L’objet de cette étude est de comprendre les tenants du renforcement récent du groupe Bolloré en Afrique, par le rachat de l’un de ses sérieux concurrents français, le groupe Necotrans. Après des années de concurrence acharnée dans le secteur de la logistique et du transport en Afrique, mêlant rapports de force économique, financier, politique et judiciaire, Bolloré a réussi à mettre à terre son concurrent. En août 2017, le groupe annonce le rachat de Necotrans. Selon une source proche du dossier, le montant de cette acquisition serait de 3 millions d’euros, somme qui paraît modique lorsque l’on sait que Necotrans réalise plus de 830 millions d’euros de chiffre d’affaire.
Comment peut-on donc expliquer les raisons qui ont mené le groupe Necotrans, pourtant fort de plus de trente années d’expérience et de succès en Afrique, à être racheté pour une bouchée de pain ?
Les parties prenantes
D’un côté Necotrans, crée en 1985 par Richard Talbot, et dirigé depuis la mort de celui-ci en 2013 par Grégory Quérel, est un des leaders de la logistique et du transport dans le monde, et est présent majoritairement en Afrique, lieu particulièrement stratégique pour la croissance externe du groupe. Fort d’un chiffre d’affaire proche du milliard, d’une présence dans 39 pays et de 5000 collaborateurs, Necotrans s’est inscrit comme un acteur incontournable du secteur.
De l’autre côté, un poids lourd de l’économie française, le groupe Bolloré, crée il y a déjà plus de 150 ans. Au chiffre d’affaire plus de dix fois supérieur à celui de Necotrans, et fort de 55000 salariés dans le monde, Bolloré est un leader dans le transport et la logistique, mais aussi dans des activités très diversifiées, tels que les médias et les télécommunications, ce qui en fait un groupe très influent. Présent dans une quarantaine de pays africains, Bolloré Africa Logistics est omniprésent sur le continent.
Notre rapport de force se déroule dans un secteur hautement stratégique, enjeu de pouvoir économique et politique. Depuis les années 1990, sur les recommandations du Fond Monétaire International et de la Banque Mondiale, les concessions portuaires du continent ont été privatisées. Connaissant la part du commerce maritime dans le commerce africain (plus de 90% des exportations et des importations), le contrôle des ports permet de générer des revenus conséquents, entre devises et liquidités, mais aussi d’influencer de nombreux acteurs, en particulier les pays sans accès aux mers, dépendant des entrées maritimes pour leurs approvisionnements. Groupe de stature mondiale, il est aisé de comprendre le poids stratégique du contrôle des ports africains dans la stratégie globale de Bolloré.
Le secteur est également hautement compétitif. Necotrans est loin d’être le seul concurrent sérieux de Bolloré sur le continent. Alors que la plupart des installations dans le secteur datent des années 1970, il existe un réel besoin en investissements dans de nombreux lieux, comme Conakry, San Pedro, Abidjan, Kribi. Le terminal à conteneur en eau profonde de ce dernier, remporté en juillet par un consortium franco-chinois (Bolloré, China Engineering Company et CMA-CGM), prévoit d’investir pas moins de 574 millions de dollars. Or, des consortiums ne sont pas toujours retenus, et les Chinois, bien que gagnant progressivement de l’importance en Afrique, ne sont pas les uniques concurrents. Il est aussi nécessaire de citer l’italo-suisse MSC, qui a récemment remporté la concession du port de San Pedro pour les trente-cinq prochaines années, et qui prévoit d’investir 500 millions d’euros dans son extension, ainsi que le danois APM Terminals, filiale de l’armateur Maersk. Le secteur connaît donc de forts enjeux, la concurrence y est rude et les places y sont limitées. Ainsi, tous les coups sont permis, et Necotrans, qui s’était positionné dans une stratégie de challenger face à Bolloré, vient de l’apprendre à ses dépens. Revenons en 2011, aux origines de ce qu’est devenu un véritable rapport de force, voyant six années plus tard le groupe Necotrans se faire absorber par Bolloré.
Necotrans expulsé du port de Conakry au profit de Bolloré
Le 8 mars 2011, la société Getma, filiale de Necotrans, est expulsée manu militari du port de Conakry, qu’elle exploitait légalement depuis 2008, après un appel d’offre gagné contre Bolloré Africa Logistics.
Cette décision d’expulsion est venue directement de la présidence guinéenne, par un décret signé de la main du Président nouvellement élu, Alpha Condé. L’on a pu croire brièvement qu’il s’agissait d’une simple nationalisation. Or, deux jours plus tard, le 10 mars 2011, une nouvelle concession de 25 ans était accordée au groupe Bolloré.
Comment expliquer un tel retournement ? Sachant que le 3 février 2011, Bolloré était reçu au port autonome de Conakry par le nouveau président guinéen, ainsi que dans sa résidence personnelle, et que le 22 mars, celui-ci était reçu en grande pompe à Paris par le Président Sarkozy.
Les contradictions politiques
Il est évident ici qu’il y eut un rôle majeur du politique français, qui a cherché à favoriser Bolloré. Selon une source proche du dossier, il s’agit d’un conflit interne entre les anciennes équipes chiraquiennes et les nouvelles équipes de l’époque, sarkozystes. D’un côté entre Pierre-André Wiltzer, conseiller de la présidence de Necotrans jusqu’en 2017, ancien député de l’Essonne et ancien ministre de la coopération et de la Francophonie du gouvernement Raffarin, et de l’autre le Président Sarkozy, grand ami de Vincent Bolloré, comme nous le rappelle son passage sur son yacht peu après son élection en 2007, et Bernard Kouchner, que le Président Condé appelle son « frère jumeau ». Les deux hommes se sont en effet connus au lycée Turgot dans les années 1960.
Pierre-André Wiltzer, bien que proche du Président Condé, fut complètement dépassé par les événements et par la force du réseau sarkozyste en place. Présent auprès de Bernard Kouchner au moment de l’investiture du Président Condé, il raconte : « Nous étions déjà au courant de son intention d'annuler la concession et d'exaucer Bolloré. J'ai essayé de le prendre à part et d'argumenter, mais il m'a renvoyé vers un fonctionnaire du ministère guinéen des Transports qui m'a reçu le lendemain et ne m'a plus jamais reparlé ». Bernard Kouchner, premier ministre des affaires étrangères du quinquennat Sarkozy, a essayé de pousser la Guinée vers l’organisation d’élections libres, avec succès, espérant voir son vieil ami être élu. Puis, après son passage au gouvernement, Bernard Kouchner devient conseil du futur Président Condé, qui sera intronisé président un mois après le départ de Kouchner du gouvernement.
Autre coïncidence troublante, il est de notoriété public que le Président Condé a effectué sa campagne présidentielle avec un soutien médiatique de poids, le groupe Euro RSCG de l’époque (aujourd’hui Havas Worldwide), filiale de Bolloré. Cela vaudra à Bolloré de faire l’objet d’une enquête par la justice française, sur soupçons de liens entre la campagne présidentielle d’Alpha Condé, et la reprise de la concession du port de Conakry.
La stratégie de Necotrans
Suite à l’incident de Conakry, afin d’éviter les guerres franco-françaises, il a été décidé d’associer les deux groupes, ce qui s’est traduit par des réponses communes à des appels d’offre dans les exploitations portuaires et la logistique, le port de Kribi illustrant parfaitement ceci.
Cependant, le 16 mars 2011, Necotrans décide de ne pas en rester là, et porte plainte auprès du procureur de la République de Paris, pour des faits de « corruption internationale ».
De son côté, Bolloré se défend, soulignant la légalité de leur nouvelle concession, et contre-attaque Necotrans par le biais de son avocat, « Nous engagerons des plaintes contre tous les propos inqualifiables et scandaleux de Necotrans, qui organise une campagne pour salir une entreprise du CAC 40 et obtenir de l'argent. Il est inadmissible de faire croire qu'un groupe comme Bolloré ait pu corrompre un chef d'Etat étranger ».
Necotrans remportera un grand nombre de ses combats judiciaires, qui s’étaleront sur six années. Ainsi, le 10 octobre 2013, Bolloré fut condamné par la justice française à verser 2,1 millions d’euros à Necotrans, contre 100 millions initialement demandés, au titre des investissements réalisés par Necotrans ayant profités à Bolloré après la reprise de la concession. En revanche, le tribunal de commerce de Nanterre jugera que Bolloré n’a pas reçu de complicité de l’Etat guinéen, et qu’en aucun cas l’hypothèse de la concurrence déloyale ne saurait être retenue.
Le 22 mai 2014, la Guinée fut condamnée par le tribunal de la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) à payer 38 millions d’euros à Necotrans. Or, cette décision sera annulée l’année suivante pour vice de procédure.
Enfin, le 16 août 2016, le tribunal d’arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a donné raison à Necotrans contre la Guinée, mais ne lui a accordé que 448 834 euros, alors que le préjudice était encore une fois estimé à 100 millions.
Pourtant, malgré plusieurs condamnations de ses opposants, Necotrans ne se remettra jamais de la perte de Conakry. Cette expulsion fut un coup dur pour le groupe, qui y perd une de ses exploitations les plus rentables, ainsi que 30 millions d’euros d’investissements.
En parallèle, pour se relancer, le groupe décide de diversifier ses activités. Après le décès du fondateur Richard Talbot, Grégory Quérel est nommé Président-Directeur Général du groupe en novembre 2013 par Sophie Talbot, la fille héritière. Celui-ci lance un grand plan stratégique pour relancer le groupe enclin à des problèmes financiers. Celui-ci est très endetté, mais fait assez de chiffre pour rembourser ses créanciers.
Grégory Quérel décide de lancer un grand plan d’emprunt auprès des banques pour développer le groupe. Ce plan de 110 millions d’euros sur cinq ans axe la stratégie du groupe dans les domaines de la logistique pétrolière, de la gestion des terminaux portuaires en vrac et de la sous-traitance minière. Le groupe acquiert à ce moment la Mining Company Katanga, entreprise clef de la chaîne logistique du cuivre. Il fait également alliance en 2016 avec le logisticien américain JAS, afin de renforcer sa présence mondiale, entre l’Asie, l’Amérique et l’Afrique.
Cependant, cette stratégie s’avèrera inefficace. Depuis la disparation du fondateur, le groupe connaît une difficile restructuration, entre cessions, licenciements, expropriations, et acquisitions peu rentables.
Confronté à des problèmes de trésorerie, Necotrans cède fin 2015 la Mining Company Katanga à Bolloré Transports Logistics. En novembre 2016, ses parts de la Société des Terminaux de Conteneur du Gabon (STCG) sont vendues à Bolloré pour 40 millions d’euros, une belle affaire pour l’industriel breton, déjà très présent au Gabon.
La défaite deNecotrans
En mai 2017, Necotrans décide de renoncer à la procédure d’appel en cours contre Bolloré. Au final, le feuilleton judiciaire n’aura pas permis à Necotrans de se remettre de la perte de Conakry et de ses difficultés internes. Alors que des centaines de millions d’indemnités étaient demandés, Necotrans ne recevra qu’à peine quelques centaines de milliers d’euros.
Confronté de surcroît à un problème de conjoncture, avec la baisse à l’été 2015 des cours des minerais et des hydrocarbures, l’activité du groupe plonge. Endetté à hauteur de 190 millions d’euros, et possédant des créances dites vendeurs de 90 millions d’euros, sans compter 24 millions d’euros bloqués par les autorités angolaises, l’entreprise est obligé dans un premier temps de mettre en place des plans de licenciements. Ceux-ci sont insuffisants, et Sophie Talbot décide de confier à la Banque Rothschild un mandat de cession, contre l’avis de sa direction, dévoilant ainsi au public les difficultés internes du groupe.
Toutefois, aucun plan de reprise ne sera accepté, malgré trois offres du fond Abraaj, de l’agence spéciale Tanger Méditérranée (TMSA, Maroc) et d’OLAM, et faute de repreneur, le groupe sera placé en liquidation judiciaire partielle le 29 juin 2017.
Bolloré s’est renforcé considérablement en Afrique. Il possède désormais des participations dans le terminal sec de Burkinabé (TRBC), dans la société camerounaise Douala International Terminal, dans la société de manutention de Cotonou (SMTC), dans le terminal routier à Abidjan (terra), mais aussi des actifs sénégalais dans l’Oil et le gaz. Bolloré devient également actionnaire majoritaire du Lomé Container Termian et du Port fluvial de Brazzaville (TBC). Il reprend aussi le nom de Necotrans et son siège parisien. Si Alpha Condé n’avait pas été élu Président, il est peu probable que Bolloré eut repris Necotrans. Il s’agit donc ici d’un véritable rapport de force, entre d’un côté un grand groupe mondial, très influent politiquement, et à la surface financière importante, et de l’autre, une grande PME, dirigée comme une entreprise familiale jusqu’au décès de Richard Talbot, qui n’a su contester les exactions de ses concurrents en justice, et qui n’a pu résister ni à ses difficultés internes, ni aux attaques de Bolloré.
Références
Le Monde, 08/06/2011, Guinée : comment Bolloré a mis la main sur le port de Conakry.
Jeune Afrique, 16 avril 2013, Port de Kribi : Necotrans et Bolloré en concurrence.
Jeune Afrique, 27 mai 2014, Port de Conakry : Getma fait condamner la Guinée.
Jeune Afrique, 8 août 2014, Necotrans, 110 millions d’euros pour un come-back.
Jeune Afrique, 1 décembre 2014, Grégory Quérel : « dorénavant, Necotrans n’investira que dans des pays stables ».
Jeune Afrique, 26 août 2015, Port de Kribi : les français Bolloré et Necotrans remportent officiellement la bataille.
Jeune Afrique, 11 décembre 2015, Avec Grégory Quérel, Necotrans suit le filon minier.
Jeune Afrique, 27 janvier 2016, Necotrans défend ses tarifs au port de Dakar.
RFI, 13 avril 2016, l’Empire Bolloré : de la logistique aux médias.
Jeune Afrique, 06 mai 2016, Logistique : Necotrans étend la voilure en Afrique.
Jeune Afrique, 01 septembre 2016, Port de Conakry : toute petite victoire pour Necotrans devant le Cirdi.
Le Monde, 16 septembre 2016, Bolloré : la saga du port maudit de Conakry.
Jeune Afrique, 10 novembre 2016, Port de Kribi-Tensions entre le Français Necotrans et les Camerounais de KPMO.
Jeune Afrique, 28 novembre 2016, Gabon : Bolloré reprend les parts de Necotrans dans le terminal à conteneurs d’Owendo.
Jeune Afrique, 2 mars 2017, Infrastructures : le retour en force des groupes français au Sénégal.
Jeune Afrique, 29 mai 2017, Guinée : à Conakry, Necotrans enterre la hache de guerre avec Bolloré.
Jeune Afrique, 29 mai 2017, Logistique : quel avenir pour le groupe français Necotrans ?
Jeune Afrique, 27 juin 2017, Necotrans demande un redressement judiciaire de ses sociétés françaises.
Challenges, 11 juillet 2017, CMA CGM, Bolloré... Necotrans dans le viseur des groupes français
Les Échos, 25 août 2017, Le « consortium Bolloré » a été désigné pour la reprise partielle de Necotrans.
Jeune Afrique, 26 août 2017, Bolloré-Necotrans : remorquage et sauvetage par temps de brume.
L’Opinion, 29 août 2017, Avec le rachat de Necotrans, Bolloré réalise un joli coup en Afrique.
RFI, 31 août 2017, Avec le rachat de Necotrans, Bolloré se renforce en Afrique.
Jeune Afrique, numéro 2955, 27 août au 2 septembre 2017, Contexte : bataille acharnée sur la façade ouest.
Comment peut-on donc expliquer les raisons qui ont mené le groupe Necotrans, pourtant fort de plus de trente années d’expérience et de succès en Afrique, à être racheté pour une bouchée de pain ?
Les parties prenantes
D’un côté Necotrans, crée en 1985 par Richard Talbot, et dirigé depuis la mort de celui-ci en 2013 par Grégory Quérel, est un des leaders de la logistique et du transport dans le monde, et est présent majoritairement en Afrique, lieu particulièrement stratégique pour la croissance externe du groupe. Fort d’un chiffre d’affaire proche du milliard, d’une présence dans 39 pays et de 5000 collaborateurs, Necotrans s’est inscrit comme un acteur incontournable du secteur.
De l’autre côté, un poids lourd de l’économie française, le groupe Bolloré, crée il y a déjà plus de 150 ans. Au chiffre d’affaire plus de dix fois supérieur à celui de Necotrans, et fort de 55000 salariés dans le monde, Bolloré est un leader dans le transport et la logistique, mais aussi dans des activités très diversifiées, tels que les médias et les télécommunications, ce qui en fait un groupe très influent. Présent dans une quarantaine de pays africains, Bolloré Africa Logistics est omniprésent sur le continent.
Notre rapport de force se déroule dans un secteur hautement stratégique, enjeu de pouvoir économique et politique. Depuis les années 1990, sur les recommandations du Fond Monétaire International et de la Banque Mondiale, les concessions portuaires du continent ont été privatisées. Connaissant la part du commerce maritime dans le commerce africain (plus de 90% des exportations et des importations), le contrôle des ports permet de générer des revenus conséquents, entre devises et liquidités, mais aussi d’influencer de nombreux acteurs, en particulier les pays sans accès aux mers, dépendant des entrées maritimes pour leurs approvisionnements. Groupe de stature mondiale, il est aisé de comprendre le poids stratégique du contrôle des ports africains dans la stratégie globale de Bolloré.
Le secteur est également hautement compétitif. Necotrans est loin d’être le seul concurrent sérieux de Bolloré sur le continent. Alors que la plupart des installations dans le secteur datent des années 1970, il existe un réel besoin en investissements dans de nombreux lieux, comme Conakry, San Pedro, Abidjan, Kribi. Le terminal à conteneur en eau profonde de ce dernier, remporté en juillet par un consortium franco-chinois (Bolloré, China Engineering Company et CMA-CGM), prévoit d’investir pas moins de 574 millions de dollars. Or, des consortiums ne sont pas toujours retenus, et les Chinois, bien que gagnant progressivement de l’importance en Afrique, ne sont pas les uniques concurrents. Il est aussi nécessaire de citer l’italo-suisse MSC, qui a récemment remporté la concession du port de San Pedro pour les trente-cinq prochaines années, et qui prévoit d’investir 500 millions d’euros dans son extension, ainsi que le danois APM Terminals, filiale de l’armateur Maersk. Le secteur connaît donc de forts enjeux, la concurrence y est rude et les places y sont limitées. Ainsi, tous les coups sont permis, et Necotrans, qui s’était positionné dans une stratégie de challenger face à Bolloré, vient de l’apprendre à ses dépens. Revenons en 2011, aux origines de ce qu’est devenu un véritable rapport de force, voyant six années plus tard le groupe Necotrans se faire absorber par Bolloré.
Necotrans expulsé du port de Conakry au profit de Bolloré
Le 8 mars 2011, la société Getma, filiale de Necotrans, est expulsée manu militari du port de Conakry, qu’elle exploitait légalement depuis 2008, après un appel d’offre gagné contre Bolloré Africa Logistics.
Cette décision d’expulsion est venue directement de la présidence guinéenne, par un décret signé de la main du Président nouvellement élu, Alpha Condé. L’on a pu croire brièvement qu’il s’agissait d’une simple nationalisation. Or, deux jours plus tard, le 10 mars 2011, une nouvelle concession de 25 ans était accordée au groupe Bolloré.
Comment expliquer un tel retournement ? Sachant que le 3 février 2011, Bolloré était reçu au port autonome de Conakry par le nouveau président guinéen, ainsi que dans sa résidence personnelle, et que le 22 mars, celui-ci était reçu en grande pompe à Paris par le Président Sarkozy.
Les contradictions politiques
Il est évident ici qu’il y eut un rôle majeur du politique français, qui a cherché à favoriser Bolloré. Selon une source proche du dossier, il s’agit d’un conflit interne entre les anciennes équipes chiraquiennes et les nouvelles équipes de l’époque, sarkozystes. D’un côté entre Pierre-André Wiltzer, conseiller de la présidence de Necotrans jusqu’en 2017, ancien député de l’Essonne et ancien ministre de la coopération et de la Francophonie du gouvernement Raffarin, et de l’autre le Président Sarkozy, grand ami de Vincent Bolloré, comme nous le rappelle son passage sur son yacht peu après son élection en 2007, et Bernard Kouchner, que le Président Condé appelle son « frère jumeau ». Les deux hommes se sont en effet connus au lycée Turgot dans les années 1960.
Pierre-André Wiltzer, bien que proche du Président Condé, fut complètement dépassé par les événements et par la force du réseau sarkozyste en place. Présent auprès de Bernard Kouchner au moment de l’investiture du Président Condé, il raconte : « Nous étions déjà au courant de son intention d'annuler la concession et d'exaucer Bolloré. J'ai essayé de le prendre à part et d'argumenter, mais il m'a renvoyé vers un fonctionnaire du ministère guinéen des Transports qui m'a reçu le lendemain et ne m'a plus jamais reparlé ». Bernard Kouchner, premier ministre des affaires étrangères du quinquennat Sarkozy, a essayé de pousser la Guinée vers l’organisation d’élections libres, avec succès, espérant voir son vieil ami être élu. Puis, après son passage au gouvernement, Bernard Kouchner devient conseil du futur Président Condé, qui sera intronisé président un mois après le départ de Kouchner du gouvernement.
Autre coïncidence troublante, il est de notoriété public que le Président Condé a effectué sa campagne présidentielle avec un soutien médiatique de poids, le groupe Euro RSCG de l’époque (aujourd’hui Havas Worldwide), filiale de Bolloré. Cela vaudra à Bolloré de faire l’objet d’une enquête par la justice française, sur soupçons de liens entre la campagne présidentielle d’Alpha Condé, et la reprise de la concession du port de Conakry.
La stratégie de Necotrans
Suite à l’incident de Conakry, afin d’éviter les guerres franco-françaises, il a été décidé d’associer les deux groupes, ce qui s’est traduit par des réponses communes à des appels d’offre dans les exploitations portuaires et la logistique, le port de Kribi illustrant parfaitement ceci.
Cependant, le 16 mars 2011, Necotrans décide de ne pas en rester là, et porte plainte auprès du procureur de la République de Paris, pour des faits de « corruption internationale ».
De son côté, Bolloré se défend, soulignant la légalité de leur nouvelle concession, et contre-attaque Necotrans par le biais de son avocat, « Nous engagerons des plaintes contre tous les propos inqualifiables et scandaleux de Necotrans, qui organise une campagne pour salir une entreprise du CAC 40 et obtenir de l'argent. Il est inadmissible de faire croire qu'un groupe comme Bolloré ait pu corrompre un chef d'Etat étranger ».
Necotrans remportera un grand nombre de ses combats judiciaires, qui s’étaleront sur six années. Ainsi, le 10 octobre 2013, Bolloré fut condamné par la justice française à verser 2,1 millions d’euros à Necotrans, contre 100 millions initialement demandés, au titre des investissements réalisés par Necotrans ayant profités à Bolloré après la reprise de la concession. En revanche, le tribunal de commerce de Nanterre jugera que Bolloré n’a pas reçu de complicité de l’Etat guinéen, et qu’en aucun cas l’hypothèse de la concurrence déloyale ne saurait être retenue.
Le 22 mai 2014, la Guinée fut condamnée par le tribunal de la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) à payer 38 millions d’euros à Necotrans. Or, cette décision sera annulée l’année suivante pour vice de procédure.
Enfin, le 16 août 2016, le tribunal d’arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a donné raison à Necotrans contre la Guinée, mais ne lui a accordé que 448 834 euros, alors que le préjudice était encore une fois estimé à 100 millions.
Pourtant, malgré plusieurs condamnations de ses opposants, Necotrans ne se remettra jamais de la perte de Conakry. Cette expulsion fut un coup dur pour le groupe, qui y perd une de ses exploitations les plus rentables, ainsi que 30 millions d’euros d’investissements.
En parallèle, pour se relancer, le groupe décide de diversifier ses activités. Après le décès du fondateur Richard Talbot, Grégory Quérel est nommé Président-Directeur Général du groupe en novembre 2013 par Sophie Talbot, la fille héritière. Celui-ci lance un grand plan stratégique pour relancer le groupe enclin à des problèmes financiers. Celui-ci est très endetté, mais fait assez de chiffre pour rembourser ses créanciers.
Grégory Quérel décide de lancer un grand plan d’emprunt auprès des banques pour développer le groupe. Ce plan de 110 millions d’euros sur cinq ans axe la stratégie du groupe dans les domaines de la logistique pétrolière, de la gestion des terminaux portuaires en vrac et de la sous-traitance minière. Le groupe acquiert à ce moment la Mining Company Katanga, entreprise clef de la chaîne logistique du cuivre. Il fait également alliance en 2016 avec le logisticien américain JAS, afin de renforcer sa présence mondiale, entre l’Asie, l’Amérique et l’Afrique.
Cependant, cette stratégie s’avèrera inefficace. Depuis la disparation du fondateur, le groupe connaît une difficile restructuration, entre cessions, licenciements, expropriations, et acquisitions peu rentables.
Confronté à des problèmes de trésorerie, Necotrans cède fin 2015 la Mining Company Katanga à Bolloré Transports Logistics. En novembre 2016, ses parts de la Société des Terminaux de Conteneur du Gabon (STCG) sont vendues à Bolloré pour 40 millions d’euros, une belle affaire pour l’industriel breton, déjà très présent au Gabon.
La défaite deNecotrans
En mai 2017, Necotrans décide de renoncer à la procédure d’appel en cours contre Bolloré. Au final, le feuilleton judiciaire n’aura pas permis à Necotrans de se remettre de la perte de Conakry et de ses difficultés internes. Alors que des centaines de millions d’indemnités étaient demandés, Necotrans ne recevra qu’à peine quelques centaines de milliers d’euros.
Confronté de surcroît à un problème de conjoncture, avec la baisse à l’été 2015 des cours des minerais et des hydrocarbures, l’activité du groupe plonge. Endetté à hauteur de 190 millions d’euros, et possédant des créances dites vendeurs de 90 millions d’euros, sans compter 24 millions d’euros bloqués par les autorités angolaises, l’entreprise est obligé dans un premier temps de mettre en place des plans de licenciements. Ceux-ci sont insuffisants, et Sophie Talbot décide de confier à la Banque Rothschild un mandat de cession, contre l’avis de sa direction, dévoilant ainsi au public les difficultés internes du groupe.
Toutefois, aucun plan de reprise ne sera accepté, malgré trois offres du fond Abraaj, de l’agence spéciale Tanger Méditérranée (TMSA, Maroc) et d’OLAM, et faute de repreneur, le groupe sera placé en liquidation judiciaire partielle le 29 juin 2017.
Bolloré s’est renforcé considérablement en Afrique. Il possède désormais des participations dans le terminal sec de Burkinabé (TRBC), dans la société camerounaise Douala International Terminal, dans la société de manutention de Cotonou (SMTC), dans le terminal routier à Abidjan (terra), mais aussi des actifs sénégalais dans l’Oil et le gaz. Bolloré devient également actionnaire majoritaire du Lomé Container Termian et du Port fluvial de Brazzaville (TBC). Il reprend aussi le nom de Necotrans et son siège parisien. Si Alpha Condé n’avait pas été élu Président, il est peu probable que Bolloré eut repris Necotrans. Il s’agit donc ici d’un véritable rapport de force, entre d’un côté un grand groupe mondial, très influent politiquement, et à la surface financière importante, et de l’autre, une grande PME, dirigée comme une entreprise familiale jusqu’au décès de Richard Talbot, qui n’a su contester les exactions de ses concurrents en justice, et qui n’a pu résister ni à ses difficultés internes, ni aux attaques de Bolloré.
Références
Le Monde, 08/06/2011, Guinée : comment Bolloré a mis la main sur le port de Conakry.
Jeune Afrique, 16 avril 2013, Port de Kribi : Necotrans et Bolloré en concurrence.
Jeune Afrique, 27 mai 2014, Port de Conakry : Getma fait condamner la Guinée.
Jeune Afrique, 8 août 2014, Necotrans, 110 millions d’euros pour un come-back.
Jeune Afrique, 1 décembre 2014, Grégory Quérel : « dorénavant, Necotrans n’investira que dans des pays stables ».
Jeune Afrique, 26 août 2015, Port de Kribi : les français Bolloré et Necotrans remportent officiellement la bataille.
Jeune Afrique, 11 décembre 2015, Avec Grégory Quérel, Necotrans suit le filon minier.
Jeune Afrique, 27 janvier 2016, Necotrans défend ses tarifs au port de Dakar.
RFI, 13 avril 2016, l’Empire Bolloré : de la logistique aux médias.
Jeune Afrique, 06 mai 2016, Logistique : Necotrans étend la voilure en Afrique.
Jeune Afrique, 01 septembre 2016, Port de Conakry : toute petite victoire pour Necotrans devant le Cirdi.
Le Monde, 16 septembre 2016, Bolloré : la saga du port maudit de Conakry.
Jeune Afrique, 10 novembre 2016, Port de Kribi-Tensions entre le Français Necotrans et les Camerounais de KPMO.
Jeune Afrique, 28 novembre 2016, Gabon : Bolloré reprend les parts de Necotrans dans le terminal à conteneurs d’Owendo.
Jeune Afrique, 2 mars 2017, Infrastructures : le retour en force des groupes français au Sénégal.
Jeune Afrique, 29 mai 2017, Guinée : à Conakry, Necotrans enterre la hache de guerre avec Bolloré.
Jeune Afrique, 29 mai 2017, Logistique : quel avenir pour le groupe français Necotrans ?
Jeune Afrique, 27 juin 2017, Necotrans demande un redressement judiciaire de ses sociétés françaises.
Challenges, 11 juillet 2017, CMA CGM, Bolloré... Necotrans dans le viseur des groupes français
Les Échos, 25 août 2017, Le « consortium Bolloré » a été désigné pour la reprise partielle de Necotrans.
Jeune Afrique, 26 août 2017, Bolloré-Necotrans : remorquage et sauvetage par temps de brume.
L’Opinion, 29 août 2017, Avec le rachat de Necotrans, Bolloré réalise un joli coup en Afrique.
RFI, 31 août 2017, Avec le rachat de Necotrans, Bolloré se renforce en Afrique.
Jeune Afrique, numéro 2955, 27 août au 2 septembre 2017, Contexte : bataille acharnée sur la façade ouest.