Le géant du Web Facebook se retrouve au cœur d’une guerre idéologique qui se joue dans le monde virtuel où le surmoi n’existe pas. Cela est la conséquence des trois fractures sociales et culturelles vécues au cours du dernier siècle passant ainsi d’une société moderne (le journal), à une société postmoderne (la télévision), à une société hypermoderne (les réseaux sociaux). Facebook révèle un nouveau rapport au monde, l’entrée dans une ère de l’hyper-vitesse, de l’hyper connectivité et de l’hyper-relation (2 milliards d’utilisateurs) paradoxalement dans des rapports hyper-distants aux autres et à la société. Facebook permet l’hyper-diffusion des informations dans l’instantané de l’évènement, le tout sans recul, et pire, sans analyse. En conséquence, les dérapages sont inévitables puisque cette hyperréactivité peut être source d’erreur et générer de la confusion auprès des utilisateurs pour qui, il sera impossible de démêler le vrai du faux. Facebook, parce qu’il réunit 2 milliards d’internautes est un outil d’influence de premier ordre hors de contrôle de ses créateurs. A ce titre, se pose la question de savoir comment contrôler l’information qui y circule, par qui et dans quelle mesure ?
Facebook : un outil d'influence incontrôlable et/ou incontournable ?
Il semblerait que Mark Zuckerberg soit quelque peu dépassé, ou profite sciemment de l’hyperpuissance générée par son réseau social, tant économiquement, que politiquement. En effet, aujourd’hui Facebook est utilisé aussi bien comme outil de propagande, que de déstabilisation, ou encore d’influence. Dans le conflit israélo-palestinien, par exemple, le site Facebook est utilisé comme outil de propagande. Sont créées des pages propalestiniennes où des messages de haine envers Israël sont diffusés. De même, côté israélien, des pages de soutien à l’armée israélienne sont ouvertes allant jusqu’à fournir le lien pour un don en ligne soutenant l’action militaire de l’Etat hébreu.
L’illustration récente de l’utilisation de Facebook comme outil d’influence concerne les élections présidentielles aux Etats-Unis en 2016. Il est vrai que Facebook est accusé de les avoir influencés les élections américaines en laissant de fausses informations circuler sur son site. Le géant Google est, également, pointé du doigt. Une enquête est actuellement menée afin de déterminer les interactions entre le camp Trump et la Russie durant la campagne électorale aux fins de déstabiliser la candidate démocrate, Hillary Clinton. En novembre 2016, le Washington Post et le New York Times estimaient à 90% les chances d’Hillary Clinton d’être élue. L’élection de Donald Trump a provoqué une remise en cause radicale de la politique éditoriale des médias et plus particulièrement de la presse écrite. Dans une longue analyse publiée par le centre de recherche de Nieman Lab, Joshua Benton souligne le rôle primordial joué par Facebook dans la désinformation des citoyens. En effet, près de la moitié des Américains s’informent via le fil d’actualité fournit par le réseau social.
Un marécage informationnel
La seule partie de la population qui donne priorité aux journaux est celle des plus de 65 ans. De plus, les partisans de Donald Trump se sont beaucoup plus mobilisés sur Facebook et Twitter (11,9 millions) que ceux d’Hillary Clinton (7,8 millions). Déjà durant la campagne, de nombreux observateurs avaient souligné que les algorithmes de Facebook faisaient preuve d’un aveuglement total sur le contenu des informations et se contentaient de sélectionner les informations qui correspondaient au profil de l’usager. Sur Facebook, l’usager est, donc, en permanence, conforté par des nouvelles (même totalement aberrantes) qui renforcent son opinion et celle de ses amis. A titre d’illustration, une information a été publiée selon laquelle le Pape François soutenait publiquement Donald Trump. Cette information était totalement fausse. Tandis que 2 millions d’internautes lisaient l’article sur Facebook, seulement 30.000 d’entre eux ont lu le démenti.
Même si la poussée du populisme qui a permis l’élection de Donald Trump a bien d’autres causes, il est clair que la diffusion massive d’informations tendancieuses ou carrément inexactes sur les réseaux sociaux, a forcément eu une influence sur le vote. Des rapports ont révélé que des comptes russes ont utilisé une série d’outils, notamment des publicités, mais aussi, des publications gratuites et des évènements, afin d’obtenir une audience parmi les utilisateurs de Facebook et ainsi d’amplifier la tension sur des sujets comme l’immigration et les différences ethniques. Facebook a signalé que des pages soutenues par les Russes ont acheté pour 150.000 US dollars de publicités politiques entre juin 2015 et mai 2017.
Les comptes ont obtenu l’attention des utilisateurs en faisant en sorte que ces derniers cliquent sur les publicités. Après avoir été sur la page trompeuse, leur fil d’actualité pouvait être criblé de contenus politiques gratuits telles que des publications, des vidéos et/ou des photos.
Bien que Facebook se défende d’avoir eu connaissance des manœuvres de la Russie sur son site pour influencer les élections américaines, l’influence russe au sein du réseau social a été d’autant plus présente que la Russie a investi massivement dans Facebook. De facto, il est possible de se demander dans quelle mesure le géant du Web aurait intérêt à dénoncer celle qui l’a capitalisée. En effet, le milliardaire Russe Youri Milner a investi près de 800 millions de dollars (600 millions d’euros) dans Facebook et ce grâce à deux sociétés proches du Kremlin…
VTB la deuxième plus grosse banque de Russie a fait passer 191 millions de dollars dans DST global, le fonds d’investissement contrôlé par le milliardaire. La somme a ensuite été utilisée pour acheter une importante participation dans Twitter en 2011. Il est à noter que le président de VTB, Andreï Kostin, est un proche de Vladimir Poutine. Les données confidentielles du cabinet d’Appleby prouvent qu’une filiale du groupe Gazprom, également entre les mains du pouvoir russe, a investi un montant important dans une société offshore qui a participé avec DST Global à un investissement dans Facebook. Il est évident que tous les acteurs concernés par ces révélations dévoilées par les « Paradise Papers » se défendent de toute collusion frauduleuse et de tout investissement politiquement marqué. C’est dans cette perspective que Facebook a assuré se lancer dans la lutte contre les faux sites d’informations.
Facebook : Un outil de contrôle de l'information ?
Accusé d’avoir fait le jeu de Donald Trump au cours des élections aux Etats-Unis en 2016, Facebook a décidé de s’attaquer aux « fausses informations » ou « Fake News ». Les fausses informations seront marquées comme telles et les algorithmes ajustés afin qu’elles soient enfouies dans les classements. Facebook interviendra dans le classement des posts les plus vus afin d’étouffer les informations jugées fausses. Il est légitime de s’interroger sur le contrôle de cette intervention et de s’inquiéter de sa limite, c’est-à-dire de savoir quand cette intervention deviendra, elle-même, de la manipulation.
De plus, face à une telle annonce les questions suivantes se posent : Quels sont les critères pour déterminer une information fausse ? Qui détermine ces critères, Facebook, une instance internationale représentative, les utilisateurs ? Facebook a décidé de mettre en place une nouvelle fonctionnalité qui permet aux utilisateurs de signaler du contenu qu’ils jugeraient faux, le « Facebook Audience Network ». N’est-il pas possible d’y voir ici un outil de censure confié à des activistes ? Ce signalement fonctionne de la manière suivante : passé un certain nombre de signalements (combien ? Nul ne le sait), Facebook transférera alors les posts incriminés à un panel de 43 acteurs revendiquant le statut de « fact-checkers ». Ces acteurs sont des organes de presse comme l’agence de presse AP, le Washington Post, le réseau australien ABC News. Mais ce sont aussi, et cela est plus inquiétant, des sites auto-proclamés de « fact-checking » choisis par Facebook, lui-même. Ce sont trois acteurs privés : FactCheck.org , Politifact et Snopes. Il est à noter que le site Snopes se dit ouvertement d’extrême gauche et pratiquement auto-financé. Nonobstant, le seul financement extérieur vient du bandeau publicitaire fourni automatiquement par Google. Toute coïncidence serait bien évidemment fortuit.
Le refus de Facebook de s'assumer comme un média
Facebook refuse obstinément de se considérer comme un média fonctionnant avec des journalistes professionnels. Cela est paradoxal puisque son rôle de fournisseur d’informations contribue à la notoriété et à la prospérité de l’entreprise. En 2015, Facebook déclarait un bénéfice de 3,5 milliards de dollars, là où le New York Time n’en déclarait que 63 millions. Est-il possible d’imaginer une amélioration de cette situation qui menace l’information tant économiquement que d’un point de vue éthique ? Il semble improbable que l’administration américaine intervienne. Pourquoi Donald Trump remettrait-il en cause un état de fait qui l’a puissamment aidé pendant la campagne électorale ? Quid de la place de l’Europe ? Pour cela, il conviendrait, tout d’abord, que l’Union Européenne réussisse à prendre une décision unanime pour tenter d’exercer une pression forte sur Facebook et le contraindre à adopter une attitude de « média responsable ». A n’en pas douter, cela restera encore pour longtemps chimérique. Enfin, il est certain qu’il y a là un véritable enjeu de réformes en profondeur de l’information numérique qui dominera de plus en plus le monde des médias. L’enjeu est, ici, celui de la survivance de la démocratie puisque la manipulation des électeurs peut ruiner les institutions démocratiques.
Eloïse Brasi