A l’heure où le grand public s’intéresse de plus en plus à ce qu’on lui fait avaler, la bataille autour de la réglementation du glyphosate fait bruisser dans les couloirs de la Commission Européenne. En effet, celle-ci doit se prononcer d’ici le 15 décembre 2017 sur le renouvellement du désherbant star de Monsanto et avec lui tous les herbicides consorts qui en sont composés.
Le glyphosate est né dans les laboratoires de Monsanto qui le commercialise depuis 1975 sous le nom de Roundup. L’innovation se couple rapidement à la technologie OGM : la firme américaine développe des variétés de semences génétiquement modifiées. Les colza, maïs, soja, coton et luzerne made in Monsanto, deviennent résistants au glyphosate sous le terme de Roundup Ready. Le gain de temps et d’argent est énorme pour les agriculteurs qui peuvent pulvériser leurs récoltes sans craindre de les perdre. Le succès est mondial et Monsanto décline sa recette à travers le globe. En 2000, le glyphosate tombe dans le domaine public et est vite produit par d’autres entreprises du secteur agro-alimentaire.
La raison contre l'émotion
Il faut dire que le business model a de quoi séduire : Monsanto produit le désherbant et le désherbé sur un terrain de jeu aussi vaste que le globe. Son tour de force est aussi son talon d’Achille. Que devient le produit-phare de la biotechnologie sans son acolyte chimique ? L’idylle sera parfaite jusqu’à ce que le glyphosate commence à faire parler de lui pour sa toxicité. L’agent serait cancérigène et mutagène. Monsanto traînant déjà un parfum de souffre avec, entre autres, une condamnation pour la pollution aux PCB de la ville d’Anniston ou des accusations de biopiratage par l’Inde, la polémique enfle et les cartes scientifiques s’abattent. En 2015, le glyphosate est classifié comme cancérigène « probable » par le CIRC (l’agence de l’OMS chargée d’inventorier les causes de cancer). De leurs côtés, d’abord l’ORD (Office Research and Development de l’Agence Américaine pour l’Environnement) puis, le 15 mars 2017, l’EFSA (Autorité Européenne de Sécurité des Aliments) l’estiment improbablement cancèrogène. Hasard du calendrier, le 16 mars 2017, la justice américaine déclassifie les Monsanto Papers, quelques milliers de documents signés Monsanto faisant état de manipulations et pressions sur les organismes et scientifiques dénonçant la toxicité de leur produit. Les ONG et associations montrent particulièrement du doigt le ghostwriting : une technique consistant à faire endosser à des scientifiques non affiliés à son entreprise des écrits qu’on lui a préalablement rédigés. Un achat de signature et de crédibilité scientifique.
Si cette pratique est avérée, elle est particulièrement symptomatique de la cartographie de l’affaire RoundUp. Au débat passionné où les ONG, parties civiles et associations jouent la carte de l’émotion (mise en avant de victimes, opérations coup de poing, tribunal civil), Monsanto veut opposer la rigueur de l’argument scientifique. A la crainte des pouvoirs publics et politiques, Monsanto rassure avec la rigueur de l’argument scientifique. A la rigueur des autorités sanitaires, Monsanto adopte le même langage et avance encore et toujours sa rigueur scientifique. La raison contre l’émotion. Le cognitif avant l’affectif.
La mainmise des réseaux sociaux sur les termes du débat
Cette dynamique est fortement remise en question à l’heure des réseaux sociaux et du potentiel viral de l’information. Le lobbying ne se joue plus uniquement à Bruxelles mais aussi avec l’opinion publique qui prête une oreille très attentive à l’avancée des débats. Le 29 septembre 2017, les députés européens ont retiré aux lobbyistes de Monsanto leur droit d’accès au Parlement. Une première. Encore une fois, mauvais timing pour Monsanto : en juin 2016 la Commission Européenne avait accordé une prolongation de 18 mois à la licence du glyphosate (sous restrictions), prolongation qui doit prendre fin aujourd’hui le 25 octobre 2017.
La marge de manœuvre pouvait donc paraître limitée pour Monsanto mais n’oublions pas que la bataille ne se joue plus uniquement à Bruxelles. Le 13 octobre 2017, un blog anglophone accuse Christopher Portier, un toxicologue associé au CIRC, d’avoir touché près de 160 000 dollars de la part de cabinets d’avocats représentant les plaignants dans une action en justice contre Monsanto aux Etats-Unis. Tout ceci afin de peser dans la décision du CIRC et de faire du lobbying auprès de l’Europe. M. Portier répond, preuve à l’appui, qu’il a effectivement signé un « retainer » auprès d’un cabinet après l’avis rendu sur le glyphosate et qu’il n’était d’ailleurs pas déterminant dans la décision du CIRC. Bien que démentie, l’information circule et est étayée par les employés de Monsanto qui proposent des « one-to-one » aux journalistes européens basés à Bruxelles. Le pression est aussi entretenue par une partie du monde agricole et l’information d’une falsification du rapport du CIRC est relayée sur la blogosphère.
Le Parlement Européen s’est déjà prononcé pour une élimination progressive du glyphosate d’ici 2022. La Commission Européenne après avoir proposé une prolongation de 10 ans, a fait savoir qu’elle serait à présent favorable à un renouvellement d’une durée de 5 à 7 ans.
Vanessa Karlikowski