Les sociétés multinationales sont loin d’échapper à la guerre de l’information qui sévit dans la sphère économique. Force est de constater que les grands groupes restent généralement passifs dans ce domaine devenu stratégique. Royal Dutch Shell est en effet la cible récurrente de campagnes informationnelles, en particulier concernant ses activités au Nigéria. Néanmoins, et malgré les revers financiers subis au cours des dernières années, la compagnie ne semble toujours pas tirer les enseignements nécessaires des campagnes de déstabilisation dont elle a fait et continue de faire l’objet.
Controverses autour de l’acquisition du champ pétrolier le plus prometteur du Nigéria
Dans un rapport publié le 10 avril 2017, Global Witness et Finance Uncovered mettent en accusation les sociétés pétrolières Shell et ENI pour corruption au Nigéria. Selon les deux organisations non gouvernementales, en 2011, le pétrolier anglo-néerlandais Shell et son partenaire italien de joint-venture ENI ont payé 1,1 milliard de dollars pour l’acquisition du bloc de pétrole off-shore OPL 245, recelant près de 9 milliards de barils de réserves. Or, l’argent versé sur un compte de la banque JPMorgan, ouvert par le gouvernement du Nigéria au Royaume-Uni aurait été redistribué à différentes personnalités nigérianes sous forme de pots-de-vin via la société Malabu Oil & Gas (MO&G) de l’ancien ministre du pétrole, Dan Etete. Ce dernier s’était octroyé de manière illégale la propriété du champ pétrolifère en 1998 par le biais de cette compagnie, dont il était l’actionnaire principal. Durant toute la décennie suivante, OPL 245 fait l’objet de tractations entre Shell et la société MO&G. En 2010, le président de l’époque, Goodluck Jonathan, relance les négociations ; Shell et ENI obtiennent finalement les droits d’exploitation, dans des conditions présentées comme douteuses. La somme versée par Shell et ENI n’aurait donc pas profité au peuple nigérian (qui n’a d’ailleurs jamais réellement bénéficié des retombées de la manne pétrolière), mais à plusieurs membres ou proches du gouvernement (dont Goodluck Jonathan).
Réponse en demi-teinte de Shell
Dans leur étude intitulée « Shell savait », dont le fondement repose sur la fuite d’emails envoyés entre les dirigeants des compagnies pétrolières, Global Witness et Finance Uncovered mettent en lumière les malversations qui entourent l’affaire. Leur stratégie de communication repose essentiellement sur une volonté de transparence, l’éthique et l’affect. Les deux ONG soulignent en effet que le montant d’achat des droits sur OPL 245 équivaut au budget de la santé du Nigéria en 2016, alors même que le pays est en proie à la famine et aux épidémies. De leur côté, Shell et ENI réfutent toute allégation de corruption, bien que les investigations révèlent l’existence d’opérations suspectes avec Dan Etete. Shell a fini par reconnaître l’implication de M. Etete dans la négociation du contrat. Néanmoins, en adoptant une stratégie de communication a minima, voire opaque, Shell et ENI négligent l’impact de l’attaque informationnelle, probablement par procédure et effet de routine. La communication de Shell repose d’ailleurs sur les éléments de langage classiques (« Shell attache la plus grande importance à l’intégrité des affaires. Il s’agit de l’une de nos valeurs fondamentales et d’un principe central qui régit la manière dont nous conduisons nos affaires », communiqué en réponse aux allégations de corruption). Une autre hypothèse est possible : au Nigéria, la presse est essentiellement utilisée comme levier pour obtenir davantage des agents économiques. Pour éviter de rentrer dans un « jeu de dupes », Shell a peut-être privilégié une communication discrète afin d’éviter la récupération politique du phénomène de corruption, bien qu’il s’agisse d’une pratique normalisée au Nigéria. Quoi qu’il en soit, si le conflit reste discret, les enjeux économiques et financiers sont pourtant colossaux et des erreurs d’appréciation dans la gestion d’une telle attaque informationnelle représentent un risque très important. Un management inadapté aux techniques modernes de guerre de l’information et surtout aux nouvelles formes de rapport de force expliquent en partie les fautes d’appréciation que peuvent commettre les acteurs économiques.
Une passivité risquée du pétrolier face à l’impact des attaques informationnelles
Force est de constater que les groupes épistémiques (ONG, société civile, etc.) inondent actuellement le paysage informationnel. Il est donc crucial que ce facteur soit pris en compte dans la stratégie des entreprises, dont la réputation – et de fait, les activités – peuvent être sérieusement mises à mal en cas d’opération de guerre de l’information réussie. Le cas de Shell au Nigéria est assez édifiant à de nombreux égards, dès lors que la compagnie a été la cible, dans ce même pays, de plusieurs attaques informationnelles, mais ne semble pas avoir adapté ses pratiques pour autant. En 2008, des fermiers nigérians soutenus par une organisation environnementale avaient poursuivi Shell en justice, mettant le Groupe en cause dans des fuites d’oléoducs ayant ravagé les cultures des communautés alentours dans le delta du Niger. La stratégie de communication, déclinée en plusieurs temps (déni – minimisation – aveux), avait été néfaste en termes d’image. Toutefois, la reconnaissance de responsabilité et l’indemnisation des victimes avaient désamorcé le conflit. Plus récemment, en août 2017, un site pétrolier de l’entreprise au Nigeria a été occupé par plusieurs centaines de manifestants réclamant des emplois et des projets de développement d’envergure régionale. Ces quelques exemples démontrent une méconnaissance, voire un certain mépris ou une inadaptation au contexte local, bien que Shell soit implanté au Nigéria depuis plus de soixante ans. Jusqu’à présent, Shell semble avoir fait preuve d’une certaine résilience. Or, dans un monde où tout le monde communique sur tout, une telle approche n’est pas viable ; les actions de ce type sont susceptibles de faire subir aux acteurs économiques une détérioration passagère ou durable de leur image sur les marchés internationaux.
Controverses autour de l’acquisition du champ pétrolier le plus prometteur du Nigéria
Dans un rapport publié le 10 avril 2017, Global Witness et Finance Uncovered mettent en accusation les sociétés pétrolières Shell et ENI pour corruption au Nigéria. Selon les deux organisations non gouvernementales, en 2011, le pétrolier anglo-néerlandais Shell et son partenaire italien de joint-venture ENI ont payé 1,1 milliard de dollars pour l’acquisition du bloc de pétrole off-shore OPL 245, recelant près de 9 milliards de barils de réserves. Or, l’argent versé sur un compte de la banque JPMorgan, ouvert par le gouvernement du Nigéria au Royaume-Uni aurait été redistribué à différentes personnalités nigérianes sous forme de pots-de-vin via la société Malabu Oil & Gas (MO&G) de l’ancien ministre du pétrole, Dan Etete. Ce dernier s’était octroyé de manière illégale la propriété du champ pétrolifère en 1998 par le biais de cette compagnie, dont il était l’actionnaire principal. Durant toute la décennie suivante, OPL 245 fait l’objet de tractations entre Shell et la société MO&G. En 2010, le président de l’époque, Goodluck Jonathan, relance les négociations ; Shell et ENI obtiennent finalement les droits d’exploitation, dans des conditions présentées comme douteuses. La somme versée par Shell et ENI n’aurait donc pas profité au peuple nigérian (qui n’a d’ailleurs jamais réellement bénéficié des retombées de la manne pétrolière), mais à plusieurs membres ou proches du gouvernement (dont Goodluck Jonathan).
Réponse en demi-teinte de Shell
Dans leur étude intitulée « Shell savait », dont le fondement repose sur la fuite d’emails envoyés entre les dirigeants des compagnies pétrolières, Global Witness et Finance Uncovered mettent en lumière les malversations qui entourent l’affaire. Leur stratégie de communication repose essentiellement sur une volonté de transparence, l’éthique et l’affect. Les deux ONG soulignent en effet que le montant d’achat des droits sur OPL 245 équivaut au budget de la santé du Nigéria en 2016, alors même que le pays est en proie à la famine et aux épidémies. De leur côté, Shell et ENI réfutent toute allégation de corruption, bien que les investigations révèlent l’existence d’opérations suspectes avec Dan Etete. Shell a fini par reconnaître l’implication de M. Etete dans la négociation du contrat. Néanmoins, en adoptant une stratégie de communication a minima, voire opaque, Shell et ENI négligent l’impact de l’attaque informationnelle, probablement par procédure et effet de routine. La communication de Shell repose d’ailleurs sur les éléments de langage classiques (« Shell attache la plus grande importance à l’intégrité des affaires. Il s’agit de l’une de nos valeurs fondamentales et d’un principe central qui régit la manière dont nous conduisons nos affaires », communiqué en réponse aux allégations de corruption). Une autre hypothèse est possible : au Nigéria, la presse est essentiellement utilisée comme levier pour obtenir davantage des agents économiques. Pour éviter de rentrer dans un « jeu de dupes », Shell a peut-être privilégié une communication discrète afin d’éviter la récupération politique du phénomène de corruption, bien qu’il s’agisse d’une pratique normalisée au Nigéria. Quoi qu’il en soit, si le conflit reste discret, les enjeux économiques et financiers sont pourtant colossaux et des erreurs d’appréciation dans la gestion d’une telle attaque informationnelle représentent un risque très important. Un management inadapté aux techniques modernes de guerre de l’information et surtout aux nouvelles formes de rapport de force expliquent en partie les fautes d’appréciation que peuvent commettre les acteurs économiques.
Une passivité risquée du pétrolier face à l’impact des attaques informationnelles
Force est de constater que les groupes épistémiques (ONG, société civile, etc.) inondent actuellement le paysage informationnel. Il est donc crucial que ce facteur soit pris en compte dans la stratégie des entreprises, dont la réputation – et de fait, les activités – peuvent être sérieusement mises à mal en cas d’opération de guerre de l’information réussie. Le cas de Shell au Nigéria est assez édifiant à de nombreux égards, dès lors que la compagnie a été la cible, dans ce même pays, de plusieurs attaques informationnelles, mais ne semble pas avoir adapté ses pratiques pour autant. En 2008, des fermiers nigérians soutenus par une organisation environnementale avaient poursuivi Shell en justice, mettant le Groupe en cause dans des fuites d’oléoducs ayant ravagé les cultures des communautés alentours dans le delta du Niger. La stratégie de communication, déclinée en plusieurs temps (déni – minimisation – aveux), avait été néfaste en termes d’image. Toutefois, la reconnaissance de responsabilité et l’indemnisation des victimes avaient désamorcé le conflit. Plus récemment, en août 2017, un site pétrolier de l’entreprise au Nigeria a été occupé par plusieurs centaines de manifestants réclamant des emplois et des projets de développement d’envergure régionale. Ces quelques exemples démontrent une méconnaissance, voire un certain mépris ou une inadaptation au contexte local, bien que Shell soit implanté au Nigéria depuis plus de soixante ans. Jusqu’à présent, Shell semble avoir fait preuve d’une certaine résilience. Or, dans un monde où tout le monde communique sur tout, une telle approche n’est pas viable ; les actions de ce type sont susceptibles de faire subir aux acteurs économiques une détérioration passagère ou durable de leur image sur les marchés internationaux.