Polémique sur le quartier de la butte Morel à Montreuil


 


Montreuil-sous-Bois (93) n’est pas une ville comme les autres. Cinquième commune d’Île-de-France, traditionnellement ancrée à gauche, elle se distingue par sa vigueur culturelle, la jeunesse et le métissage socio-économique et géographique de sa population. Peuplée d’artistes, de cadres et de Montreuillois de couches populaires, elle constitue un terreau propice aux belles histoires, faites de rencontres, de luttes et d’humanité. 

Dans ce contexte nait, en juin 2017, une vague d’inquiétude dans le quartier de la butte Morel, suite à une leucémie diagnostiquée chez un enfant. La SNEM, usine vétuste, sous-traitant du secteur aéronautique, implantée à proximité est immédiatement soupçonnée par les riverains. Ainsi démarre un conflit opposant la Préfecture et l’entreprise à un collectif regroupant les habitants du quartier et des associations. 

Le théâtre des événements


Montreuil a hérité d’un schéma d’urbanisme fait de bric et de broc, dû à son passé agricole, puis ouvrier. Aujourd’hui, les usines restantes côtoient des immeubles d’habitation, des barres HLM, des maisons - ouvrières ou cossues - et des lofts. Les usines désaffectées et des prix immobiliers maintenus artificiellement bas par Jean-Claude Brard, maire de la ville de 1984 à 2008, ont attiré en masse les artistes, bientôt suivis de cadres et d’intellectuels dits « bobos ». Montreuil abrite aussi les sièges de syndicats, ONG ou associations militantes. 

Chronologie des faits


En juin 2017, est posé le diagnostic d’une leucémie rare chez un enfant de 11 ans. Il fait suite à un autre cas de leucémie infantile, 17 ans plus tôt à la butte Morel (guéri). Sept ans auparavant, la même maladie a décimé un adulte du quartier. En apprenant ce nouveau cas, l’association de quartier la Butte à Morel, porte ses soupçons sur la SNEM, Société Nouvelle d'Eugénisation des Métaux, un sous-traitant d'Airbus et de Safran, implanté à 50 mètres du domicile de l’enfant. Installation Classée pour la Protection de l'Environnement (ICPE), cette usine traite les pièces mécaniques d'avions contre la corrosion. Elle utilise des substances dangereuses, dont l'acide chromique (ou Chrome VI), classée « cancérogène, mutagène et reprotoxique ». 

Bien que le règlement européen REACH, interdise l’utilisation du Chrome VI au 21 septembre 2017, la SNEM poursuit son utilisation jusqu’en 2030, en vertu d’une dérogation obtenue par ses donneurs d’ordre Airbus et Safran, dans le cadre du consortium CTAC. Certains procédés de fabrication nécessitant le Chrome VI qui ne peut, dans des cas précis, être remplacé. 

En tant qu’ICPE, la SNEM subit des contrôles réguliers. L’association la Butte à Morel a par ailleurs déposé neuf plaintes contre elle depuis 2008, suivies de visites inopinées des autorités et de demandes de mise en conformité du préfet. Outre les habitations, les groupes scolaires « Jules Ferry » et « Anne Franck » et un foyer médical pour autistes sont établis près de l’usine. Non loin, le Parc des Guilands classé zone Natura, abrite flore et faune sauvages à protéger. 

En juin, l’association écrit donc au Préfet, au maire et à des clients de la SNEM (dont Airbus), pour réclamer une enquête. Patrick Bessac, maire de Montreuil, appuie la demande de l’association auprès de la Préfecture, en arguant que lors du dernier contrôle de l’usine par la DRIEE en avril, le filtrage de l’air avait été jugé insuffisant. Une riveraine adresse une pétition à Nicolas Hulot, Ministre de la Transition Ecologique et Solidaire (47 400 signatures à fin février 2018).Ainsi, une visite de l’usine par les autorités compétentes le 11 juillet, diligentée par la préfecture, constate la non-conformité de l’évacuation et du stockage des déchets et celle du système d’aération. Elle donne lieu, le 8 août, à un arrêté préfectoral de mise en demeure. La date buttoir pour la mise en conformité des installations est fixée au 11 novembre 2017. A la date échue, une mission d’inspection réalisée se révèle totalement satisfaisante

Auparavant, le 4 septembre, l’ARS avait fait part des résultats d'une étude sanitaire et environnementale qui s’avéraient aussi tout à fait rassurants. 

Une révolte grandissante


En dépit de l’implication des autorités, l’inquiétude enfle dès le mois de juin pour aller crescendo. Les diverses études effectuées par le laboratoire central de la préfecture de police (LCCP), la DRIIE, la CIRE Santé Publique, l’ARS, des laboratoires d’analyses indépendants, et le bureau VERITAS et dont les résultats sont tous positifs ne parviennent pas à endiguer l’inquiétude des Montreuillois. Face à ce qui est perçu comme une menace sanitaire, ils créent un collectif, l’Usine Verte, qui regroupe l’association la butte à Morel, la FCPE–UCL de Montreuil et de nombreux sympathisants. Ce collectif exige la fermeture définitive de l'usine de la SNEM et la décontamination des lieux. Le mouvement lance une cagnotte en ligne pour financer ses opérations qui récolte un maigre succès (3635 euros fin février 2018). Il communique à grand renfort de réseaux sociaux. Il bénéficie du soutien d’autres associations reconnues comme ATTAC qui réclame le droit à appliquer soi-même le principe de précaution ou les Robins des Bois. Alexis Corbière, député de la Seine-Saint-Denis, soutient également le mouvement tout comme Montreuil Ecologie

La CGT est, pour sa part, opposée à la fermeture de l’usine et à la gentrification de Montreuil. Elle demande plutôt des investissements pour améliorer la sécurité de l’usine. Les salariés subissent également la situation, inquiets pour leur avenir

En septembre, le blocage de l’entrée de l’usine par le Collectif et la FCPE Montreuil aboutit à des violences policières et des incarcérations de manifestants qui entretiennent plus encore le vent de révolte

Le 22 novembre, la FCPE Montreuil lance l’opération « usine ouverte / école déserte » pour exiger la fermeture de l'usine de la SNEM : 66% et 83% des enfants des deux groupes scolaires situés à côté de l'usine sont absents ce jour-là. 

Les pouvoirs publics cherchent à rassurer les habitants par tous les moyens


Au vu de l’indignation exprimée par les riverains, l’État et la municipalité de Montreuil ont diligenté cinq études supplémentaires, allant au-delà de la réglementation. 

Une campagne de mesure de l’air ambiant dans et autour de l’usine a été menée le 1er août par le LCPP. Dans les écoles concernées, trois campagnes de mesure de l’air ambiant ont été effectuées en juillet, août et novembre (Socotec et LCPP). Bureau Veritas s’est pour sa part assuré de la sécurité au travail des salariés de la SNEM. Enfin, une étude épidémiologique a été diligentée par l’ARS sur l’ensemble de la commune. Ses conclusions s’avèrent rassurantes, avec un taux de leucémies infantiles à Montreuil sur la période 1990-2017 inférieur à la norme. 

Toutes ces études menées par des inspecteurs assermentés travaillant pour l’État ou des bureaux d’études privés, ont souligné l’absence de risque encouru par les riverains, les enfants ou les salariés. Aucun lien scientifique n’a par ailleurs été établi entre une exposition au Chrome VI et la survenue d’une leucémie. 

Montreuil, une terre d'authenticité et de légendes


En mars 2018, l’affaire SNEM est relancée suite au jugement de deux parents d’élèves qui ont bloqué l’accès à l’usine en septembre 2017. Une histoire qui n’en finit pas de rebondir alors que les conclusions sanitaires semblent sans équivoques. 

Après l’affaire du cinéma Le Méliès et celle du viol fictif à l’école maternelle Jules Ferry, la SNEM constitue-t-elle une nouvelle légende montreuilloise ? Sur cette terre qui a accueilli le premier studio cinéma de France, tout est de l’ordre du possible….

Muriel Grimaldi


  
 

Sources :


 


 

-          Communiqué « Usine SNEM, ou comment AIRBUS s’achète le droit de nous intoxiquer », FCPE – UCL Montreuil, 29 août 2017


 


 

-          Article « Contrairement à la demande des riverains, la SNEM de Montreuil ne fermera pas », Léna Corot, L’Usine Nouvelle, 6 septembre 2017


 

-          Article « Montreuil : la police déloge des riverains qui bloquaient une usine », AFP repris par Lefigaro.fr, le 7 septembre 2017


 

-          Article « La rumeur de Montreuil », George Kaplan, Mediapart, 2 octobre 2017