La légitimité du prix pas cher
« Acheter moins cher, pour revendre moins cher », Édouard Leclerc, en 1949, révolutionne le secteur du commerce de détail en développant un nouveau modèle. Ainsi, la grande distribution telle que nous la connaissons aujourd’hui nait après la seconde guerre mondiale pour permettre à l’ensemble des familles d’accéder aux produits alimentaires à des prix abordables. La quête du prix bas semble donc indissociable du secteur et a progressivement mené à une guerre des prix féroce entre distributeurs et industriels.
Depuis 1996, la loi sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales entendait protéger les fournisseurs en interdisant les prix abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation. Mais cette loi est rapidement accusée de faire monter les prix, de freiner le niveau de l’activité économique et donc de réduire les perspectives de croissance et les embauches. Ainsi, en 2008 la loi de modernisation de l’économie lève les barrières de la distribution et autorise la négociabilité des prix pour stimuler la concurrence, redonner du pouvoir d’achat aux Français et relancer la croissance.
La démagogie dans la course au profit
En 2013, pour améliorer leur capacité de négociation et obtenir de meilleurs prix, les centrales d’achat se regroupent (Intermarché et Casino, Auchan et Système U, Carrefour et Cora). Chacun pèse ainsi plus de 20 % des ventes de produits de grande consommation et fin 2014, quatre centrales contrôlent 90% du marché.
La guerre des prix a commencé. La tension est forte lors des négociations annuelles entre producteurs et distributeurs. L’effet est immédiat. Dès 2014, l’indice des prix de la grande distribution est déflationniste dans le secteur alimentaire. Dès mars 2015, les industriels dénoncent publiquement la violence des négociations et se posent comme les défenseurs de toute une filière.
« Tout citoyen doit pouvoir s’indigner quand la grande distribution affaiblit jour après jour un monde d’excellence et de savoir-faire au nom de la sacro-sainte baisse des prix. » Richard Girardot, PDG de Nestlé France, lance la polémique. Il dénonce les abus des centrales d’achat et accuse les distributeurs de détruire la filiale agricole française. « Les baisses de prix imposées par les distributeurs pour alléger les consommateurs se sont faites au détriment des marques et des agriculteurs. »
Les résultats de l’entreprise ne sont pas bons et le PDG de la première entreprise agroalimentaire de France (près de 5 milliards d'€ de chiffre d’affaire) qui emploie sur le territoire 16 600 collaborateurs avertit « Il faut arrêter de croire que le statut de filiale d’une multinationale nous protège des effets dévastateurs de la guerre des prix. Nestlé, ici, est un acteur économique français. Il en subit avec tous ses salariés les conséquences comme les autres. » Le débat s’étale sur la place publique et des distributeurs prennent la parole pour, eux aussi, dénoncer les écueils de la guerre des prix.
La division au sein des distributeurs
« La grande distribution a pour vocation de faire des prix accessibles pas de détruire les emplois ou l’économie ». Georges Plassat, PDG du géant Carrefour défend le juste prix, « celui qui rémunère le talent, le travail et l’investissement ». Pour lui, il est du rôle des commerçants d’« éduquer le consommateur » sur la valeur réelle des produits.
Il remet également en cause la corrélation prix bas - pouvoir d’achat. « La guerre des prix n'a jamais créé aucun pouvoir d'achat. Les prix baissent, les salaires stagnent et les impôts montent. Au final, il y a moins de revenus disponibles, plus de mécontentement et de frustration ».
Et en effet, l’enseigne qu’il représente pâtit de la guerre des prix. La marge de Carrefour en France est passée de 312 millions d'euros au premier semestre 2016 à 199 millions d'euros au 1er semestre 2017, chute que le groupe explique par des ajustements de prix et l’augmentation des promotions pour améliorer la compétitivité dans un environnement très concurrentiel.
Les attaques envers les consommateurs et leurs modes de consommation sont de moins en moins voilées. Mais des voix s’élèvent pour les protéger.
La politique du prix bas affaiblit l’infrastructure économique de la France
« Il y a deux camps : d’un côté Leclerc et les consommateurs, de l’autre le reste de la distribution et des industriels. » Michel Edouard Leclerc, charismatique patron de l’enseigne du même nom, fidèle à sa politique de prix bas, se pose dans ce débat en défenseur du consommateur et de son pouvoir d’achat. Il affirme que les prix français ne sont pas trop bas, qu’ils sont dans la moyenne européenne et restent supérieurs à ceux pratiqués en Allemagne et en Angleterre. Il déclare également que l’augmentation des prix bénéficierait aux grandes marques et non aux producteurs.
Avec les prix et les coûts de distribution les plus bas du marché, une augmentation des prix pourrait couter cher au distributeur qui s’est positionné en champion des prix bas. Ainsi Leclerc est devenu la première enseigne de France début 2017. (source : Kantar).
Les enjeux de cet affrontement qui oppose les Français concernant une de leurs principales préoccupations, le pouvoir d’achat, et deux secteurs économiques majeurs pour l’économie française sont élevés.
D’un côté, la filière agricole et alimentaire représente 15 % du PIB et 10 % des exportations du pays, c’est le 3ème secteur en termes d’excédent commercial (7,2 milliards d’euros) et le 2ème employeur de France (14 % de l’emploi national). Mais la filière est fragilisée, en particulier par l’augmentation du coût des matières premières (+180% depuis 2004, et +12% en 2016). La précarité croissante du monde paysan menace les traditions du premier pays producteur agricole de l’Union Européenne.
De l’autre, le secteur de la distribution représente 750 000 emplois, plus de 10 millions de clients par jour et un volume d'affaires d'environ 200 milliards d'euros.
Entre les deux, les ménages français qui, selon l’Insee, consacrent 15% de leur budget à l’alimentation.
Le politique à la recherche d’un compromis
La politique s’empare alors de ce sujet économiquement et socialement explosif et un mois seulement après son élection, Emmanuel Macron lance les Etats généraux de l’alimentation.
« Stopper la guerre des prix, c’est stopper la dévalorisation permanente du revenu des agriculteurs, c’est leur permettre de vivre ou plutôt de revivre de leur travail. Et quand vous avez des prix alimentaires, des produits alimentaires en promotion permanente, vous n’avez plus la notion de prix et donc plus rien n’a de valeur. » Le Président de la République en personne arbitre le conflit dans son discours du 11 octobre 2017. Il se lance dans une pédagogie collective pour défendre un pouvoir d’achat durable et soutenable qui ne se fait pas « au détriment de la capacité à embaucher, à investir ou à vivre dignement ». Des dispositions législatives de régulation suivront.
« Acheter moins cher, pour revendre moins cher », Édouard Leclerc, en 1949, révolutionne le secteur du commerce de détail en développant un nouveau modèle. Ainsi, la grande distribution telle que nous la connaissons aujourd’hui nait après la seconde guerre mondiale pour permettre à l’ensemble des familles d’accéder aux produits alimentaires à des prix abordables. La quête du prix bas semble donc indissociable du secteur et a progressivement mené à une guerre des prix féroce entre distributeurs et industriels.
Depuis 1996, la loi sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales entendait protéger les fournisseurs en interdisant les prix abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation. Mais cette loi est rapidement accusée de faire monter les prix, de freiner le niveau de l’activité économique et donc de réduire les perspectives de croissance et les embauches. Ainsi, en 2008 la loi de modernisation de l’économie lève les barrières de la distribution et autorise la négociabilité des prix pour stimuler la concurrence, redonner du pouvoir d’achat aux Français et relancer la croissance.
La démagogie dans la course au profit
En 2013, pour améliorer leur capacité de négociation et obtenir de meilleurs prix, les centrales d’achat se regroupent (Intermarché et Casino, Auchan et Système U, Carrefour et Cora). Chacun pèse ainsi plus de 20 % des ventes de produits de grande consommation et fin 2014, quatre centrales contrôlent 90% du marché.
La guerre des prix a commencé. La tension est forte lors des négociations annuelles entre producteurs et distributeurs. L’effet est immédiat. Dès 2014, l’indice des prix de la grande distribution est déflationniste dans le secteur alimentaire. Dès mars 2015, les industriels dénoncent publiquement la violence des négociations et se posent comme les défenseurs de toute une filière.
« Tout citoyen doit pouvoir s’indigner quand la grande distribution affaiblit jour après jour un monde d’excellence et de savoir-faire au nom de la sacro-sainte baisse des prix. » Richard Girardot, PDG de Nestlé France, lance la polémique. Il dénonce les abus des centrales d’achat et accuse les distributeurs de détruire la filiale agricole française. « Les baisses de prix imposées par les distributeurs pour alléger les consommateurs se sont faites au détriment des marques et des agriculteurs. »
Les résultats de l’entreprise ne sont pas bons et le PDG de la première entreprise agroalimentaire de France (près de 5 milliards d'€ de chiffre d’affaire) qui emploie sur le territoire 16 600 collaborateurs avertit « Il faut arrêter de croire que le statut de filiale d’une multinationale nous protège des effets dévastateurs de la guerre des prix. Nestlé, ici, est un acteur économique français. Il en subit avec tous ses salariés les conséquences comme les autres. » Le débat s’étale sur la place publique et des distributeurs prennent la parole pour, eux aussi, dénoncer les écueils de la guerre des prix.
La division au sein des distributeurs
« La grande distribution a pour vocation de faire des prix accessibles pas de détruire les emplois ou l’économie ». Georges Plassat, PDG du géant Carrefour défend le juste prix, « celui qui rémunère le talent, le travail et l’investissement ». Pour lui, il est du rôle des commerçants d’« éduquer le consommateur » sur la valeur réelle des produits.
Il remet également en cause la corrélation prix bas - pouvoir d’achat. « La guerre des prix n'a jamais créé aucun pouvoir d'achat. Les prix baissent, les salaires stagnent et les impôts montent. Au final, il y a moins de revenus disponibles, plus de mécontentement et de frustration ».
Et en effet, l’enseigne qu’il représente pâtit de la guerre des prix. La marge de Carrefour en France est passée de 312 millions d'euros au premier semestre 2016 à 199 millions d'euros au 1er semestre 2017, chute que le groupe explique par des ajustements de prix et l’augmentation des promotions pour améliorer la compétitivité dans un environnement très concurrentiel.
Les attaques envers les consommateurs et leurs modes de consommation sont de moins en moins voilées. Mais des voix s’élèvent pour les protéger.
La politique du prix bas affaiblit l’infrastructure économique de la France
« Il y a deux camps : d’un côté Leclerc et les consommateurs, de l’autre le reste de la distribution et des industriels. » Michel Edouard Leclerc, charismatique patron de l’enseigne du même nom, fidèle à sa politique de prix bas, se pose dans ce débat en défenseur du consommateur et de son pouvoir d’achat. Il affirme que les prix français ne sont pas trop bas, qu’ils sont dans la moyenne européenne et restent supérieurs à ceux pratiqués en Allemagne et en Angleterre. Il déclare également que l’augmentation des prix bénéficierait aux grandes marques et non aux producteurs.
Avec les prix et les coûts de distribution les plus bas du marché, une augmentation des prix pourrait couter cher au distributeur qui s’est positionné en champion des prix bas. Ainsi Leclerc est devenu la première enseigne de France début 2017. (source : Kantar).
Les enjeux de cet affrontement qui oppose les Français concernant une de leurs principales préoccupations, le pouvoir d’achat, et deux secteurs économiques majeurs pour l’économie française sont élevés.
D’un côté, la filière agricole et alimentaire représente 15 % du PIB et 10 % des exportations du pays, c’est le 3ème secteur en termes d’excédent commercial (7,2 milliards d’euros) et le 2ème employeur de France (14 % de l’emploi national). Mais la filière est fragilisée, en particulier par l’augmentation du coût des matières premières (+180% depuis 2004, et +12% en 2016). La précarité croissante du monde paysan menace les traditions du premier pays producteur agricole de l’Union Européenne.
De l’autre, le secteur de la distribution représente 750 000 emplois, plus de 10 millions de clients par jour et un volume d'affaires d'environ 200 milliards d'euros.
Entre les deux, les ménages français qui, selon l’Insee, consacrent 15% de leur budget à l’alimentation.
Le politique à la recherche d’un compromis
La politique s’empare alors de ce sujet économiquement et socialement explosif et un mois seulement après son élection, Emmanuel Macron lance les Etats généraux de l’alimentation.
« Stopper la guerre des prix, c’est stopper la dévalorisation permanente du revenu des agriculteurs, c’est leur permettre de vivre ou plutôt de revivre de leur travail. Et quand vous avez des prix alimentaires, des produits alimentaires en promotion permanente, vous n’avez plus la notion de prix et donc plus rien n’a de valeur. » Le Président de la République en personne arbitre le conflit dans son discours du 11 octobre 2017. Il se lance dans une pédagogie collective pour défendre un pouvoir d’achat durable et soutenable qui ne se fait pas « au détriment de la capacité à embaucher, à investir ou à vivre dignement ». Des dispositions législatives de régulation suivront.