La compagnie anglo-néerlandaise Royal Dutch Shell s’est implantée au Nigéria en 1937 avec une licence d’exportation. Elle y a découvert un champ de pétrole en 1956 dans le Delta du Niger et les exportations ont commencé en 1958. Depuis, sa principale filiale nigérienne, Shell Petroleum Development Company of Nigeria Limited (SPDC), fait face à diverses accusations et actions d’opposition de la part de groupes formés par la population locale. De nouveaux éléments ont ravivé les tensions ces derniers mois.
Contexte
Déjà en 1970, la communauté Ejama-Ebubu avait été touchée par un déversement de pétrole qui pollua 255 hectares de terres sur lesquelles elle était implantée, dans l’Etat de Rivers. En 2010, SPDC a été condamnée à payer environ 100 millions de dollars de dommages par la Haute Court Fédérale du Nigéria.
Entre-temps, les tensions se sont considérablement accrues dans les années 1990 entre la compagnie et le peuple Ogoni dans le Delta du Niger : ces derniers critiquaient le manque de retombées économiques de l’extraction de l’or noir pour les populations locales ainsi que l’impact environnemental des sabotages de pipelines. De vastes manifestations contre Shell et le gouvernement nigérien et occupations de locaux de la compagnie ont été organisées en 1993 par le Mouvement pour la survie du peuple Ogoni (MOSOP). Cela a poussé Shell à se retirer des zones Ogoni tandis que les forces nigériennes ont procédé à des arrestations de leaders des actions d’opposition. Parmi eux, Ken Saro-Wiwa a été exécuté malgré une médiatisation internationale et l’opposition de nombreux Etats et organisations de défense des droits de l’homme.
Shell a affirmé dans un communiqué avoir demandé sans succès au gouvernement nigérien de faire preuve de clémence envers les auteurs de troubles. Mais un rapport de Greenpeace a fait état en 2001 de tentatives par Shell et le gouvernement nigérien pour soudoyer deux témoins de violences avec de l’argent et des emplois. Shell aurait également versé des pots-de-vin à l’armée. Le rapport accuse la compagnie de contamination du Delta du Niger. La SPDC a dénié ces accusations et avancé que le MOSOP était un mouvement en faveur de la violence et de la sécession.
Toutefois, en 2003, Shell Nigeria a commandé un rapport indépendant à trois experts en résolution de conflits pour mieux comprendre comment elle contribuait à la conflictualité régionale. La compagnie a alors reconnu que le conflit au Delta du Niger rendait difficile une activité sécurisée et intègre et qu’elle nourrissait parfois le conflit par la manière d’accorder les contrats, d’accéder a la terre et de communiquer avec les représentants de communautés locales. Elle a alors affirmé son intention d’améliorer ses pratiques.
En 2009, Shell propose 15,5 millions de dollars pour régler l’affaire Ken Saro-Wiwa tout en niant toute culpabilité et en présentant sa proposition comme un geste humanitaire. Selon le New York Times et le journaliste Michael D. Goldhaber, ce règlement est intervenu quelques jours avant l’ouverture d’un procès à New York qui aurait révélé de nombreux détails concernant les activités de Shell et du MOSOP dans le Delta du Niger.
Le 25 mars 2014, Shell Nigeria annonce un cas de force majeure l’obligeant à cesser ses activités et l’exportation de pétrole brut en raison d’une fuite de son pipeline sous-marin, clause libérant la compagnie de ses obligations contractuelles.
Présentation des parties prenantes
Les activités du groupe anglo-néerlandais Royal Dutch Shell au Nigéria sont menées par 4 filiales, la principale étant la Shell Petroleum Development Company of Nigeria Limited (SPDC). Shell au Nigéria produit 572 millions de barils par jour, soit presque 30% de la production totale du pays qui était de 1,69 millions de barils par jour en 2016.
Le revenu des exportations du Nigéria est constitué à 90% des revenus du pétrole et le gouvernement dépend pour 75% de ses revenus de la manne pétrolière.
Les communautés locales du Delta du Niger se sont organisées pour lutter contre l’exploitation pétrolière : vers 1990 est né le Mouvement pour la survie du peuple Ogoni, mouvement non-violent très actif jusqu’à l’exécution de son leader Ken Saro-Wiwa en 1995. A partir de 2004, c’est surtout le Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger qui milite contre l’exploitation, avec des méthodes violentes.
L’ONG Global Witness lutte contre le pillage des ressources naturelles des pays en développement et la corruption liée.
Nature du rapport de force
Les communautés locales du Delta du Niger sont dans une démarche de revendication de retombées économiques plus importantes et ont le soutien d’ONG internationales, mais leurs actions et discours sont entachés par des actes de sabotage et de pillage des pipelines que Shell ne manque pas de dénoncer. Les communautés locales demandent notamment une délégation de Shell à des compagnies nigérianes.
Les habitants de villages aux alentours des structures de production pétrolière perforent parfois les pipelines de Shell afin d’en piller le pétrole et le revendre illégalement dans les pays voisins. Le coût pour le Nigéria de ces cas dits de “bunkering” (détournement de pétrole) est estimé à 400.000 barils de brut par jour. Une fois le pillage réalisé, les trous dans le pipeline sont laissés tels quels et répandent du pétrole dans la nature.
Amnesty International et Friends of the Earth International ont contesté les affirmations de Shell selon lesquelles 98% des fuites de pétrole au Nigéria étaient dues au sabotage. Les deux groupes ont enregistré une plainte à l’OCDE contre la compagnie. En droit nigérien, Shell n’est pas tenue responsable lorsque les fuites résultent d’un sabotage. Peu après, des représentants de Shell ont comparu au Parlement néerlandais et Shell a abaissé ses estimations de 98% à 70%. Une cour néerlandaise a jugé en 2013 que Shell était responsable pour la pollution dans le Delta du Niger.
Shell affronte aussi des accusations de corruption. En mars 2017, Shell et Eni sont touchés par un scandale de pots-de-vin qui leur a valu une inculpation pour corruption par la justice nigériane. L’ancien ministre du pétrole Dan Etete – condamné en France pour blanchiment d’argent – et l’ancien président de la République Goodluck Jonathan sont également soupçonnés par la Commission des crimes économiques d’être impliqués dans cette affaire. Dan Etete, dirigeant de Malabu Oil & Gas, est en effet propriétaire du champ pétrolier offshore OPL 245 pour l’exploitation duquel Shell et Eni auraient payé 1,3 milliards de dollars de pots-de-vin sur un compte ouvert par le gouvernement nigérian au Royaume-Uni dans la banque JPMorgan. Cette information a été révélée par Global Witness dans le rapport « Shell Knew » coécrit avec Finance Uncovered sur la base d’emails qu’elle s’est procurés témoignant que les responsables de Shell au Nigéria étaient au courant des destinataires de cet argent. Un procès sera ouvert en avril 2018 à Milan pour identifier le rôle et l’implication de Eni et Shell dans cette affaire.
Stratégie des acteurs
Les communautés locales du Delta se sont organisées en comités et associations pour lancer des manifestations et occupations de bâtiments de Shell. Elles maitrisent l’art du communiqué de presse et se font relayer par les ONG internationales en dénonçant le manque d’éthique d’une exploitation des riches ressources naturelles du pays sans en faire profiter les populations locales. Les victimes de violences policières ou de la pollution sont immédiatement médiatisées. Le MOSOP dispose d’une page Facebook assez active avec les diffusions de communiqués, vidéos et photos de manifestations et évènements.
Shell Nigéria publie régulièrement sur son site internet des rapports et communiqués mettant en avant ses actions en faveur du gouvernement nigérien, des régions où elle est implantée et des populations locales. Elle a notamment financé 400 bourses étudiantes universitaires pour les jeunes de la région cette année, un système qui dure depuis 1953 et qui s’ajoute au paiement des frais de scolarité de centaines d’écoliers. Elle a également investi dans des structures sociales, universitaires et scientifiques pour participer aux Objectifs du Millénaire pour le Développement portés par les Nations Unies. Shell fait témoigner les étudiants bénéficiaires de ces programmes à grand renfort de charge émotionnelle, mettant en avant ceux qui remercient la compagnie de leur avoir permis d’éviter le décrochage et la misère sociale.
Ces communiqués et rapports condamnent par ailleurs des actions de pillage, de vandalisme et de sabotages sur ses installations dans la région du Delta. Ils rejettent les accusations portées à l’encontre de Shell par les populations locales et des groupes de la société civile.
Shell a argué sur son site internet que la baisse des recettes pétrolières du gouvernement nigérien était en partie due au pillage du brut dans le delta du Niger par les populations locales : « en 2016 la part du revenu total du gouvernement issue du secteur pétro-gazier a été impactée par des facteurs tels que la baisse récente des prix du pétrole et d’une moindre production dans le Delta du Niger en raison d’actes de vandalisme et de sabotage ». Sa stratégie est imparable : il lui suffit de mettre temporairement la production à l’arrêt pour asphyxier l’économie du pays. C’est ce qu’elle a fait en juillet 2017 suite à une recrudescence des sabotages.
Shell nie également toute conduite illégale dans l’affaire de corruption présumée pour l’exploitation du champ OPL 245 et affirme avoir contracté sans intermédiaires avec l’Etat nigérian.
Amnesty International produit des communiqués, des articles, des rapports fournis et des témoignages de victimes de Shell ou du gouvernement nigérien dans le delta du Niger.
Qui est sorti vainqueur de l’affrontement et pourquoi ?
Shell évite les condamnations, parfois avec des compensations minimes, et continue à signer des contrats avec le gouvernement nigérian. En janvier 2017, la Haute Cour de Londres prononce l’arrêt des poursuites au Royaume-Uni contre Shell. Les deux recours collectifs engagés par 40.000 membres des communautés Ogale et Bille contre des actes de pollution touchant leurs terres n’ont pas été jugés recevables, Royal Dutch Shell n’étant pas jugée responsable légalement des activités de sa filiale SPDC. Les plaignants ont déclaré préparer un appel.
En revanche, Shell a été contraint de ralentir drastiquement ses activités d’exploitation du pétrole dans le Delta du Niger en raison de l’instabilité ambiante, des actions de protestation et des actes de pillage. La compagnie met régulièrement ses activités à l’arrêt en retirant ses personnels le temps que la situation se décante. C’est un signe que la mobilisation des communautés locales et des ONG internationales est efficace.
Alexis Maloux
Références
Rapports
Rapport de l’UNESCO Situation des droits de l’homme au Nigéria, soumis par le Rapporteur Spécial de la Commission des Droits de l’Homme, M. Soli Jehangir Sorabjee, conformément à la résolution 1997/53 de la Commission
Karen Suassuna (2001). "Contamination in Paulina by Aldrin, Dieldrin, Endrin and other toxic chemicals produced and disposed of by Shell Chemicals of Brazil". Greenpeace.
"People and the Environment Annual Report" The Shell Petroleum Development Company of Nigeria Limited, 2003
Shell in Nigeria, “Our economic contribution”, 2017
Nigeria slips into recession as Q2 oil output slumps. 1er septembre 2016. S&P Global Platts
Rapport « Shell Knew », Global Witness, 10 avril 2017
Ouvrages
Okonata, Ike; Douglas, Oronto, Where Vultures Feast. Verso. 2003, ISBN 1-85984-473-1
Raymond Ridderhof, "Shell and Ogoni People: (s)oil pollution in the Niger Delta". Peace Palace Library, 2013.
Presse
"Shell And The N15bn Oil Spill Judgement Debt". The Daily Independent (Lagos). 19 juillet 2010.
Michael D. Goldhaber, A win for Wiwa, A win for Shell, A win for Corporate Human Rights, The AM Law Daily, 10 juin 2009:
"Shell admits fuelling corruption". BBC News, 11 juin 2004
Jad Mouawad, "Shell to Pay $15.5 Million to Settle Nigerian Case". The New York Times, 9 juin 2009
"Shell Nigeria calls "force majeure" for exports". Business Recorder. 26 mars 2014.
"Shell contains Nigeria oil spill, Bonny affected". Reuters. 28 mai 2008.
Eduard Gismatullin, "Shell Accused of Misleading Data Over Nigerian Spills". Bloomberg, 25 janvier 2011.
"Oil spill: Shell modifies data to 70% from 98%". The Vanguard, 27 janvier 2011.
Pollution au Nigeria: pas de poursuites contre Shell, AFP, 26 janvier 2017
Contexte
Déjà en 1970, la communauté Ejama-Ebubu avait été touchée par un déversement de pétrole qui pollua 255 hectares de terres sur lesquelles elle était implantée, dans l’Etat de Rivers. En 2010, SPDC a été condamnée à payer environ 100 millions de dollars de dommages par la Haute Court Fédérale du Nigéria.
Entre-temps, les tensions se sont considérablement accrues dans les années 1990 entre la compagnie et le peuple Ogoni dans le Delta du Niger : ces derniers critiquaient le manque de retombées économiques de l’extraction de l’or noir pour les populations locales ainsi que l’impact environnemental des sabotages de pipelines. De vastes manifestations contre Shell et le gouvernement nigérien et occupations de locaux de la compagnie ont été organisées en 1993 par le Mouvement pour la survie du peuple Ogoni (MOSOP). Cela a poussé Shell à se retirer des zones Ogoni tandis que les forces nigériennes ont procédé à des arrestations de leaders des actions d’opposition. Parmi eux, Ken Saro-Wiwa a été exécuté malgré une médiatisation internationale et l’opposition de nombreux Etats et organisations de défense des droits de l’homme.
Shell a affirmé dans un communiqué avoir demandé sans succès au gouvernement nigérien de faire preuve de clémence envers les auteurs de troubles. Mais un rapport de Greenpeace a fait état en 2001 de tentatives par Shell et le gouvernement nigérien pour soudoyer deux témoins de violences avec de l’argent et des emplois. Shell aurait également versé des pots-de-vin à l’armée. Le rapport accuse la compagnie de contamination du Delta du Niger. La SPDC a dénié ces accusations et avancé que le MOSOP était un mouvement en faveur de la violence et de la sécession.
Toutefois, en 2003, Shell Nigeria a commandé un rapport indépendant à trois experts en résolution de conflits pour mieux comprendre comment elle contribuait à la conflictualité régionale. La compagnie a alors reconnu que le conflit au Delta du Niger rendait difficile une activité sécurisée et intègre et qu’elle nourrissait parfois le conflit par la manière d’accorder les contrats, d’accéder a la terre et de communiquer avec les représentants de communautés locales. Elle a alors affirmé son intention d’améliorer ses pratiques.
En 2009, Shell propose 15,5 millions de dollars pour régler l’affaire Ken Saro-Wiwa tout en niant toute culpabilité et en présentant sa proposition comme un geste humanitaire. Selon le New York Times et le journaliste Michael D. Goldhaber, ce règlement est intervenu quelques jours avant l’ouverture d’un procès à New York qui aurait révélé de nombreux détails concernant les activités de Shell et du MOSOP dans le Delta du Niger.
Le 25 mars 2014, Shell Nigeria annonce un cas de force majeure l’obligeant à cesser ses activités et l’exportation de pétrole brut en raison d’une fuite de son pipeline sous-marin, clause libérant la compagnie de ses obligations contractuelles.
Présentation des parties prenantes
Les activités du groupe anglo-néerlandais Royal Dutch Shell au Nigéria sont menées par 4 filiales, la principale étant la Shell Petroleum Development Company of Nigeria Limited (SPDC). Shell au Nigéria produit 572 millions de barils par jour, soit presque 30% de la production totale du pays qui était de 1,69 millions de barils par jour en 2016.
Le revenu des exportations du Nigéria est constitué à 90% des revenus du pétrole et le gouvernement dépend pour 75% de ses revenus de la manne pétrolière.
Les communautés locales du Delta du Niger se sont organisées pour lutter contre l’exploitation pétrolière : vers 1990 est né le Mouvement pour la survie du peuple Ogoni, mouvement non-violent très actif jusqu’à l’exécution de son leader Ken Saro-Wiwa en 1995. A partir de 2004, c’est surtout le Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger qui milite contre l’exploitation, avec des méthodes violentes.
L’ONG Global Witness lutte contre le pillage des ressources naturelles des pays en développement et la corruption liée.
Nature du rapport de force
Les communautés locales du Delta du Niger sont dans une démarche de revendication de retombées économiques plus importantes et ont le soutien d’ONG internationales, mais leurs actions et discours sont entachés par des actes de sabotage et de pillage des pipelines que Shell ne manque pas de dénoncer. Les communautés locales demandent notamment une délégation de Shell à des compagnies nigérianes.
Les habitants de villages aux alentours des structures de production pétrolière perforent parfois les pipelines de Shell afin d’en piller le pétrole et le revendre illégalement dans les pays voisins. Le coût pour le Nigéria de ces cas dits de “bunkering” (détournement de pétrole) est estimé à 400.000 barils de brut par jour. Une fois le pillage réalisé, les trous dans le pipeline sont laissés tels quels et répandent du pétrole dans la nature.
Amnesty International et Friends of the Earth International ont contesté les affirmations de Shell selon lesquelles 98% des fuites de pétrole au Nigéria étaient dues au sabotage. Les deux groupes ont enregistré une plainte à l’OCDE contre la compagnie. En droit nigérien, Shell n’est pas tenue responsable lorsque les fuites résultent d’un sabotage. Peu après, des représentants de Shell ont comparu au Parlement néerlandais et Shell a abaissé ses estimations de 98% à 70%. Une cour néerlandaise a jugé en 2013 que Shell était responsable pour la pollution dans le Delta du Niger.
Shell affronte aussi des accusations de corruption. En mars 2017, Shell et Eni sont touchés par un scandale de pots-de-vin qui leur a valu une inculpation pour corruption par la justice nigériane. L’ancien ministre du pétrole Dan Etete – condamné en France pour blanchiment d’argent – et l’ancien président de la République Goodluck Jonathan sont également soupçonnés par la Commission des crimes économiques d’être impliqués dans cette affaire. Dan Etete, dirigeant de Malabu Oil & Gas, est en effet propriétaire du champ pétrolier offshore OPL 245 pour l’exploitation duquel Shell et Eni auraient payé 1,3 milliards de dollars de pots-de-vin sur un compte ouvert par le gouvernement nigérian au Royaume-Uni dans la banque JPMorgan. Cette information a été révélée par Global Witness dans le rapport « Shell Knew » coécrit avec Finance Uncovered sur la base d’emails qu’elle s’est procurés témoignant que les responsables de Shell au Nigéria étaient au courant des destinataires de cet argent. Un procès sera ouvert en avril 2018 à Milan pour identifier le rôle et l’implication de Eni et Shell dans cette affaire.
Stratégie des acteurs
Les communautés locales du Delta se sont organisées en comités et associations pour lancer des manifestations et occupations de bâtiments de Shell. Elles maitrisent l’art du communiqué de presse et se font relayer par les ONG internationales en dénonçant le manque d’éthique d’une exploitation des riches ressources naturelles du pays sans en faire profiter les populations locales. Les victimes de violences policières ou de la pollution sont immédiatement médiatisées. Le MOSOP dispose d’une page Facebook assez active avec les diffusions de communiqués, vidéos et photos de manifestations et évènements.
Shell Nigéria publie régulièrement sur son site internet des rapports et communiqués mettant en avant ses actions en faveur du gouvernement nigérien, des régions où elle est implantée et des populations locales. Elle a notamment financé 400 bourses étudiantes universitaires pour les jeunes de la région cette année, un système qui dure depuis 1953 et qui s’ajoute au paiement des frais de scolarité de centaines d’écoliers. Elle a également investi dans des structures sociales, universitaires et scientifiques pour participer aux Objectifs du Millénaire pour le Développement portés par les Nations Unies. Shell fait témoigner les étudiants bénéficiaires de ces programmes à grand renfort de charge émotionnelle, mettant en avant ceux qui remercient la compagnie de leur avoir permis d’éviter le décrochage et la misère sociale.
Ces communiqués et rapports condamnent par ailleurs des actions de pillage, de vandalisme et de sabotages sur ses installations dans la région du Delta. Ils rejettent les accusations portées à l’encontre de Shell par les populations locales et des groupes de la société civile.
Shell a argué sur son site internet que la baisse des recettes pétrolières du gouvernement nigérien était en partie due au pillage du brut dans le delta du Niger par les populations locales : « en 2016 la part du revenu total du gouvernement issue du secteur pétro-gazier a été impactée par des facteurs tels que la baisse récente des prix du pétrole et d’une moindre production dans le Delta du Niger en raison d’actes de vandalisme et de sabotage ». Sa stratégie est imparable : il lui suffit de mettre temporairement la production à l’arrêt pour asphyxier l’économie du pays. C’est ce qu’elle a fait en juillet 2017 suite à une recrudescence des sabotages.
Shell nie également toute conduite illégale dans l’affaire de corruption présumée pour l’exploitation du champ OPL 245 et affirme avoir contracté sans intermédiaires avec l’Etat nigérian.
Amnesty International produit des communiqués, des articles, des rapports fournis et des témoignages de victimes de Shell ou du gouvernement nigérien dans le delta du Niger.
Qui est sorti vainqueur de l’affrontement et pourquoi ?
Shell évite les condamnations, parfois avec des compensations minimes, et continue à signer des contrats avec le gouvernement nigérian. En janvier 2017, la Haute Cour de Londres prononce l’arrêt des poursuites au Royaume-Uni contre Shell. Les deux recours collectifs engagés par 40.000 membres des communautés Ogale et Bille contre des actes de pollution touchant leurs terres n’ont pas été jugés recevables, Royal Dutch Shell n’étant pas jugée responsable légalement des activités de sa filiale SPDC. Les plaignants ont déclaré préparer un appel.
En revanche, Shell a été contraint de ralentir drastiquement ses activités d’exploitation du pétrole dans le Delta du Niger en raison de l’instabilité ambiante, des actions de protestation et des actes de pillage. La compagnie met régulièrement ses activités à l’arrêt en retirant ses personnels le temps que la situation se décante. C’est un signe que la mobilisation des communautés locales et des ONG internationales est efficace.
Alexis Maloux
Références
Rapports
Rapport de l’UNESCO Situation des droits de l’homme au Nigéria, soumis par le Rapporteur Spécial de la Commission des Droits de l’Homme, M. Soli Jehangir Sorabjee, conformément à la résolution 1997/53 de la Commission
Karen Suassuna (2001). "Contamination in Paulina by Aldrin, Dieldrin, Endrin and other toxic chemicals produced and disposed of by Shell Chemicals of Brazil". Greenpeace.
"People and the Environment Annual Report" The Shell Petroleum Development Company of Nigeria Limited, 2003
Shell in Nigeria, “Our economic contribution”, 2017
Nigeria slips into recession as Q2 oil output slumps. 1er septembre 2016. S&P Global Platts
Rapport « Shell Knew », Global Witness, 10 avril 2017
Ouvrages
Okonata, Ike; Douglas, Oronto, Where Vultures Feast. Verso. 2003, ISBN 1-85984-473-1
Raymond Ridderhof, "Shell and Ogoni People: (s)oil pollution in the Niger Delta". Peace Palace Library, 2013.
Presse
"Shell And The N15bn Oil Spill Judgement Debt". The Daily Independent (Lagos). 19 juillet 2010.
Michael D. Goldhaber, A win for Wiwa, A win for Shell, A win for Corporate Human Rights, The AM Law Daily, 10 juin 2009:
"Shell admits fuelling corruption". BBC News, 11 juin 2004
Jad Mouawad, "Shell to Pay $15.5 Million to Settle Nigerian Case". The New York Times, 9 juin 2009
"Shell Nigeria calls "force majeure" for exports". Business Recorder. 26 mars 2014.
"Shell contains Nigeria oil spill, Bonny affected". Reuters. 28 mai 2008.
Eduard Gismatullin, "Shell Accused of Misleading Data Over Nigerian Spills". Bloomberg, 25 janvier 2011.
"Oil spill: Shell modifies data to 70% from 98%". The Vanguard, 27 janvier 2011.
Pollution au Nigeria: pas de poursuites contre Shell, AFP, 26 janvier 2017