Une crise informationnelle a perturbé la politique commerciale de Merck, un des plus grands laboratoires pharmaceutiques au monde. L'analyse des évènements permet de comprendre le déficit stratégique de prise en compte de l'information dans une manœuvre de délocalisation qui aboutit à une crise sanitaire.
En France, trois millions de personnes prennent au quotidien un traitement pour la thyroïde. En grande majorité, pour 2,6 millions de personnes, c’est du Levothryox, un produit fabriqué et commercialisé par la société allemande Merck. Il existe d’autres marques et d’autres formulations, mais le grand vainqueur sur le marché français est le Lévothyrox, ce qui en fait le 1er marché mondial pour le fabricant valant 50M€ annuels de CA.
En 2012, à la demande de l’ANSM (l’agence nationale de sécurité du médicament), Merck se lance sur la reformulation du Lévothyrox pour garantir une stabilité optimale du médicament dans le temps. L’ASNM demande cette reformulation du médicament « afin de garantir une teneur en substance active plus constante d’un lot à l’autre et pendant toute la durée de conservation du produit » selon un communiqué de Merck.
Une délocalisation en Chine qui aboutit à une crise informationnelle
Le Lévothyrox est un médicament considéré « à marge thérapeutique étroite » qui signifie que toute variation du dosage dans l’organisme de l’utilisateur peut entrainer des effets secondaires indésirables, voir graves. Le fabricant se démène à refaire sa formulation, en changeant non pas le molécule mais l’excipient du médicament, en concret supprimant le lactose et le remplaçant par le mannitol, et ajoutant l’acide citrique comme conservateur. Merck investit 32 M€ dans le projet, changeant en même temps les formats, couleurs des boîtes, et les blisters pour arriver à une harmonisation du packaging au niveau mondial. Une année après, en 2013, il est annoncé que Merck prévoit de délocaliser sa fabrication du Lévothyrox en Chine, à Nantong, où la société va construire un nouveau site. La cérémonie de lancement du projet a eu lieu en novembre 2013, et le départ des travaux en aout de l’année suivante, pour finalement ouvrir l’usine en novembre 2016. Les nouveaux produits de cette usine, dont les médicaments thyroïdiques, ont un objectif de mise sur le marché en 2017.
C’est en mars 2017 que la nouvelle formulation du produit est commercialisée sur le marché français. La France est le seul pays où cette nouvelle formule est distribuée. Son introduction sur le marché se fait sans fanfare : aucune communication de la part du fabricant, aucune communication des autorités sanitaires, et communication très légère auprès des professionnels de santé, un simple courrier leur est adressé. De plus, aucun dispositif de surveillance n’est mise en place, la nouvelle formulation de médicament est lâchée dans la nature sans plus de précision. Le changement est supposé avoir un effet seulement au niveau de l’excipient, et non pas du molécule, donc aucun changement sur l’organisme, en théorie.
Des effets secondaires indésirables signalés.
Début de l’été 2017, au mois de juin, les signalisations d’effets indésirables commencent à affluer à l’attention des professionnels de santé. En réponse à l’afflux de déclarations d’effets secondaires liés au médicament, et relayés sur les réseaux sociaux et avec l’implication d’associations de consommateurs, un plateforme de signalement est mise en place et enregistre plus de 9 000 déclarations. Le phénomène prend de l’ampleur durant tout l’été. Une pétition est mise en place, à la mi-septembre elle aura récolté 2 00,000 signatures (305,994 signatures le 22/10/2017). Les utilisateurs du médicament se plaignent de diverses symptômes, dont des maux de têtes, des vertiges, des crampes et des douleurs, des problèmes digestifs, de la fatigue, des pertes de cheveux…Une liste de maux plus ou moins graves, qui découlent souvent du syndrome de hypothyroïdisme lui-même, raisons pour lesquelles les patients suivent un traitement. Les symptômes signalés n’entrainent pas la mort, même si certains patients parlent de pensées suicidaires. Quand finalement, en réponse à l’ampleur du débat publique qui va jusqu’à impliquer des personnalités (l’actrice Annie Duperey, elle même utilisatrice du médicament, écrit une lettre ouverte à la ministre de la Santé), l’ANSM se prononce sur la situation, elle déclare que les effets secondaires ne sont pas dû à la nouvelle formulation mais au « déséquilibre thyroïdien ». Mais cela ne stoppe pas la vague de méfiance de la part du publique concerné. Ces déclarations ne sont pas rassurantes pour une audience qui se sent déjà malmenée, trahie, et qui considère que les Français ont été manipulés, étant devenus de facto les cobayes de la nouvelle formule. Le 4 septembre, Merck annonce qu’il excluait revenir à l’ancienne formule, les utilisateurs sont pris au piège, certains arrêtent de prendre leur traitement, ce qui peut avoir des conséquences graves et est fortement déconseillé par la ministre de la Santé Agnès Buzyn.
Face à cette situation, Agnès Buzyn annonce le 15 septembre le rétablissement de l’ancienne formule en pharmacie pour une courte durée, pour palier le manque actuel sur le marché. Puis le 19 octobre elle assure que dès la mi-novembre les Français auront accès à 5 médicaments différents. Elle précise aussi que depuis le lundi 16 octobre une livraison de 220 000 boites du médicament alternatif, L-Thyroxin Henning, du laboratoire français Sanofi, sont disponibles en pharmacie. Agnès Buzyn défend sa position concernant cette affaire sensible en déclarant qu’aucune faute n’a été commise, qu’il ne s’agissait pas de fraude, mais que « l’enjeu, c’est l’information ». Cette situation de flou, de défaut d’information pour les populations concernées (patients et professionnels de la santé), crée une ambiance de méfiance de la part du public. Cette situaion présente un opportunité pour d’autres marques de lévot hyroxine, le molécule actif dans la marque Lévothyrox. Le quasi-monopole de l’allemand Merck est remis en question. Par faute d'explications communiquées aux patients et aux professionnels de santé, le vide ainsi créé peut générer un doute. Les symptômes sont divers et variables, et de multiples facteurs peuvent avoir une influence sur l’équilibre thyroïdien. Merck assure dans un communiqué publié le 25 août que les quelques centaines de cas de patients ayant signalé des effets pouvant affecter leur vie quotidienne à leur médecin à ce jour, sont sans lien établi avec le Lévothyrox.
Des produits alternatifs, dont un du français Sanofi, seront bientôt ou sont désormais disponibles sur le marché. En défaut d’information fournie et délivrée au public, le marché s’éparpille vers d’autres alternatifs . Longtemps leader sur le marché, le laboratoire Merck est en perte de vitesse.
Andréa Lafleur
En France, trois millions de personnes prennent au quotidien un traitement pour la thyroïde. En grande majorité, pour 2,6 millions de personnes, c’est du Levothryox, un produit fabriqué et commercialisé par la société allemande Merck. Il existe d’autres marques et d’autres formulations, mais le grand vainqueur sur le marché français est le Lévothyrox, ce qui en fait le 1er marché mondial pour le fabricant valant 50M€ annuels de CA.
En 2012, à la demande de l’ANSM (l’agence nationale de sécurité du médicament), Merck se lance sur la reformulation du Lévothyrox pour garantir une stabilité optimale du médicament dans le temps. L’ASNM demande cette reformulation du médicament « afin de garantir une teneur en substance active plus constante d’un lot à l’autre et pendant toute la durée de conservation du produit » selon un communiqué de Merck.
Une délocalisation en Chine qui aboutit à une crise informationnelle
Le Lévothyrox est un médicament considéré « à marge thérapeutique étroite » qui signifie que toute variation du dosage dans l’organisme de l’utilisateur peut entrainer des effets secondaires indésirables, voir graves. Le fabricant se démène à refaire sa formulation, en changeant non pas le molécule mais l’excipient du médicament, en concret supprimant le lactose et le remplaçant par le mannitol, et ajoutant l’acide citrique comme conservateur. Merck investit 32 M€ dans le projet, changeant en même temps les formats, couleurs des boîtes, et les blisters pour arriver à une harmonisation du packaging au niveau mondial. Une année après, en 2013, il est annoncé que Merck prévoit de délocaliser sa fabrication du Lévothyrox en Chine, à Nantong, où la société va construire un nouveau site. La cérémonie de lancement du projet a eu lieu en novembre 2013, et le départ des travaux en aout de l’année suivante, pour finalement ouvrir l’usine en novembre 2016. Les nouveaux produits de cette usine, dont les médicaments thyroïdiques, ont un objectif de mise sur le marché en 2017.
C’est en mars 2017 que la nouvelle formulation du produit est commercialisée sur le marché français. La France est le seul pays où cette nouvelle formule est distribuée. Son introduction sur le marché se fait sans fanfare : aucune communication de la part du fabricant, aucune communication des autorités sanitaires, et communication très légère auprès des professionnels de santé, un simple courrier leur est adressé. De plus, aucun dispositif de surveillance n’est mise en place, la nouvelle formulation de médicament est lâchée dans la nature sans plus de précision. Le changement est supposé avoir un effet seulement au niveau de l’excipient, et non pas du molécule, donc aucun changement sur l’organisme, en théorie.
Des effets secondaires indésirables signalés.
Début de l’été 2017, au mois de juin, les signalisations d’effets indésirables commencent à affluer à l’attention des professionnels de santé. En réponse à l’afflux de déclarations d’effets secondaires liés au médicament, et relayés sur les réseaux sociaux et avec l’implication d’associations de consommateurs, un plateforme de signalement est mise en place et enregistre plus de 9 000 déclarations. Le phénomène prend de l’ampleur durant tout l’été. Une pétition est mise en place, à la mi-septembre elle aura récolté 2 00,000 signatures (305,994 signatures le 22/10/2017). Les utilisateurs du médicament se plaignent de diverses symptômes, dont des maux de têtes, des vertiges, des crampes et des douleurs, des problèmes digestifs, de la fatigue, des pertes de cheveux…Une liste de maux plus ou moins graves, qui découlent souvent du syndrome de hypothyroïdisme lui-même, raisons pour lesquelles les patients suivent un traitement. Les symptômes signalés n’entrainent pas la mort, même si certains patients parlent de pensées suicidaires. Quand finalement, en réponse à l’ampleur du débat publique qui va jusqu’à impliquer des personnalités (l’actrice Annie Duperey, elle même utilisatrice du médicament, écrit une lettre ouverte à la ministre de la Santé), l’ANSM se prononce sur la situation, elle déclare que les effets secondaires ne sont pas dû à la nouvelle formulation mais au « déséquilibre thyroïdien ». Mais cela ne stoppe pas la vague de méfiance de la part du publique concerné. Ces déclarations ne sont pas rassurantes pour une audience qui se sent déjà malmenée, trahie, et qui considère que les Français ont été manipulés, étant devenus de facto les cobayes de la nouvelle formule. Le 4 septembre, Merck annonce qu’il excluait revenir à l’ancienne formule, les utilisateurs sont pris au piège, certains arrêtent de prendre leur traitement, ce qui peut avoir des conséquences graves et est fortement déconseillé par la ministre de la Santé Agnès Buzyn.
Face à cette situation, Agnès Buzyn annonce le 15 septembre le rétablissement de l’ancienne formule en pharmacie pour une courte durée, pour palier le manque actuel sur le marché. Puis le 19 octobre elle assure que dès la mi-novembre les Français auront accès à 5 médicaments différents. Elle précise aussi que depuis le lundi 16 octobre une livraison de 220 000 boites du médicament alternatif, L-Thyroxin Henning, du laboratoire français Sanofi, sont disponibles en pharmacie. Agnès Buzyn défend sa position concernant cette affaire sensible en déclarant qu’aucune faute n’a été commise, qu’il ne s’agissait pas de fraude, mais que « l’enjeu, c’est l’information ». Cette situation de flou, de défaut d’information pour les populations concernées (patients et professionnels de la santé), crée une ambiance de méfiance de la part du public. Cette situaion présente un opportunité pour d’autres marques de lévot hyroxine, le molécule actif dans la marque Lévothyrox. Le quasi-monopole de l’allemand Merck est remis en question. Par faute d'explications communiquées aux patients et aux professionnels de santé, le vide ainsi créé peut générer un doute. Les symptômes sont divers et variables, et de multiples facteurs peuvent avoir une influence sur l’équilibre thyroïdien. Merck assure dans un communiqué publié le 25 août que les quelques centaines de cas de patients ayant signalé des effets pouvant affecter leur vie quotidienne à leur médecin à ce jour, sont sans lien établi avec le Lévothyrox.
Des produits alternatifs, dont un du français Sanofi, seront bientôt ou sont désormais disponibles sur le marché. En défaut d’information fournie et délivrée au public, le marché s’éparpille vers d’autres alternatifs . Longtemps leader sur le marché, le laboratoire Merck est en perte de vitesse.
Andréa Lafleur