La confrontation de l'Union Européenne avec les géants américains d'internet

 

En février 2017, le Danemark a nommé un ambassadeur auprès de quatre multinationales de la Silicon Valley. Cette nomination met en évidence le poids politique et économique des GAFA. Cet acronyme désigne les entreprises Google, Amazon, Facebook et Apple. 

Sur une scène mondiale marquée par la libéralisation des échanges et le règne de l'économie de marché, le progrès technique a entrainé une véritable révolution à la fin des années 1990, quand internet s'est commercialisé. Internet est un réseau informatique mondial accessible au public. Il s'agit d'un réseau de réseaux, aussi bien publics que privés, universitaires, commerciaux et gouvernementaux. L'information est transmise par internet grâce à un ensemble standardisé de protocoles de transfert de données, qui permet l'élaboration d'applications et de services variés. Internet est devenu en ce début de siècle un moyen de communication et d'information central dans la vie de milliards d'êtres humains. 

Les GAFA ont su exploiter cette innovation technologique avec succès, devenant des acteurs incontournables dans la mise en place et le fonctionnement d'internet sur la scène mondiale. Cela leur a permis de réaliser des bénéfices financiers colossaux.  Implantées en Europe, ces entreprises sont peu imposées par l'Union européenne au regard de leurs bénéfices. Cette situation pourrait évoluer compte tenu des derniers évènements survenus. 

Si l'Union européenne des 28 est incontestablement une puissance économique majeure en 2017, le produit intérieur brut européen représentant environ 22 % du PIB mondial selon l'INSEE, l'UE souffre d'un manque d'efficacité dans ses actions politiques et économiques. L'union est freinée dans son développement économique par les confrontations d'intérêts nationaux en son sein. 

A l'inverse, les GAFA soumises à l'exigence de la rentabilité économique sont entreprenantes et audacieuses. Ces entreprises bénéficient de chiffres d'affaires colossaux. Leur richesse au début de l'année 2017 équivalait à celle du produit intérieur brut de la France, soit environ 2000 milliards d'euros. Menant des stratégies iconoclastes, ignorant les frontières géographiques, les GAFA considèrent internet comme un deuxième monde, qui se superposerait au premier. En permanence soucieuses d'exploiter les innovations technologiques, ces entreprises se sont emparées de projets tels que l'intelligence artificielle, les big datas, la voiture sans conducteur. Ces entreprises occupent une place centrale dans la vie des européens. 

Des nouveaux prédateurs ?


En octobre 2016, Yves Citton, codirecteur de la revue "Multitudes", estimait que les géants américains du net "exploitaient les biens culturels de l'Europe et exerçaient une prédation systématique"1. Des voix se sont élevées devant le fait que les GAFA exploitent presque gratuitement les infrastructures, les données et les connaissances européennes. Le commissaire européen aux affaires économiques et financières a affirmé en septembre 2017 que par justice il était nécessaire que les GAFA présents sur le territoire de l'UE soient prélevées de manière plus importante 2. 

Certes, cette question n'est pas récente. En 2011, une proposition de loi européenne visait a établir une "assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés" (ACCIS). Cela devait permettre de créer un cadre solide pour l'imposition des sociétés sur les territoires des pays de l'UE. Cependant, cette proposition de loi est toujours bloquée au sein de l'Union. En effet, certains pays s'opposent à cette loi par crainte de froisser l'allié américain. Or, l'unanimité des pays membres est requise par la législation européenne afin de permettre le vote d'une loi relative aux finances. En septembre 2017, la France soutenue par l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne a proposé que l'UE taxe le chiffre d'affaire des GAFA réalisé sur le territoire de l'Union et non les seuls bénéfices. La question a été traitée au conseil des ministres des finances des pays de l'UE, à Tallinn le 23 septembre. Durant ce conseil, plusieurs pays européens, dont l'Irlande, se sont opposés à ce projet de loi. Le sujet a également été traité par les chefs d'états et de gouvernements des pays de l'UE le 29 septembre durant le sommet à Tallinn réservé aux questions numériques. A l'occasion de ce sommet le président de la République française, Emmanuel Macron a déclaré que les géants du net américains étaient "... des passagers clandestins du monde contemporain en matière d'acquittement d'impôts...".3 Une décision commune devrait être adoptée au conseil ECOFIN du 5 décembre par les ministres des finances. L'objectif final, recherché par la France et ses alliés, est que la commission européenne soit chargée de soumettre une proposition législative en 2018, visant à ce qu'une taxe soit appliquée sur le chiffre d'affaire généré par les GAFA dans chaque pays européen. 

Les GAFA exploitent l’inaction de l'UE afin de développer et diversifier leur activité sur le sol européen. Ainsi, par exemple, Amazon chercherait actuellement à acquérir les magasins Carrefour. Ayant mis en place des montages financiers afin d'optimiser les conditions fiscales, ils parviennent à limiter de manière très significative le montant des impôts payés aux pays de l'UE. Les multinationales du net concentrent leurs bénéfices dans des filiales domiciliées dans des pays à faible taux d’imposition, comme l'Irlande. Ainsi elles préservent les bénéfices réalisés dans d'autres pays européens. 

L’UE, selon le souhait de la France et de ses alliés, pourrait utiliser l'arme législatives afin de tirer parti financièrement de la présence des GAFA sur son sol. 

Cela pourrait, selon les défenseurs de cette option, permettre de mettre fin aux privilèges dont bénéficient les géants d'internet sur le sol européen et ainsi, rétablir des conditions de concurrence favorable. Il importe de préciser qu'actuellement, les GAFA présents sur le sol des pays de l'UE, payent proportionnellement la moitié des impôts payés par les entreprises européennes traditionnelles4. 

Afin d'atteindre cet objectif, il est nécessaire que l'UE définisse juridiquement la nature de la présence numérique sur les territoires de ses Etats membres. Cette définition serait le socle sur lequel pourrait s'établir la fiscalité numérique européenne. 

Conclusion


Compte tenu des règles qui régissent le fonctionnement de l'UE et des intérêts divergents de ses états membres, le dénouement de cette question est incertain. 

Les GAFA exploitent actuellement avec habilité la lenteur de la réaction de l'Union européenne. Néanmoins, une législation européenne, modifiant les règles de taxations sur le sol des états de l'UE, pourrait être établie dans un futur proche. En effet, Jean Claude Juncker, le président de la commission européenne a affirmé qu'il y était favorable à l'occasion du conseil des chefs d'états du 29 septembre. En outre, le président actuel de l'UE, Toomas Toniste a déclaré qu'"A l'époque des moyens numériques, le système de taxation ne peut plus s'appliquer tel quel et une solution doit être définie"5. 

Cet affrontement de l'Union avec les entreprises Google, Amazon, Facebook et Apple met en exergue les faiblesses de l'Union. Cela amène à s'interroger sur les éventuelles mesures pouvant permettre de soigner l'UE actuelle du mal qui la ronge. Ce mal qui est le non choix entre une Europe des nations et une Europe fédérale. En mars 2018, l’UE a préconisé de taxer à 3% les revenus (et non les bénéfices, comme le veut l'usage) générés par l'exploitation d'activités numériques. Cette taxe ne visera que les groupes dont le chiffre d'affaires annuel mondial dépasse 750 millions d'euros et dont les revenus dans l'Union européenne excèdent 50 millions d'euros. Cette mesure ne concerne pas les start-ups européennes qui sont loin d’avoir atteint cette taille critique.

Jacques-Antoine Hogard

 

Références


1/ in "Le Monde économie" du 18 octobre 2016. 

2/ in "Libération" du 22 septembre 2017. 

3/ in "Libération" du 29 septembre 2017. 

4/ in "Capital" du 20 septembre 2017. 

5/ in "La tribune de Genève" du 16 septembre 2017.