Les fonds activistes à l’assaut des entreprises européennes

Longtemps associés aux fonds-vautours avec lesquels ils partageaient les mêmes méthodes, les fonds activistes changent depuis plusieurs années de stratégie d’investissement pour devenir des acteurs omniprésents dans le paysage financier et boursiers avec à leur tête des personnalités médiatisés et des opérations de communications d’envergure qui font l’actualité. 

Ces évolutions bouleversent l’ordre établi et la position des investisseurs institutionnels dans les entreprises. Exit les actions purement spéculatives motivées par des montées rapides des cours de bourse et le court-termisme opportuniste. Aujourd’hui, l’activisme actionnarial se définit plutôt sur le moyen et long terme avec des actions d’influence des minoritaires sur la gouvernance, la stratégie, la politique financière ou la gestion des sociétés dans lesquelles ils investissent. Le changement de paradigme s’intensifie puisque désormais contrairement au cloisonnement géographique des actions d’influence, les fonds activistes se globalisent au-delà des frontières. 

Selon les prévisions d’Activist Insight, en Europe, 106 sociétés ont déjà reçu des demandes publiques d’investisseurs activistes en 2016 et la tendance s’accentue en 2017. 72% de ces campagnes ont été dirigées par des fonds américains.  En effet, après avoir fait plier certains poids lourds de Wall Street, les activistes américains sont confrontés à plusieurs freins dans leur pays désormais doté d’une législation anti-fonds activistes.  Leur marché est également devenu concurrentiel, saturé et il reste de profondes interrogations sur la politique de grandes réformes proposées par l’administration Trump notamment au niveau de la fiscalité et de la modernisation des infrastructures. Ils se sont mis à la recherche de diversité et d’opportunités ailleurs. Ainsi leurs investissements à l’étranger se multiplient dans des grands groupes en Europe, mais aussi en Asie avec à titre d’exemple Elliott Management (Paul Singer) dans le sud-coréen Samsung et la Bank of East Asia. Le fonds investit également dans le groupe minier BHP Billiton. 

Stratégie offensive et rapport de force favorable en Europe


Les fonds activistes s’attaquent à des entreprises de toute taille dans tous les secteurs d’activités. Leur cible privilégiée en Europe reste la société possédant des excédents des liquidités et un niveau de distribution peu avantageux pour les actionnaires. Leur investissement à long terme dans les entreprises se fait progressivement et leurs propositions en tant qu’actionnaires minoritaires sont axés autour de la création de valeur, avec des objectifs de rendements supérieurs. Dans de nombreux cas, ils critiquent les décisions de croissance de l’entreprise dans des secteurs éloignés du cœur de métier et/ou sans synergies avec ses domaines d’activités premiers. L’Europe représente un marché très attractif du fait notamment de la stabilité politique, de la convergence des fondamentaux économiques et le boom des transactions de fusion et acquisitions (notamment depuis 2015) qui rend les marchés suffisamment dynamiques pour des investissements à long terme. Les fonds activistes les plus actifs sont Third Point (de Daniel Loeb), Trian Partners (de Nelson Peltz), Muddy Waters (Carson Block), Pershing Square Management. Ces fonds d’investissements jouissent de moyens financiers et humains remarquables comparativement et inquiètent les directions des grands groupes qui généralement ne possèdent que très peu de moyens de défense lorsqu’ils deviennent une cible des actionnaires activistes. En plus des liquidités dont ils disposent, ces fonds américains jouissent d’outils d’évaluation et de méthodes managériales qui leur sont favorables. En effet, leurs propositions en termes de rendement séduisent les autres actionnaires avec lesquels il leur est désormais possible de créer des alliances et paralyser des conseils d’administration ou des directions jugées trop conservatrices ou peu réactives. Ces fonds ont acquis une expertise en matière d’analyse financière et d’évaluation des sociétés qui sont reconnues, voir plébiscitées ce qui leur permet d’isoler les directions qui ne souhaitent pas coopérer. Alors qu’aux Etats-Unis, les conseils d’administration, par expérience, bénéficient de l’assistance de cabinet de conseil rompu aux techniques de déstabilisation des actionnaires activistes, les conseils d’administration et directions des sociétés européenne sont novices en la matière. Les stratégies d’attaque de ces fonds sont rodées et mises en place de façon progressive. Ils approchent discrètement les directions avec des propositions basées sur la création de valeur et qui généralement entrainent licenciements, cessions d’actifs, recentrage d’activités, augmentation des marges d’exploitation et…. Une meilleure politique de redistributions de dividendes aux actionnaires. Lorsque ces recommandations ne sont pas retenues, les divergences avec les directions sont médiatisées et une stratégie de communication agressive en interne et en externe est mise en place pour affaiblir les directions dont les mesures de défense restent réduites face à une crise informationnelle. Le meilleur exemple en la matière pourrait être Nestlé qui subit une pression médiatique intense de la part de Third Point qui tente de lui imposer une amélioration des marges d’exploitation et la cession d’actif dans l’Oréal. Devant cette campagne, le groupe suisse n’a eu comme option que le rachat d’actions pour 20 milliards de francs suisse. 

La législation, point faible des pays européens


L’attractivité économique des pays européens est renforcée par la législation favorable, « amicale » aux actionnaires et les mesures de protection qui lui sont accordées dans les réglementations. Les fonds activistes qui se voient confrontés à une législation hostile aux Etats-Unis, attaquent les entreprises européennes sur la base du droit des actionnaires.  Ils communiquent sur la réappropriation de leurs droits que la loi leur accorde par les actionnaires en contrepartie de leur apport financier et du risque social qu’ils encourent. Ces activistes utilisent les prérogatives que leur donnent le droit des sociétés sur la place de l’actionnaire dans les décisions stratégiques de l’entreprise. Ils utilisent les règles juridiques, pour exploiter les failles qu’elles constituent dans la société-cible dans lesquelles ils sont actionnaires. L’Europe se penche sur la question et travaille sur un ensemble de mesures dissuasives pour contrer ces fonds américains. A titre de comparaison, en Suisse, un vote majoritaire des actionnaires suffit pour l’entrée d’un nouveau membre au conseil d’administration d’une société. Tandis qu’aux Etats-Unis, les « poison pills » (qui rend la prise de contrôle difficile et onéreuse) et les conseils d’administration échelonnés (avec droit de vote différencié) sont des protections, considérées comme illégales ou ignorées en Europe. 

Stratégie d'influence et gouvernance


Dans plusieurs cas de figure, les investisseurs institutionnels et autres actionnaires se montrent de plus en plus réceptifs aux discours des fonds activistes. Tous comprennent que c’est le management des sociétés qui est pris pour cible. Au point de vue structurel, les sociétés cotées souffrent d’un véritable déficit de communication avec les actionnaires minoritaires, voir même les investisseurs institutionnels qui commencent à être séduits par l’approche des fonds activistes et leurs techniques de valorisation de l’entreprise. Les méthodes des fonds activistes basées sur le rapport de force, l’utilisation du droit accordés aux actionnaires, la recherche de rentabilité, font tâche d’huile. Certains actionnaires deviennent eux-mêmes activistes quand ils ne font pas alliance avec des activistes. On peut citer l’exemple du fond souverain norvégien (NGPF), connu pour être plutôt coopératif et souple vis-à-vis des directions qui a voté contre la réélection de Martin Bouygues au conseil d’administration de son groupe, contre la rémunération de Bernard Arnault chez LVMH, D’Antoine Riboud chez Danone et d’Alexandre Ricard chez Pernod Ricard. En utilisant les règles juridiques, les fonds peuvent s’attribuer des places au conseil d’administration et influencer la gouvernance des entreprises, les choix stratégiques et les futures orientations. 

La double menace en France


La France arrive en troisième position en Europe (après le Royaume Uni et l’Allemagne) en termes d’attractivité avec 7 campagnes lancées par les fonds américains jusqu’en septembre 2016 (contre 25 au Royaume-Uni) et 6 en 2015. Safran, Danone, SoLocal ou encore Zodiac constituent les cibles principales. En 2015, Casino avait subi l’offensive de Muddy Waters qui s’attaquait au manque de transparence au niveau de ses marges surestimées et ses problèmes de gouvernance dans sa filiale au Brésil. 

A l’instar des autres pays européens, la France a une législation amicale envers les actionnaires qu’elle a renforcé ses dernières années avec la loi Florange en 2014 (qui accorde un droit de vote double aux investisseurs actionnaires depuis au moins deux ans) et la loi Sapin 2 (2016) qui modifie le « say on Pay » et favorise les intérêts particuliers des actionnaires qui peuvent bloquer une rémunération trop importante des dirigeants. 

L’appétit des fonds activistes est également favorisé par les recompositions actionnariales des grands groupes français en particuliers les fleurons de l’industrie dans les secteurs de l’énergie, des télécoms, de l’agroalimentaire et de la grande distribution. Les fonds activistes et leur stratégie d’influence et de gouvernance qui peuvent compromettre ou faire changer les orientations commerciales et stratégiques des sociétés dans lesquelles ils sont actionnaires, peuvent servir de cheval de Troie à l’ambition ou tentatives de déstabilisation des sociétés concurrentes ou adversaires américaines. 

 

Valérie Houphouet Boigny