Paris est désormais le premier marché d’Airbnb, loin devant New York, numéro 2. Le nombre d’offres présentes sur le site a augmenté de 53 % en un an, passant de 56 000 logements en octobre 2016 à 86 000 aujourd’hui, soit plus de 10 000 chambres et 76 000 logements entiers disponibles. Toutefois à la manière comme Uber avant lui, Airbnb se heurte à la résistance des acteurs historiques du marché et aux trous législatifs des pouvoirs publics qui n’ont pas encore encadré ces nouvelles pratiques. Ainsi, les amendes payées par les loueurs illégaux de Airbnb ont plus que décuplé, passant de 45 000 € en 2016 à 615 000 € cette année. Une équipe de 25 employés de la mairie de Paris est d’ailleurs dédiée à la répression des fraudes Airbnb.
La mairie de Paris fait face à un second problème d’envergure : l’importante augmentation des loyers couplée à la raréfaction des logements dans Paris qui diminue la population de la capitale. Une baisse de 13 660 habitants entre 2009 et 2014 a ainsi été enregistrée. La Mairie de Paris a pu réagir désignant cet effet comme la conséquence de la présence massive de résidences secondaires vouées à la location via Airbnb. A cause de la rentabilité de ces locations courtes les 4 premiers arrondissements parisiens afficheraient un taux de logements inoccupés de 26% (selon la dernière enquête de l’Atelier Parisien d’Urbanisme).
Airbnb figure de proue de la nouvelle économie
L’activité d’Airbnb dans Paris étant peu encadrée par rapport aux autres capitales touristiques mondiales, le conseil de Paris a donc décidé de durcir la réglementation en votant l'instauration d'un numéro d'enregistrement, qui sera obligatoire à partir de décembre 2017, pour toute personne désirant louer son appartement sur une plateforme numérique. Il est aussi question de diminuer le nombre de jours disponibles à la location, passant ainsi de 120 à 90 jours par an. Mais d’autres parties de l’activité d’Airbnb sont visées par la mairie de Paris. La taxe de séjour prélevée sur chaque location n’est par exemple pas toujours collectée alors que les loueurs y sont soumis depuis plus d’un an (décret signé le 5 aout 2015). Ce sont ceux-là même qui ne déclarent que rarement ces nouveaux types de revenus et participent alors à la bulle spéculative immobilière dans Paris, qui voit se raréfier les logements et dans le même temps leurs prix augmenter continuellement.
Le modèle économique d’Airbnb fondé sur l’économie du partage met à mal les anciens acteurs de l’économie traditionnelle (comme l’hôtellerie). Par comparaison, lors de sa dernière levée de fonds en mars 2016, la société Airbnb était valorisée à près de 31 milliards de dollars, soit davantage que le géant hôtelier Hilton. Pourtant via un jeu d’optimisation fiscale intelligent, Airbnb ne paie que 93 000 € d’impôt en France sur un chiffre d’affaire de 5.16 millions d’euros en lieu des 136 millions qu’elle devrait déclarer sans son montage fiscal.
Définition de la nature du rapport de force : d’une ville à un pays
La pression s’accentue sur les géants de l’économie digitale, à un tel point qu’Emmanuel Marill (Directeur général d’Airbnb France et Belgique) dénonçait récemment l’acharnement de la mairie de Paris et de l’Etat français contre son entreprise. Le rapport de force est ici double. Il est à la fois réglementaire et économique. Réglementaire car la mairie de Paris et l’Etat français cherchent à modifier les lois en vigueur en obtenant notamment le droit de fixer eux-mêmes la limite de nuitées disponibles par an et par logement. Rapport de force économique également car Airbnb est mis à l’index pour son système d’évasion fiscale et l’ensemble des nuisances économiques que la plateforme et ses utilisateurs créent en dévoyant le système.
On pourrait s’attendre à ce que Airbnb, entreprise qui dispose d’une bonne réputation, puisse prendre l’avantage sur le plan de la communication face à la mairie de Paris. Pourtant l’entreprise se soustrait à toute confrontation trop directe. Airbnb veut à tout prix éviter la guerre ouverte comme celle qui oppose Uber, la plateforme de réservation de voitures avec chauffeurs, aux compagnies de taxis et aux pouvoirs publics. L’objectif est de ne pas pousser la mairie de Paris à être aussi sévère que celle de Berlin qui a tout simplement interdit les plateformes de locations courtes pour pallier au manque de logement et à l’augmentation des prix, problématiques similaires à celles auxquelles Paris fait face aujourd’hui.
L’exploitation des contradictions françaises
Airbnb est dépendante du marché français mais la réglementation proposée par la municipalité est bien moins lourde que dans d’autres capitales touristiques. D’après Airbnb une location moyenne est aux alentours de 33 jours à Paris, et la municipalité souhaite diminuer de 120 à 90 jours maximum le nombre de nuitées proposées à la location. Cette réglementation ne devrait donc en rien gêner l’activité des loueurs. Pour comparaison, à New-York, deuxième destination de la plateforme collaborative, cette limite est déjà fixée à 30 jours.
A l’échelle du pays, le camouflet infligé à l’administration fiscale par Google (le parquet a poursuivi Google pour fraude fiscale. L'entreprise a été jugée non coupable) a visiblement attiré l’attention du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, et de son homologue des Comptes publics, Gérald Darmanin, qui souhaitent créer au niveau européen une taxe d’égalisation. Pour éviter l’optimisation fiscale, l’objectif de celle-ci est de taxer le chiffre d’affaire réalisé dans le pays et non plus leur bénéfice dans celui-ci.
La plateforme américaine ne reste toutefois pas sans argument. Elle tente de faire pression en rappelant l’impact économique de son activité sur la ville. Elle dénonce ainsi le mal français de la Mairie de Paris qui « sur-réagis » et voudrait freiner un système qui marche bien. Emmanuel Marill demande d’attendre de voir les résultats des premières lois signées qui ne sont pas encore appliquées à Paris avant de chercher à créer d’autres réglementations.
Airbnb détourne aussi la faute sur ses loueurs illégaux, voire légaux, insistant sur leur responsabilité et se dédouanant d’être la cause du problème. Pour son directeur, ce serait même le contraire : Airbnb est une solution à la désertification du centre-ville de Paris : c’est grâce à cette plateforme que de nombreux Parisiens peuvent payer leurs charges trop élevées. De même, l’impact de Airbnb sur le secteur touristique ne serait que bénéfique : la plateforme permet de le disperser dans tous les quartiers de Paris. Emmanuel Marill rappelle le rôle majeur de son entreprise dans le tourisme parisien ainsi que le poids de ce secteur économique dans le PIB de la ville de Paris (11% en 2017). La Mairie gagnerait ainsi à favoriser une réelle relation de travail et de confiance avec l'entreprise. Un réel échange entre les deux entités tendrait ainsi, selon lui, à apporter à chacune les ressources dont elles ont besoin. L'adversité et la compétitivité ne feraient que diminuer le potentiel de chacune, quand elles pourraient s'enrichir l'une de l'autre.
La désunion européenne sert les intérêts d’Airbnb
Dans le secteur particulièrement compliqué à réguler de l’économie digitale, le politique trouve des règles face à un nouvel acteur américain et internet l’obligeant à s’y conformer. Même si les menaces de Airbnb semblent être prises au sérieux, la municipalité durcit le ton face à la plateforme et cherche à légiférer. D’autres municipalités, comme Bordeaux, emboitent le pas et cherchent à encadrer le nombre de nuitées autorisées et à instaurer une taxe de séjour. D’un point de vue étatique, l’initiative européenne de la France semble bien mal partie : pour que la taxe d’égalisation soit votée, il faut l’accord unanime des pays européens. Si notre ministre de l’économie a trouvé une oreille attentive en Allemagne et en Italie, l’Irlande reste quant à elle réfractaire à ce mouvement. Dublin est en effet le terrain préféré des géants du numérique grâce à son taux d’imposition sur les entreprises favorable. Si l’entente européenne tombe à l’eau, la France a prévenu : elle appliquera, de manière unilatérale, cette nouvelle taxe.
Ces tempêtes ne semblent pas freiner le développement de Airbnb qui réaffirme ses ambitions pour Paris et la France. Après une hausse de 40 % de ses résultats sur l’année, la plateforme vient de tripler la superficie de ses locaux.
Pierre-Alexandre Clayet
La mairie de Paris fait face à un second problème d’envergure : l’importante augmentation des loyers couplée à la raréfaction des logements dans Paris qui diminue la population de la capitale. Une baisse de 13 660 habitants entre 2009 et 2014 a ainsi été enregistrée. La Mairie de Paris a pu réagir désignant cet effet comme la conséquence de la présence massive de résidences secondaires vouées à la location via Airbnb. A cause de la rentabilité de ces locations courtes les 4 premiers arrondissements parisiens afficheraient un taux de logements inoccupés de 26% (selon la dernière enquête de l’Atelier Parisien d’Urbanisme).
Airbnb figure de proue de la nouvelle économie
L’activité d’Airbnb dans Paris étant peu encadrée par rapport aux autres capitales touristiques mondiales, le conseil de Paris a donc décidé de durcir la réglementation en votant l'instauration d'un numéro d'enregistrement, qui sera obligatoire à partir de décembre 2017, pour toute personne désirant louer son appartement sur une plateforme numérique. Il est aussi question de diminuer le nombre de jours disponibles à la location, passant ainsi de 120 à 90 jours par an. Mais d’autres parties de l’activité d’Airbnb sont visées par la mairie de Paris. La taxe de séjour prélevée sur chaque location n’est par exemple pas toujours collectée alors que les loueurs y sont soumis depuis plus d’un an (décret signé le 5 aout 2015). Ce sont ceux-là même qui ne déclarent que rarement ces nouveaux types de revenus et participent alors à la bulle spéculative immobilière dans Paris, qui voit se raréfier les logements et dans le même temps leurs prix augmenter continuellement.
Le modèle économique d’Airbnb fondé sur l’économie du partage met à mal les anciens acteurs de l’économie traditionnelle (comme l’hôtellerie). Par comparaison, lors de sa dernière levée de fonds en mars 2016, la société Airbnb était valorisée à près de 31 milliards de dollars, soit davantage que le géant hôtelier Hilton. Pourtant via un jeu d’optimisation fiscale intelligent, Airbnb ne paie que 93 000 € d’impôt en France sur un chiffre d’affaire de 5.16 millions d’euros en lieu des 136 millions qu’elle devrait déclarer sans son montage fiscal.
Définition de la nature du rapport de force : d’une ville à un pays
La pression s’accentue sur les géants de l’économie digitale, à un tel point qu’Emmanuel Marill (Directeur général d’Airbnb France et Belgique) dénonçait récemment l’acharnement de la mairie de Paris et de l’Etat français contre son entreprise. Le rapport de force est ici double. Il est à la fois réglementaire et économique. Réglementaire car la mairie de Paris et l’Etat français cherchent à modifier les lois en vigueur en obtenant notamment le droit de fixer eux-mêmes la limite de nuitées disponibles par an et par logement. Rapport de force économique également car Airbnb est mis à l’index pour son système d’évasion fiscale et l’ensemble des nuisances économiques que la plateforme et ses utilisateurs créent en dévoyant le système.
On pourrait s’attendre à ce que Airbnb, entreprise qui dispose d’une bonne réputation, puisse prendre l’avantage sur le plan de la communication face à la mairie de Paris. Pourtant l’entreprise se soustrait à toute confrontation trop directe. Airbnb veut à tout prix éviter la guerre ouverte comme celle qui oppose Uber, la plateforme de réservation de voitures avec chauffeurs, aux compagnies de taxis et aux pouvoirs publics. L’objectif est de ne pas pousser la mairie de Paris à être aussi sévère que celle de Berlin qui a tout simplement interdit les plateformes de locations courtes pour pallier au manque de logement et à l’augmentation des prix, problématiques similaires à celles auxquelles Paris fait face aujourd’hui.
L’exploitation des contradictions françaises
Airbnb est dépendante du marché français mais la réglementation proposée par la municipalité est bien moins lourde que dans d’autres capitales touristiques. D’après Airbnb une location moyenne est aux alentours de 33 jours à Paris, et la municipalité souhaite diminuer de 120 à 90 jours maximum le nombre de nuitées proposées à la location. Cette réglementation ne devrait donc en rien gêner l’activité des loueurs. Pour comparaison, à New-York, deuxième destination de la plateforme collaborative, cette limite est déjà fixée à 30 jours.
A l’échelle du pays, le camouflet infligé à l’administration fiscale par Google (le parquet a poursuivi Google pour fraude fiscale. L'entreprise a été jugée non coupable) a visiblement attiré l’attention du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, et de son homologue des Comptes publics, Gérald Darmanin, qui souhaitent créer au niveau européen une taxe d’égalisation. Pour éviter l’optimisation fiscale, l’objectif de celle-ci est de taxer le chiffre d’affaire réalisé dans le pays et non plus leur bénéfice dans celui-ci.
La plateforme américaine ne reste toutefois pas sans argument. Elle tente de faire pression en rappelant l’impact économique de son activité sur la ville. Elle dénonce ainsi le mal français de la Mairie de Paris qui « sur-réagis » et voudrait freiner un système qui marche bien. Emmanuel Marill demande d’attendre de voir les résultats des premières lois signées qui ne sont pas encore appliquées à Paris avant de chercher à créer d’autres réglementations.
Airbnb détourne aussi la faute sur ses loueurs illégaux, voire légaux, insistant sur leur responsabilité et se dédouanant d’être la cause du problème. Pour son directeur, ce serait même le contraire : Airbnb est une solution à la désertification du centre-ville de Paris : c’est grâce à cette plateforme que de nombreux Parisiens peuvent payer leurs charges trop élevées. De même, l’impact de Airbnb sur le secteur touristique ne serait que bénéfique : la plateforme permet de le disperser dans tous les quartiers de Paris. Emmanuel Marill rappelle le rôle majeur de son entreprise dans le tourisme parisien ainsi que le poids de ce secteur économique dans le PIB de la ville de Paris (11% en 2017). La Mairie gagnerait ainsi à favoriser une réelle relation de travail et de confiance avec l'entreprise. Un réel échange entre les deux entités tendrait ainsi, selon lui, à apporter à chacune les ressources dont elles ont besoin. L'adversité et la compétitivité ne feraient que diminuer le potentiel de chacune, quand elles pourraient s'enrichir l'une de l'autre.
La désunion européenne sert les intérêts d’Airbnb
Dans le secteur particulièrement compliqué à réguler de l’économie digitale, le politique trouve des règles face à un nouvel acteur américain et internet l’obligeant à s’y conformer. Même si les menaces de Airbnb semblent être prises au sérieux, la municipalité durcit le ton face à la plateforme et cherche à légiférer. D’autres municipalités, comme Bordeaux, emboitent le pas et cherchent à encadrer le nombre de nuitées autorisées et à instaurer une taxe de séjour. D’un point de vue étatique, l’initiative européenne de la France semble bien mal partie : pour que la taxe d’égalisation soit votée, il faut l’accord unanime des pays européens. Si notre ministre de l’économie a trouvé une oreille attentive en Allemagne et en Italie, l’Irlande reste quant à elle réfractaire à ce mouvement. Dublin est en effet le terrain préféré des géants du numérique grâce à son taux d’imposition sur les entreprises favorable. Si l’entente européenne tombe à l’eau, la France a prévenu : elle appliquera, de manière unilatérale, cette nouvelle taxe.
Ces tempêtes ne semblent pas freiner le développement de Airbnb qui réaffirme ses ambitions pour Paris et la France. Après une hausse de 40 % de ses résultats sur l’année, la plateforme vient de tripler la superficie de ses locaux.
Pierre-Alexandre Clayet