Guerre informationnelle sur la transition énergétique en Allemagne

Contexte de la politique énergétique en Allemagne
La problématique afférente à la transition énergétique trouve ses racines dans les années 1970, suite au premier choc pétrolier. A l’origine portée par les défenseurs de l’environnement, elle va rapidement réunir un large écosystème de la société allemande ; des écologistes jusqu’à la communauté ecclésiastique, devenant ainsi un engagement sociétal. Dès 1983, l’Allemagne investit dans l’éolien et poursuit le développement des énergies dites « renouvelables » avec la catastrophe nucléaire de Tchernobyl a contrario des autres pays européens. La coalition qui rassemble les Verts et le SPD de G. Schröder décide l’abandon du nucléaire en 1998 par l’adoption d’une loi sur les énergies renouvelables dénommée Erneuerbare Energien Gesetz. Une convention est ainsi signée avec les exploitants de centrales nucléaires précisant que le dernier réacteur devra être arrêté en 2021, cela étant confirmé par l’Atomausstieg (loi afférente à la sortie du nucléaire). L’accession au pouvoir d’Angela Merkel marque un premier tournant dans la politique volontariste de ses prédécesseurs. L’Energiekonzept, rédigé par un groupe d’experts qui vise à un allongement de la durée de vie des centrales au-delà de 2021, est adopté en 2010. En mars 2011, la catastrophe « Fukushima » marque un arrêt brutal de cette nouvelle politique. Une Ethikkommission met en évidence que l’Allemagne pourrait bénéficier d’une quasi indépendance énergétique en sortant du nucléaire. Cela est bien évidemment conditionné à un développement accéléré des énergies renouvelables ainsi qu’à un recours aux centrales thermiques de manière transitoire.
A cette date, le mix énergétique allemand est défini comme suit :
• Production brute en 2011 : 612 milliards KWh.
• Production par sources d’énergie primaire : 19% pour le charbon, 25% pour le lignite, 14% pour le gaz, 18% pour le nucléaire, 6 % pour le pétrole. Les 20% de renouvelables se répartissent ainsi : 8% pour l’éolien, 3% pour le solaire, 6% pour la biomasse, 3% pour l’hydraulique.
• Il est à noter par ailleurs que chacune des 16 provinces a sa propre politique énergétique, ce qui ne facilite pas, a priori, la conduite d’une politique unique et efficace. De plus, le réseau d’acheminement de l’électricité est composé de quatre TSO.



Le tournant énergétique : l’EnergieWende
L’EnergieWende est décidée au cours de l’été 2011. Son application repose sur le Gesetzpaket qui vise à répondre aux enjeux suivants confirmant ainsi l’engagement sociétal pris par la communauté allemande dès 1970 :
• Combattre le changement climatique
• Réduire les importations en énergie
• Stimuler l’innovation technologique et l’économie verte
• Réduire et éliminer les risques de l’énergie nucléaire
• La sécurité énergétique
• Renforcer les économies locales et instaurer la justice sociale
Les principales caractéristiques de cette nouvelle politique énergétique sont les suivantes :



Réduction de la consommation :
• d’électricité de 25 % par rapport à 2008,
• d’énergie primaire de 50 % par rapport à 2008,
• A échéance 2050, un maximum de 20 % de la consommation d’électricité sera importé.
• Ce new deal de l’énergie repose aussi sur :
• une extension accélérée du réseau de transport électrique TSO (du nord (production d’énergie éolienne offshore) vers le sud) acceptée par les populations,
• une fiabilité atteinte des technologies avancées de production d’énergies renouvelables,
• une phase transitoire de production d’énergie à base de charbon et lignite, l’Allemagne étant un pays à fortes ressources en charbon et lignite.

Le bilan de six années d’affrontements informationnels
Afin d’avoir une vision la plus exhaustive possible sur ce vaste sujet, remettons au cœur du débat les nombreux objectifs visés par l’Energiewende en 2011. Ce tournant énergétique visait à l’origine l’abandon du nucléaire considéré comme dangereux, le développement des énergies renouvelables et des industries et services associés, l’utilisation des énergies fossiles de manière transitoire, la construction d’un réseau de transport de l’électricité performant, le développement des modalités de stockage de l’énergie, une évolution comportementale des allemands, la mise en place d’une politique pour des logements moins énergivores et le recours à des énergies vertes pour le transport sous couvert d’un fort soutien politique et financier.
Les premiers résultats … Les chiffres à fin 2016 confirment le changement de paradigme en termes de mix énergétique prôné par l’Energiewende. (35% d’ENRs au premier semestre 2017 - 400000 emplois créés). Néanmoins, ces chiffres ont fait et font toujours l’objet d’intenses débats contradictoires tant le sujet crée la polémique que ce soit concernant l’atteinte des engagements afférents à la baisse des GES, la part encore importante des énergies fossiles dans le mix énergétique allemand mais aussi concernant les emplois en jeu, l’efficacité des énergies renouvelables (éoliens, thermique) que de l’augmentation du coût de l’électricité (la plus chère en Europe).
S’agissant de la puissance énergétique de l’Allemagne, deux forces s’opposent toujours aujourd’hui. Celle prônant une accélération du déploiement des énergies renouvelables et d’un arrêt progressif rapide des énergies fossiles. En effet, la part de production d’électricité issue d’énergie éolienne et solaire a induit une surproduction d’électricité. Cette surproduction ne pouvant être stockées, fautes de moyens suffisants, offre ainsi la possibilité aux pro « energiewende » d’affirmer que l’Allemagne, en maintenant la politique déployée depuis 2011 devrait être en capacité d’autosuffisance énergétique à terme, cette dernière visant un recours à l’import pour 20% au maximum de ses besoins. Celle raillant l’Energiewende met en évidence que les conditions climatiques de l’hiver 2016-2017 (hiver à haute pression atmosphérique) ont un impact très important sur la capacité des énergies renouvelables à produire suffisamment d’électricité pour le réseau allemand. Il est d’ailleurs précisé que ce n’est pas en augmentant la part des énergies vertes que ces difficultés seraient estompées. Par ailleurs, ce camp met en évidence que le changement de paradigme de l’industrie automobile n’a à ce jour eu qu’un impact très faible sur la consommation d’électricité en Allemagne. Enfin, le retard accumulé quant au déploiement d’un nouveau réseau de transport électrique pourrait être à terme être le talon d’Achille de cette politique énergétique audacieuse, les régions industrielles du sud nécessitant un approvisionnement énergétique important des territoires du nord ayant fait l’objet d’un déploiement important de parc éoliens (offshore et terrestre) et solaires.. Le bilan est plutôt en faveur des pro Energiewende.
S’agissant de l’impact sur les GES, deux parties s’opposent toujours aujourd’hui sur le fait que la politique du tournant a ou n’a pas eu d’impact sur les GES. Les pro Energiewende opposent le fait que malgré la croissance économique ayant induit une suractivité industrielle, malgré le recours de manière transitoire aux énergies fossiles et à l’arrêt progressif des centrales à gaz, l’ émission de CO2 n’a ni augmentée ni baissée. Cette dernière précise que l’arrêt des centrales à charbon permettrait d’atteindre les objectifs fixés en 2011. La partie opposée affirme que si le gouvernement ne prend pas de nouvelles mesures, la baisse ne serait au mieux que de 32,5 % en 2020. « Un tel manquement serait un grave revers pour la politique climatique de l’Allemagne ». Le bilan est plutôt en faveur de la partie opposée à l’energiewende.



S’agissant du développement de l’emploi et d’une nouvelle filière, force est de constater que cette dernière a généré la création de 400000 emplois depuis 2011. Néanmoins, les espoirs et investissements reposant sur l’émergence d’une nouvelle filière allemande ont été vains. En effet, les fabricants de dispositifs photovoltaïques disparaissent les uns après les autres compte tenu d’un contexte mondial très concurrentiel. De plus, celui de l’éolien n’est au mieux compte tenu du ralentissement opéré par le pouvoir en place compte tenu de la production d’électricité supérieure au besoin allemand. Enfin, le pouvoir politique allemand adopte un position pouvant être considérée comme schizophrène s’agissant de l’énergie fossile, ce secteur comptant encore un nombre certain d’emplois (production et extraction). Le bilan est donc très mitigé.
S’agissant de l’impact de l’energiewende sur l’économie et le coût de l’énergie, toutes les analyses mettent en évidence un effort considérable en termes d’investissement par l’Etat allemand à savoir près de 1700 milliards d’euros à horizon 2030. En contrepartie, le coût de l’électricité a cru de près de 60% depuis 2011 ; ce qui est pour les entreprises et les consommateurs une charge substantielle nécessitant une évolution/adaptation dans leurs méthodes de consommation énergétique. Cela engendre de fait une baisse de la compétitive des entreprises. Enfin, sans une accélération d’une politique du logement ambitieuse en termes d’économie d’énergie, l’Allemagne restera le pays européen dans lequel le coût de l’électricité, pour le consommateur, est le plus élevé en Europe. Le bilan est très mitigé.
Aujourd’hui, les premiers résultats de l’energiewende sont mitigés. Cette guerre informationnelle et d’influence aura-t-elle raison de la politique volontariste d’Angela Merkel, cette politique s’étant déjà adoucie ces dernières années concernant l’échéance de fermeture des dernières centrales à charbon ? Les discussions en cours concernant la constitution du prochain gouvernement, présidé par Angela Merkel, devraient permettre d’avoir une vision plus précise de la suite donnée au tournant énergétique de 2011, fait unique à l’échelle mondiale.

Eric Laurençon