Ericsson attaque Wiko pour violation de brevets

À l’instar de ses attaques informationnelles contre Apple et Samsung, accusés d’utiliser sans licence ses technologies, l’équipementier télécoms suédois Ericsson a annoncé en août 2017 poursuivre le fabriquant franco-chinois de smartphones Wiko devant les tribunaux allemands de Düsseldorf et de Mannheim. Wiko, société française de capitaux chinois créée en 2011, s’est imposée de manière fulgurante sur le marché du smartphone d’entrée de gamme face aux géants de l’électronique mondiale. Fabriqués en Chine par son partenaire et principal actionnaire Tinno Mobile, les smartphones Wiko sont venus bousculer le marché de la téléphonie mobile.

Une attaque à des fins de préservation des intérêts financiers
Le cadre normatif de l’affrontement est basé sur les brevets concernant les technologies 2G, 3G et 4G (utility patents) déposés par Ericsson et dont Wiko se sert sans s’acquitter de droits de licence ni de redevances. L’enjeu financier est de taille pour le groupe suédois, dès lors que celui-ci détient en la matière plus de 42 000 brevets qui lui rapportent quelque 700 millions de dollars par an. Or, dans un contexte économique très dégradé, Ericsson subit de plein fouet les effets de la concurrence sur le marché des équipements télécoms. L’arrivée de nouveaux acteurs ne respectant pas les droits de licence représente ainsi un facteur de vulnérabilité et un manque à gagner non négligeable pour Ericsson qui, dans la conjoncture actuelle plutôt défavorable, enchaîne les mesures de rationalisation et de réduction des coûts. Dans l’attaque contre Wiko, la stratégie d’Ericsson, fondée sur la propriété intellectuelle, se déploie en deux temps avec, d’abord, l’ouverture de discussions, infructueuses semble-t-il, laissant place à une logique plus agressive. Réputée pour la défense vigoureuse de ses technologies brevetées et des marchés afférents, la firme suédoise tire de ces affrontements des avantages financiers qui lui permettent de préserver ses intérêts et d’assurer sa survie.

La bataille juridique sur la propriété intellectuelle comme outil de la guerre économique
Ericsson n’en est pas à son coup d’essai dans la « guerre des brevets » que se mènent les grands groupes technologiques. Le suédois s’est déjà tourné vers les tribunaux à plusieurs reprises, y compris face aux mastodontes Samsung et Apple. En l’espèce, Ericsson avait fait monter les enchères en lançant des procédures judiciaires en vue d’obtenir un accord sur l’utilisation de ses brevets et défendre les revenus générés, avec Apple au moins. Plus récemment, un litige avec le chinois TCL concernant des redevances, a permis à Ericsson d’obtenir 75 millions de dollars de dommages et intérêts. L’attaque informationnelle à l’encontre de Wiko est donc symptomatique de la culture judiciaire d’Ericsson. Selon le responsable de la propriété intellectuelle chez Ericsson, Gustav Brismark, « le partage global de la technologie et des normes ouvertes constitue la force de la révolution des smartphones et a permis aux nouveaux entrants, tels que Wiko, de créer rapidement des entreprises prospères ». Dans une démarche présentée comme constructive, Ericsson a lancé dès 2013 des négociations avec Wiko pour l’établissement d’une licence FRAND (Fair, Reasonable and Non-Discriminatory ; la licence FRAND fait référence à un brevet jugé essentiel dans le cadre d’une industrie et exige de son détenteur qu’il accorde des licences d’utilisation à des prix raisonnables), mais celles-ci n’ont pas abouti à un accord à l’amiable. Ericsson, dont le modèle économique est basé en partie sur la vente de licences d’exploitation, est donc passé à l’action offensive pour se prémunir du « parasitisme » de Wiko, déplorant le fait que la marque française bénéficie des efforts en R&D d’Ericsson, sans payer un prix raisonnable pour les technologies brevetées qui en découlent. Dès lors, la multiplication des conflits entre les différents opérateurs économiques confère aujourd’hui aux brevets un statut d’instrument financier et d’atout concurrentiel.

Une agressivité encouragée par un système de brevets inadapté au numérique
Dans cette affaire, Ericsson ne fait aucune concession sur la défense de sa propriété intellectuelle et compte bien, avec son action en justice, tirer un prix fort pour l’utilisation illicite de ses technologies. Pour Ericsson, les procès semblent être un moyen de gagner du terrain ou, a minima, de ne pas en perdre sur un marché saturé et ultra-concurrentiel. De son côté, Wiko, qui a basé tout son business model sur la commercialisation des smartphones low-cost, ne cache pas sa surprise devant le recours d’Ericsson. Le français assure « avoir toujours souhaité conclure avec Ericsson une licence à des conditions qui sont justes, raisonnables et non-discriminatoires » et regrette cette démarche « agressive », tout en restant « confiant sur le fait de pouvoir transiger cette affaire à l’amiable ». Wiko prétend ne pas avoir reçu d’assignation et appelle de ses vœux une reprise des négociations, lesquelles auraient été rompues de manière unilatérale. Or, face à la stratégie éprouvée - et souvent gagnante - d’Ericsson, y compris face aux leaders mondiaux des technologies, il est probable que Wiko subisse le même sort et doive s’acquitter de compensations financières. Aujourd’hui, si les brevets sont devenus aussi pléthoriques (jusqu’à 25 000 brevets sur un smartphone), c’est en raison du caractère stratégique de la propriété intellectuelle pour une entreprise. Ces derniers sont devenus de véritables armes économiques permettant, outre la neutralisation ou le ralentissement d’un concurrent, d’engranger des revenus. Les brevets sont souvent critiqués comme étant inadaptés au numérique - ce qui explique leur nombre astronomique, notamment dans les smartphones -, car ils empêchent la concurrence et freinent l’innovation en favorisant toujours les entreprises établies. L’Union européenne, par le biais de l’European Patent Office, réfléchit actuellement à des modifications au système d’attribution des brevets, afin de : limiter le nombre de brevets numériques ; d’harmoniser et standardiser les brevets ; de protéger les entreprises européennes innovantes des pratiques jugées déloyales des groupes étrangers (américains et chinois notamment).

Arnaud Labat