Crise diplomatique tchado-qatarienne : entre justification sécuritaire et réalité économique

Le 23 août 2017 le Ministère des affaires étrangères tchadien a signifié au Qatar sa décision de fermer l’ambassade de ce dernier. Cette décision s’accompagnait du renvoi de l’ambassadeur et du personnel diplomatique qatari sous un délai de 10 jours.
Le gouvernement tchadien a justifié sa décision en dénonçant le soutien du Qatar à Timan Erdimi, chef du Rassemblement des forces pour le changement (RFC) et neveu du président Idriss Déby. Pour le Tchad, le RFC tente de déstabiliser le pays en profitant du marasme libyen au Nord pour mener des incursions dans le pays. Officiellement, le gouvernement explique que cette décision est liée au fait que Timan Erdimi, résidant à Doha, est protégé par l’émirat et que l’enjeu est simplement diplomatique, sécuritaire et surtout bilatéral. Néanmoins cette décision est formulée dans un contexte complexe mêlant crise du Golfe, crise libyenne, et crise économique sévère du Tchad depuis 2014

Le Tchad : nouveau satellite saoudien dans la guerre froide irano-saoudienne
La crise du Golfe se révèle le 5 juin avec le rappel des ambassadeurs d’Arabie Saoudite, du Yémen, des Emirats Arabes-Unis et de Bahreïn de Doha. Le Tchad, quant à lui, a rappelé son ambassadeur le 8 juin en même temps que d’autres pays africains. Si le Qatar est accusé de soutenir les mouvements terroristes dans la région (Syrie, Iraq, Yémen et Libye), cette crise est surtout liée à la tension historique entre la majorité des membres du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) et l’Iran. Le 23 mai 2017 des propos polémiques tenus par l’Emir du Qatar sont rapportés par l’agence officielle Qatar News Agency. Pour Tamim ben Hamad Al Thani l’Iran serait une puissance régionale importante avec laquelle il faut composer et il affirme également que les Frères musulmans, le Hezbollah et le Hamas sont des mouvements légitimes. Si ces propos ont été immédiatement démentis par l’émir et que l’agence officielle affirme avoir été piratée, le Qatar a été placé sous embargo par ses voisins et par des Etats comme le Tchad, satellisés par l’Arabie Saoudite.
L’explication sécuritaire et diplomatique avancée par le ministre des affaires étrangères tchadien pour justifier la fermeture de l’ambassade du Qatar interroge. En premier lieu, parce que la défiance de Timan Erdimi contre le gouvernement tchadien n’est pas nouvelle et qu’elle semble difficilement justifier la rupture des relations diplomatiques avec le Qatar. Ensuite, suivant la tension liée à la crise du Golfe de juin, on peut considérer que le Tchad fait preuve de zèle dans sa volonté de mettre le Qatar à la marge. En comparaison, des pays comme la Mauritanie, les Comores, le Sénégal et le Niger, qui avaient rappelé leur ambassadeur à Doha à la même période que le Tchad, n’ont pas totalement rompu leurs relations diplomatiques avec l’Emirat.
La pugnacité tchadienne est liée certes au contexte international de la crise du Golfe mais il semble que le contexte économique du pays doive être également pris en compte pour comprendre ce rapport de force. En 2014 le PIB du Tchad s’élevait à 13,922 milliards d’USD selon les données de la Banque Mondiale. Or, en 2016, il n’est plus que de 9, 601 milliards d’USD. Il s’agit là d’une perte brutale représentant quasiment 1/3 de PIB en 2 ans et un retour au niveau du PIB de 2009 (9, 253 milliards d’USD) post-crise économique.
Cette crise économique que vie le Tchad l’amène à mettre en œuvre une stratégie double au travers de la rupture des relations diplomatiques avec le Qatar. D’une part, le Tchad doit sa mauvaise santé économique à un contexte sécuritaire difficile qui justifie la rupture diplomatique. D’autre part, en affichant son hostilité, le gouvernement tente de séduire une Arabie-Saoudite dont la stratégie de mise au ban du Qatar semble stérile. Face à cette attitude du Tchad et de l’Arabie-Saoudite, le Qatar reste dans une stratégie de défiance consistant à défendre sa souveraineté malgré les coups.
La crise économique que connait le Tchad est expliquée en partie par deux facteurs selon Idriss Déby. D’un côté, la chute du prix du pétrole, de l’autre, l’insécurité grandissante dans la région qui entrave les exportations notamment de bétail. Ces explications permettent d’entrevoir la véritable stratégie du Tchad consistant à se rapprocher à tout prix de l’Arabie-Saoudite au dépend du Qatar. L’Arabie Saoudite depuis 1974 au travers du Fond Saoudien pour le Développement, qui représente les 2/3 de l’aide humanitaire arabe totale, tend la main aux pays d’Afrique. En 2016 le Royaume a apporté des aides économiques substantielles au Tchad, notamment 117 millions de dollars en début d’année, au travers de ce fond. Avec la reprise économique que connait le pays en 2017 (10, 44 milliards d’USD) le Tchad ne peut se passer du soutien saoudien.
Cette dépendance économique explique en grande partie la satellisation acceptée par le Tchad dans le cadre de la guerre froide entre l’Arabie-Saoudite et l’Iran. Ce besoin explique le zèle du gouvernement qui, après le rappel de son ambassadeur, devient le seul pays africain à rompre totalement ses relations diplomatiques avec le Qatar. La stratégie de rupture avec Doha suit donc deux logiques. D’abord, stigmatiser le Qatar en reprenant les accusations aux origines de la crise du Golfe consistant à dénoncer le soutien aux groupements terroristes avec l’argument du soutien à Timan Erdimi. Ensuite, par cette décision, montrer à l’Arabie-Saoudite une fidélité totale dans l’espérance de voir les aides du Fond Saoudien pour le Développement s’accroître.
La problématique qui demeure en suspend consiste à déterminer les vainqueurs et les perdants de ce rapport de force. Si le Tchad se rapproche ainsi de l’Arabie-Saoudite, l’assurance de voir un accroissement de l’aide économique du royaume n’est pas certaine. En outre cette stratégie créer une tension inédite entre le Tchad et le Qatar pour des résultats diplomatiques très relatifs.
On pourrait considérer de prime abord qu’avec cette nouvelle pression du bloc saoudien l’Emirat se trouverait encore plus affaiblit et en passe de plier dans le rapport de force. Or les vainqueurs ne sont pas ici ceux qu’on croit même si la décision tchadienne n’a pas laissé le Qatar indifférent. Cet épiphénomène régional du 23 août peut sembler anecdotique mais pourtant, dès le lendemain de la rupture diplomatique, le Qatar a annoncé le retour de son ambassadeur à Téhéran. Ce timing intrigant est très révélateur de l’issu du rapport de force.

Le Qatar vainqueur du rapport de force face au Tchad et à l’Arabie-Saoudite
En réalité la stratégie tchadienne s’avère contreproductive tant pour le Tchad lui-même que pour le bloc saoudien. En faisant revenir son ambassadeur à Téhéran le Qatar fait fi de la pression tchadienne et sort vainqueur du rapport de force avec le Tchad mais aussi vainqueur du rapport de force avec l’Arabie-Saoudite. La stratégie tchadienne est donc stérile puisqu’en poussant le Qatar à se rapprocher de l’Iran, l’Arabie-saoudite est affaiblie. Le royaume ne voit vraisemblablement pas d’un bon œil l’attitude de cet Etat qui le courtise mal. Le Tchad se trouve donc paradoxalement affaiblit par sa stratégie. L’Arabie-Saoudite quant à elle, est également affaiblit par l’attitude du Tchad puisqu’elle a permis au Qatar d’affirmer la défiance qu’il lui porte au monde entier. L’Emirat est ainsi le grand vainqueur de ce rapport de force. Sa stratégie consistant à s’afficher en victime dont la souveraineté est bafouée fonctionne d’autant mieux que le Tchad la renforce. En outre, en se rapprochant de l’Iran, le Qatar montre qu’il n’est pas affecté par la pression économique et diplomatique qu’exerce le bloc saoudien. Dans ce bras de fer le rapport du fort au faible est plus subtil qu’il n’y parait puisque l’Emirat, seul face au bloc saoudien, est renforcé par cette crise diplomatique aux racines purement économiques et financières.

Nicolas Quintin