La bataille informationnelle à l’origine de la rupture entre Lafarge et la mairie de Paris
En 2007 Lafarge acquiert une cimenterie en Syrie, à Jalabiya, qui entre en activité en 2010. A partir de 2011 le contexte syrien se complique et conduit au déclenchement de la guerre. C’est alors que de nombreuses entreprises françaises telles que Total et Air liquide décident de se retirer de Syrie. Ce n’est qu’en 2014, après que l’usine soit tombée aux mains de Daesh que le groupe Lafarge décide de quitter la Syrie.
En juin 2016, le journal le Monde révèle que le groupe Lafarge, fusionné en 2005 avec le suisse Holcim, spécialisé dans les matériaux de construction et leader mondial dans son secteur, aurait indirectement financé le groupe terroriste Daesh de 2012 à 2014. Le cimentier contraint de faire face à l’économie de racket instauré par les groupes armés en Syrie monnaye la sécurité et le laisser passer des employés de l’usine et des camions avec les groupes armés puis plus tard avec Daesh. Le groupe se fournit, par ailleurs, auprès du groupe terroriste pour l’achat de pétrole. Lafarge verse alors 20 000 euros mensuels à Daesh qu’il désigne comme des notes de « frais de représentation ». La volonté primordiale du groupe est en effet de maintenir le fonctionnement de son usine en Syrie afin de conserver un avantage stratégique pour la future reconstruction du pays.
Les contradictions françaises dans leur approche du dossier syrien
La France cautionne la politique de Lafarge en Syrie. Après le départ des autres entreprises, le cimentier reste le plus gros investissement français en Syrie et occupe donc une place stratégique pour le gouvernement. Par ailleurs, la cimenterie en Syrie constitue à la fois une base militaire et une base de renseignement pour les militaires français.
Ce choix expose la France à une défaite informationnelle en termes de guerre de l’information. L’ancien Ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, et deux des anciens ambassadeurs de France en Syrie vont être entendus par la justice dans cette affaire. Le Quai d’Orsay dément son implication et son approbation pour que Lafarge se maintienne en Syrie.
Si on reprend le fil des évènements, Bercy dépose une plainte en octobre 2016 contre le cimentier français pour relations financières entre la France et la Syrie. Une enquête préliminaire est alors ouverte par le Parquet de Paris. Un rapport parlementaire d’information, à l’initiative de Jean Frédéric Poisson, député des Yvelines, fait au nom de la mission d’information sur les moyens de Daesh en juillet 2015 avait alors affirmé qu’aucun élément ne permettait « d’établir que le groupe ou ses entités locales, ont participé, directement ou indirectement, ni même de façon passive au financement de Daesh. » Cette mission d’information avait cependant été mise en place après la découverte de courriels envoyés par Lafarge en Syrie démontrant que la direction avait connaissance des manœuvres opérées à Jalabiya. Ce même rapport justifiait les soupçons pesant sur le groupe par leur volonté de préserver l’activité de l’usine en Syrie, malgré le caractère instable de la zone et les relations que l’usine entretenait avec les autorités syriennes et les forces kurdes sans préciser la nature de ses relations.
Une plainte est à nouveau déposée contre le groupe Lafarge au nom des employés syriens de l’usine, par l’organisation non gouvernementale Sherpa, association crée en vue de protéger et défendre les populations victimes de crimes économiques ainsi que par l’ECCHR (European Center for Constitutional and Human rights) en novembre 2016. Le 2 mars 2017, Lafarge reconnaît avoir conclu des arrangements inacceptables avec Daesh. A la suite de ces révélations, une information judiciaire est ouverte le 9 juin 2017 pour financement du terrorisme et mise en danger de la vie d’autrui et élargie le 23 juin aux faits visés par le travail des douanes. Les dirigeants du groupe affirment, au cours de cette enquête que le quai d’Orsay a insisté pour que Lafarge se maintienne en Syrie. A plusieurs reprises le groupe a consulté l’ambassadeur de France à Damas puis en Jordanie et le gouvernement français a toujours maintenu sa position pour inciter le groupe français à se maintenir en Syrie.
Les dégâts collatéraux d’une position impossible à assumer officiellement
Depuis 2002, l’entreprise Lafarge fournissait gracieusement à la mairie de Paris 3000 tonnes de sable afin de contribuer à l’aménagement de Paris Plage. Le sable était acheminé par voie fluviale. Ce service permettait notamment au groupe de bénéficier d’un espace de publicité important et de premier choix ainsi que de mettre en place une opération de communication autour du transport fluvial plus écologique. Après les révélations du journal le Monde, la ville de Paris choisit tout de même de renouveler son partenariat avec le groupe pour l’été 2016 affirmant que les accusations portées contre le groupe français n’étaient pas confirmées. Ce partenariat a été voté à l’unanimité, à l’exception de Danielle Simonet, conseillère de Paris. Au cours d’une assemblée réunissant les élus de Paris, celle-ci met en exergue l’ironie du renouvellement du partenariat avec Lafarge alors même que l’édition 2016 de Paris Plage est mise sous le signe de la solidarité avec les victimes de l’attentat de Sousse en Tunisie.
Le 28 mars 2017, Bruno Julliard, premier adjoint de la maire de Paris annonce la fin du partenariat entre la mairie de Paris et l’entreprise Lafarge. Cette décision intervient après que la mairie ait subi des pressions émanant des élus écologistes. Ces derniers ont en effet dénoncé les déclarations d’un des dirigeants de Lafarge qui a affirmé que l’entreprise se positionnerait pour vendre du ciment en vue de la fabrication du « Mur Trump » destiné à empêcher le passage clandestin du Mexique vers les Etats-Unis. La mairie de Paris a justifié sa décision par son attache à ses engagements éthiques, environnementaux et sociaux.
Il semblerait donc que la mairie de Paris ait dû mettre un terme malgré elle au partenariat avec Lafarge. Elle a repoussé autant que possible la renonciation à la collaboration mais l’annonce des dirigeants de Lafarge sur le mur Trump a été décisive. Il n’est cependant pas certain que la mairie de Paris aurait décidé d’elle même d’arrêter le partenariat. Il semble que ce soit les pressions qui pesaient sur elle, d’abord par Danielle Simonnet qui dénonçait le financement du terrorisme par Lafarge puis par le groupe écologiste qui s’opposait à la construction du mur Trump, qui ait contraint la mairie de Paris à abandonner le partenariat. Sans ces pressions politiques y aurait-elle mis fin ? Rien n’est moins sûr car ce partenariat représentait une véritable opportunité pour Paris qui doit désormais mettre fin à Paris Plage et remplacer les plages par des zones bétonnées. La réputation de Lafarge a, elle, été fortement touchée, notamment par la fin de ce partenariat. Malgré la création d’un comité éthique en avril 2017, l’entreprise par ailleurs très investie dans la politique RSE perd de sa crédibilité. Dans ce rapport de force tripartite, ce seront finalement les élus qui auront obtenu gain de cause pour faire prévaloir l’éthique au détriment de la mairie de Paris et de Lafarge qui sortent tous les deux perdants de la fin de leur collaboration.
Le rapport de force dans cette affaire a été implicite. Alors qu’il apparaît dans la presse qu’il a eu lieu entre Lafarge et la mairie de Paris, il semblerait qu’il vienne d’ailleurs. Dans un premier temps, le gouvernement français a joué un rôle majeur dans cette affaire. Après avoir fortement incité Lafarge à rester en Syrie pour des raisons stratégiques, le gouvernement semble avoir totalement renié l’entreprise au moment des révélations et ne s’est pas non plus prononcé quand la mairie a mis fin au partenariat alors qu’il aurait pu intercéder en faveur de Lafarge. Dans un second temps, le rapport de force est apparu entre la mairie de Paris et certains élus. Un bras de fer a alors été engagé par les élus qui refusait le partenariat et la mairie qui en tirait profit. Sous couvert des engagements éthiques de la ville de Paris, la mairie a abandonné le partenariat, contrainte par la pression des élus et la nécessité de satisfaire l’opinion publique.
Mathilde De Gournay
En juin 2016, le journal le Monde révèle que le groupe Lafarge, fusionné en 2005 avec le suisse Holcim, spécialisé dans les matériaux de construction et leader mondial dans son secteur, aurait indirectement financé le groupe terroriste Daesh de 2012 à 2014. Le cimentier contraint de faire face à l’économie de racket instauré par les groupes armés en Syrie monnaye la sécurité et le laisser passer des employés de l’usine et des camions avec les groupes armés puis plus tard avec Daesh. Le groupe se fournit, par ailleurs, auprès du groupe terroriste pour l’achat de pétrole. Lafarge verse alors 20 000 euros mensuels à Daesh qu’il désigne comme des notes de « frais de représentation ». La volonté primordiale du groupe est en effet de maintenir le fonctionnement de son usine en Syrie afin de conserver un avantage stratégique pour la future reconstruction du pays.
Les contradictions françaises dans leur approche du dossier syrien
La France cautionne la politique de Lafarge en Syrie. Après le départ des autres entreprises, le cimentier reste le plus gros investissement français en Syrie et occupe donc une place stratégique pour le gouvernement. Par ailleurs, la cimenterie en Syrie constitue à la fois une base militaire et une base de renseignement pour les militaires français.
Ce choix expose la France à une défaite informationnelle en termes de guerre de l’information. L’ancien Ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, et deux des anciens ambassadeurs de France en Syrie vont être entendus par la justice dans cette affaire. Le Quai d’Orsay dément son implication et son approbation pour que Lafarge se maintienne en Syrie.
Si on reprend le fil des évènements, Bercy dépose une plainte en octobre 2016 contre le cimentier français pour relations financières entre la France et la Syrie. Une enquête préliminaire est alors ouverte par le Parquet de Paris. Un rapport parlementaire d’information, à l’initiative de Jean Frédéric Poisson, député des Yvelines, fait au nom de la mission d’information sur les moyens de Daesh en juillet 2015 avait alors affirmé qu’aucun élément ne permettait « d’établir que le groupe ou ses entités locales, ont participé, directement ou indirectement, ni même de façon passive au financement de Daesh. » Cette mission d’information avait cependant été mise en place après la découverte de courriels envoyés par Lafarge en Syrie démontrant que la direction avait connaissance des manœuvres opérées à Jalabiya. Ce même rapport justifiait les soupçons pesant sur le groupe par leur volonté de préserver l’activité de l’usine en Syrie, malgré le caractère instable de la zone et les relations que l’usine entretenait avec les autorités syriennes et les forces kurdes sans préciser la nature de ses relations.
Une plainte est à nouveau déposée contre le groupe Lafarge au nom des employés syriens de l’usine, par l’organisation non gouvernementale Sherpa, association crée en vue de protéger et défendre les populations victimes de crimes économiques ainsi que par l’ECCHR (European Center for Constitutional and Human rights) en novembre 2016. Le 2 mars 2017, Lafarge reconnaît avoir conclu des arrangements inacceptables avec Daesh. A la suite de ces révélations, une information judiciaire est ouverte le 9 juin 2017 pour financement du terrorisme et mise en danger de la vie d’autrui et élargie le 23 juin aux faits visés par le travail des douanes. Les dirigeants du groupe affirment, au cours de cette enquête que le quai d’Orsay a insisté pour que Lafarge se maintienne en Syrie. A plusieurs reprises le groupe a consulté l’ambassadeur de France à Damas puis en Jordanie et le gouvernement français a toujours maintenu sa position pour inciter le groupe français à se maintenir en Syrie.
Les dégâts collatéraux d’une position impossible à assumer officiellement
Depuis 2002, l’entreprise Lafarge fournissait gracieusement à la mairie de Paris 3000 tonnes de sable afin de contribuer à l’aménagement de Paris Plage. Le sable était acheminé par voie fluviale. Ce service permettait notamment au groupe de bénéficier d’un espace de publicité important et de premier choix ainsi que de mettre en place une opération de communication autour du transport fluvial plus écologique. Après les révélations du journal le Monde, la ville de Paris choisit tout de même de renouveler son partenariat avec le groupe pour l’été 2016 affirmant que les accusations portées contre le groupe français n’étaient pas confirmées. Ce partenariat a été voté à l’unanimité, à l’exception de Danielle Simonet, conseillère de Paris. Au cours d’une assemblée réunissant les élus de Paris, celle-ci met en exergue l’ironie du renouvellement du partenariat avec Lafarge alors même que l’édition 2016 de Paris Plage est mise sous le signe de la solidarité avec les victimes de l’attentat de Sousse en Tunisie.
Le 28 mars 2017, Bruno Julliard, premier adjoint de la maire de Paris annonce la fin du partenariat entre la mairie de Paris et l’entreprise Lafarge. Cette décision intervient après que la mairie ait subi des pressions émanant des élus écologistes. Ces derniers ont en effet dénoncé les déclarations d’un des dirigeants de Lafarge qui a affirmé que l’entreprise se positionnerait pour vendre du ciment en vue de la fabrication du « Mur Trump » destiné à empêcher le passage clandestin du Mexique vers les Etats-Unis. La mairie de Paris a justifié sa décision par son attache à ses engagements éthiques, environnementaux et sociaux.
Il semblerait donc que la mairie de Paris ait dû mettre un terme malgré elle au partenariat avec Lafarge. Elle a repoussé autant que possible la renonciation à la collaboration mais l’annonce des dirigeants de Lafarge sur le mur Trump a été décisive. Il n’est cependant pas certain que la mairie de Paris aurait décidé d’elle même d’arrêter le partenariat. Il semble que ce soit les pressions qui pesaient sur elle, d’abord par Danielle Simonnet qui dénonçait le financement du terrorisme par Lafarge puis par le groupe écologiste qui s’opposait à la construction du mur Trump, qui ait contraint la mairie de Paris à abandonner le partenariat. Sans ces pressions politiques y aurait-elle mis fin ? Rien n’est moins sûr car ce partenariat représentait une véritable opportunité pour Paris qui doit désormais mettre fin à Paris Plage et remplacer les plages par des zones bétonnées. La réputation de Lafarge a, elle, été fortement touchée, notamment par la fin de ce partenariat. Malgré la création d’un comité éthique en avril 2017, l’entreprise par ailleurs très investie dans la politique RSE perd de sa crédibilité. Dans ce rapport de force tripartite, ce seront finalement les élus qui auront obtenu gain de cause pour faire prévaloir l’éthique au détriment de la mairie de Paris et de Lafarge qui sortent tous les deux perdants de la fin de leur collaboration.
Le rapport de force dans cette affaire a été implicite. Alors qu’il apparaît dans la presse qu’il a eu lieu entre Lafarge et la mairie de Paris, il semblerait qu’il vienne d’ailleurs. Dans un premier temps, le gouvernement français a joué un rôle majeur dans cette affaire. Après avoir fortement incité Lafarge à rester en Syrie pour des raisons stratégiques, le gouvernement semble avoir totalement renié l’entreprise au moment des révélations et ne s’est pas non plus prononcé quand la mairie a mis fin au partenariat alors qu’il aurait pu intercéder en faveur de Lafarge. Dans un second temps, le rapport de force est apparu entre la mairie de Paris et certains élus. Un bras de fer a alors été engagé par les élus qui refusait le partenariat et la mairie qui en tirait profit. Sous couvert des engagements éthiques de la ville de Paris, la mairie a abandonné le partenariat, contrainte par la pression des élus et la nécessité de satisfaire l’opinion publique.
Mathilde De Gournay