le Narrow Band IOT. 

Selon l’usine-digitale.fr, HUAWEI a annoncé lors du salon ECO CONNECT en Novembre 2017 à Berlin son souhait de faire du NB-IOT un standard mondial car déjà reconnue par la 3GPP ! ORANGE n’est pas en reste non plus, cité par QUECTEL (fabricant de modules IoT très proche de HUAWEI) comme l’un des opérateurs « impliqués dans le NB-IOT». 

Enfin, selon ladepeche.fr  et contre toute attente, Ludovic le Moan, CEO de SIGFOX a effectué un coup de maître en signant en Chine un contrat de 300 millions de dollars avec la ville de Chengdu pour le déploiement d’une solution de téléassistance pour les personnes âgées à la faveur de la visite officielle d’Emmanuel Macron dans le pays en janvier 2018 

SIGFOX saura-t-il encaisser ? 

Une information sortie « discrètement » par le site américain spécialisé dans les télécoms « lightreading » vient de publier le 29 mars 2018 une « bombe », ni commentée, ni démenti par SIGFOX, ni relayée à ce jour dans les médias français, traduite comme suit : 

« La société française SIGFOX a renvoyé Philippe IMOUCHA, directeur du Cloud, selon deux sources fiables connaissant la situation, ce qui en fait le dernier d'une longue lignée de cadres supérieurs qui ont démissionné ou ont été limogés l'année dernière. L’une des sources a déclaré à Light Reading que l’Operating System Software (OSS) n'était pas robuste et que SIGFOX avait du mal à absorber le volume de messages qu'il recevait. Une troisième source proche de l'entreprise a déclaré que l'OSS "n'a jamais vraiment fonctionné ». 

Si les écosystèmes hétérogènes SIGFOX et HUAWEI peuvent coexister, ceux qui imposent les standards techniques en faisant œuvre d’un lobbying agressif sont toujours les grands vainqueurs. Souvent comparée à un éléphant, la Chine, à l’instar des opérateurs télécoms, met du temps à se mettre en marche, mais une fois lancée, elle sera difficile à stopper… 

 

Gilles Cartier