Rapport de force économique durable entre l’Italie et la France

Suite à la montée au capital de Vivendi dans deux entreprises italienne (Telecom Italia et Mediaset), différents acteurs de l’économie italienne sont montés au créneau et ont mis en place un véritable système de défense économique pour contrer cette attaque. Le 2 août 2017, la CONSOB (Commisione Nazionale Per Le Societa’ E la Borsa) l’équivalent de notre AMF (Autorité des Marchés Financiers) a lancé une procédure visant à déterminer si Telecom Italia est contrôlé de fait par Vivendi (qui détient 23,9% de Telecom Italia). Cette enquête fait suite à l’obtention en juillet dernier par Vivendi des deux tiers des sièges au conseil d’administration de Telecom Italia. Quelques mois avant la CONSOB, Vivendi a dû interjeter appel d’une décision de l’AGCOM (Autorita Per Le Garanzie Nelle Comunicazioni) concernant ses participations dans Mediaset et Telecom Italia, lui imposant de réduire ses participations dans les deux sociétés italiennes afin de respecter le droit de la concurrence local.
C’est fin 2016 que Vivendi (détenu à un peu plus de 20% par le groupe Bolloré, qui en fait son actionnaire majoritaire) arrive à détenir 23,9% du capital de TelecomItalia, l’équivalent de notre Orange français (ex-France Telecom). Dans le même temps, Vivendi est monté au capital de Mediaset (détenu à presque 40% par Berlusconi et ses proches), à hauteur d’environ 28%.
Cette série d’opérations semble être un problème pour les italiens. Elles contreviendraient au droit italien de la concurrence, et toucherait au secteur stratégique des télécoms, incitant ainsi les autorités italiennes à réagir à l’aide de plusieurs outils de défense. Ce litige intervient alors même que des échanges ont lieu entre la France et l’Italie pour sur le dossier STX et Fincantieri. Depuis une dizaine d’année, les investissements français en Italie croissent pour atteindre en 2016 environ 50 millions d’euros. Une telle situation a soulevé des inquiétudes au sein d’un pouvoir politique italien soucieux de protéger l’économie locale. L’affaire Telecom Italia / Vivendi en est un bon exemple.

Vivendi à l’épreuve du droit de la concurrence italien
C’est en 2016 que Vivendi va monter au capital de Mediaset, entreprise majeure des télécoms en Italie, sous drapeau berlusconien. Dans le même temps, Vivendi va aussi monter au capital de Telecom Italia, autre acteur majeur des télécoms italiens. Cette première bataille va s’engager entre l’Etat italien au travers de l’AGCOM et Vivendi. L’autorité de régulation italienne a demandé à l’entreprise française de réduire ses participations dans l’une des deux entreprises dans lesquelles le groupe français est monté au capital (l’AGCOM souhaite que le français réduise ses parts pour ne pas dépasser la barre des 10%). Au choix, Telecom Italia ou Mediaset sous peine de sanctions financières importantes (jusqu’à 5% du CA soit plus de 500 millions d’Euros). Peu de temps auparavant, suite à la montée en capital de Vivendi dans Mediaset, l’actionnaire majoritaire de l’entreprise italienne, Fininvest (Berlusconi), a attaqué Vivendi devant les autorités italiennes pour « manipulation de marché » arguant ainsi une manipulation des cours de l’action de Mediaset ayant permis une montée en capital moins couteuse pour le groupe français. Pour rappel, un dossier épineux touche les relations entre Vivendi et Mediaset depuis l’été 2016, où le groupe français n’a pas respecté un accord concernant la prise de contrôle de Mediaset Prenium. Le groupe Mediaset à travers son actionnaire majoritaire Fininvest veut joindre les deux procédures.
Hommes d’affaires, politiques, et administration, coordonnés pour contrebalancer le pouvoir potentiel des entreprises françaises.

L’attaque juridique italienne
Suite à une enquête de la CONSOB, le 13 septembre dernier, celle-ci estime que Vivendi exerce un contrôle de fait sur l’entreprise Telecom Italia. Cette décision fait suite à la prise de participation de 23,9% du capital de Telecom Italia et de la nomination en juin des hommes de Vivendi. Ce qui est reproché à Vivendi, et donc au Groupe Bolloré, c’est de ne pas avoir notifié aux autorités italiennes leur prise de contrôle effective, notamment à la suite de l’obtention des deux tiers des sièges au conseil d’administration de l’entreprise italienne. Cette obtention a ainsi permis de positionner Arnaud de Puyfontaine en tant que président de l’exécutif et Amos Genish, comme directeur des opérations, ces derniers provenant du clan Bolloré.
Cependant, cette notification a été faite à l’Union-Européenne, sans être faite à l’Italie. Un débat juridique est donc en cours afin de déterminer si le groupe français était dans l’obligation ou non de notifier sa prise de participation dans Vivendi. Selon Vivendi, le droit italien ne le prévoit pas d’après Vivendi (Art. 2359 du Code civil italien). Toujours est-il que l’exécutif italien, au-travers de la CONSOB a lancé la procédure pour aboutir à la conclusion susvisée précédemment. Celle-ci expose donc le groupe français à une amende représentant 1% de son chiffre d’affaire, soit environ 300 millions d’euros. Mais ce n’est pas tout, cette prise de contrôle pourrait obliger Vivendi à consolider les 25 milliards de dettes de l’entreprise italienne.

Une volonté politique et économique de protéger les intérêts stratégiques de l’Italie
Le cas que nous étudions ici doit être analysé vis-à-vis du contexte politique et économique entre la France et l’Italie. Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’Italie fait face à la tendance française d’investissement en Italie. Déséquilibre manifeste des investissements sur ces dix dernières années, on peut constater que les groupes français investissent 7 fois plus en Italie que les groupes italiens en France (Ex : sur la seule entreprise Telecom Italia, on retrouve le groupe Iliad et Bolloré aux manettes). La stratégie d’attaque française et en l’occurrence Vivendi a pour but en l’espèce de créer un poids lourd du média sud-européen dans un secteur mature, et où de nouveaux concurrents font surface, tel que Netflix.
Cette tendance, cumulée au contexte économique peu stable de l’Italie a eu pour effet de forcer le gouvernement italien à entreprendre une posture de défense autour de ses secteurs et entreprises considérées stratégiques. Illustration de la volonté de protéger son tissu économique, l’Italie a ainsi adopté une loi dite « Golden Power » visant à intervenir sur des secteurs considérés stratégiques en activant son veto sur certaines opérations financière, boursières, etc. Or, les secteurs stratégiques concernés par cette loi sont en principes les secteurs de défenses.
En l’espèce, cette loi vise surtout à protéger une filiale « stratégique » de Telecom Italia : Telecom Sparkle, qui dispose un réseau de câbles de télécommunication sous-marin reliant la péninsule italienne à d’autres pays. C’est pourquoi, le gouvernement italien devrait réfléchir lundi 14 octobre sur une éventuelle utilisation du « golden power » concernant Sparkle (voir ci-dessus). Dans le même temps, AGCOM travail sur une possible séparation de Sparkle avec Telecom Italia, et ainsi créer une entité juridique propre à Sparkle.
Ce qui est intéressant dans cette histoire Franco-Italienne, c’est de voir que l’administration italienne (du gouvernement à la justice) et ses entreprises se sont organisées de concert afin de faire face à une attaque économique extérieure. La mise en route de moyens de défense économique de la part de l’Italie n’est pas seulement une volonté de l’Etat d’éviter de perdre la main sur des secteurs stratégiques. Cette procédure peut aussi s’interpréter comme un moyen pour l’Etat italien de favoriser Mediaset dans ses négociations avec le géant français. En effet, cette pression de l’administration italienne et de la famille Berlusconi (par voie judiciaire) oblige Vivendi à négocier, moins dans son intérêt que dans celui des italiens. C’est une épée de Damoclès qui est placée sur le groupe français, puisque s’il ne satisfait pas les exigences italiennes, il pourrait se voir infliger l’ensemble des amendes citées.

Un cas à analyser en perspective de l’affaire STX / Fincantieri.

Ce fût l’histoire de l’été 2017, les tractations entre la France et l’Italie pour la vente de STX à Fincantieri ont envenimé les relations transalpines. Comme nous venons de l’expliquer, au cours de ces dernières années la France a beaucoup plus investi en Italie, que l’Italie en France. Or, le contexte politique italien engendre aussi le besoin pour le gouvernement de redoré le blason de l’Italie sur la scène économique internationale, notamment par son industrie navale.
En voyant les réticences des français à l’achat à la reprise de STX par Financtieri, les relations entre les deux gouvernements se sont tendues. Or, fin septembre avec l’accord trouvé en France, lors de la rencontre des deux ministres de l’économie, un compromis a été trouvé. Désormais, d’après le contrat-cadre fixé, l’Etat français prêtera le pourcentage manquant à Financtieri pour avoir le contrôle de STX tout en se gardant le droit de retirer aux italiens cette part, si et seulement si ces derniers ne respectent pas une série de trajectoire fixée par la France.
La question que l’on peut se poser est de savoir si le compromis trouvé entre les deux Etats peut avoir une influence positive sur l’affaire Vivendi ? Aucune réponse ne peut être apporté pour le moment. Toujours est-il que le 5 octobre 2017 une perquisition est menée par la police française au sein des locaux de Vivendi dans l’affaire l’opposant à Fininvest (Berlusconi). Cette nouvelle montée en tension par voie judiciaire montre que les divergences sont encore non résolues.
Cette contraction des acteurs économiques italiens démontre sûrement la prise de conscience du gouvernement italien face aux attaques françaises de ces dix dernières années. En effet, depuis une décennie, les investissements français en Italie sont très importants. On constate qu’environ 50 milliards d’euros sont investis en Italie par les entreprises françaises engendrant ainsi la prise de contrôle de plus de 150 entreprises italiennes par ces dernières (Respectivement, les entreprises italiennes n’ont investi seulement 18 milliards représentant ainsi que la moitié des acquisitions françaises (environ 70 entreprises). La France représente donc 1/5ème du stock d’IDE italien. Des voix dans la classe politique italienne commence à s’élever en sommant une réaction du gouvernement de Renzi : « ces dernières années, nos cousins transalpins ont acheté la moitié de l’Italie sans qu’aucune objection ne soit soulevée de la part de notre gouvernement ». Et pourtant, l’Italie a besoin des investissements étrangers car son économie n’est pas sortie indemne de la crise de 2008 mais dans le même temps, elle a tenté de créer un fond souverain pour garder la main sur ses entreprises, sans pour autant avoir un grand effet.

Une possible voie d’accord, signe d’un tour de force des italiens ?
Deux options d’accords semblent se manifester, la première serait le versement de dommages-intérêts à Mediaset, la seconde serait de faire participer Mediaset au projet de co-entreprise entre TelecomItalia, Vivendi, et Canal+. La deuxième hypothèse est la plus symptomatique de la volonté italienne de protéger ses entreprises. En effet, inclure une entreprise italienne dans cette co-entreprise permet de garder un certain pouvoir sur celle-ci. Mediaset réussirait donc à réduire l’attaque concurrentielle de Vivendi. Mais l’affrontement entre Vivendi, Mediaset et l’administration italienne n’est pas résolu. Même si des tractations sont en cours, les procédures judiciaires et administratives ne sont pas suspendues. Il est encore difficile de pouvoir donner un avis sérieux et fiable sur les suites de cette affaire. Une chose est sûre, les espérances de Vivendi, et plus globalement du groupe Bolloré sont réduites. L’Etat italien ainsi que Mediaset sont substantiellement en position de force en réussissant à calmer les ardeurs du groupe français, au moins pour un temps. Le message est clair, les Français ne peuvent pas attaquer ce marché des télécoms sans aucune réaction de défense de la part de l’Italie.