Le 26 septembre, les constructeurs français Alstom et allemand Siemens annoncent la fusion de leurs activités à travers un communiqué de presse déclarant la « signature d'un protocole d'accord qui garantit l'exclusivité de rapprocher leurs activités de mobilité dans une fusion entre égaux ». Trois ans après le rachat de la branche énergie du groupe Alstom par l’américain General Electric, c’est au tour de l’entité transport, dernière activité française du groupe de passer sous pavillon étranger.
Un rapport de force perdu par la France ?
Les négociations encouragées par l’État français « convaincu de l’intérêt industriel de ce ‘deal’ » ont démarré au printemps 2017 pour aboutir à un accord rendu public en septembre. L’activité de signalisation (activité la plus rentable du groupe français) se retrouvera en Allemagne alors que l’activité du matériel roulant sera localisée en France. Le siège du nouveau groupe se trouvera également en France dans la région parisienne et l’entreprise sera cotée à la Bourse de Paris. Le président directeur général du nouveau géant Siemens-Alstom sera Henri Poupart-Lafarge, actuel directeur général d’Alstom. Siemens obtiendra la majorité au conseil d’administration avec six sièges dont quatre indépendants sur onze et le poste de président du conseil. Si au départ le groupe allemand entrera au capital d’Alstom à hauteur de 50% pour en devenir l’actionnaire majoritaire, l’accord prévoit que d’ici quatre ans, Siemens puisse dépasser les 50,5% et ainsi prendre le contrôle total du groupe. Au bout de cette période, Siemens disposera en effet de bons de souscription d’actions lui permettant d’acquérir des actions d’Alstom représentant 2% de son capital. En regardant de plus près les détails de l’accord, plusieurs déséquilibres remettent en cause l’idée d’une fusion « entre égaux » comme annoncée par le gouvernement français. En permettant à Siemens de devenir actionnaire majoritaire au-delà de 50% du capital d’ici quatre ans et en accordant la majorité de sièges au conseil d’administration du futur ensemble à Siemens, Alstom a tout simplement signé sa prise de contrôle par son homologue allemand. Ainsi, nous ne sommes pas face à une alliance, ni même face à la création d’un « nouvel Airbus du ferroviaire » comme certains l’ont annoncé, mais face à un rachat déguisé par un habituel rodage communicationnel, comme on a pu le voir illustré dans le passé à plusieurs reprises avec les affaires Alstom Energie et General Electric, Alcatel et Lucent ou encore Lafarge et Holcim.
Le décrochage des élites françaises sur la notion de puissance industrielle
Pour le journaliste Jean-Michel Quatrepoint, auteur du livre « Alstom, scandale d’Etat », « la vente d’Alstom était un scandale écrit d’avance ». En effet, comme il l’explique dans un entretien publié sur FigaroVox, seuls les grands conglomérats aux multiples activités pouvant opérer d’importantes économies d’échelles peuvent à terme s’en sortir sur les marchés mondiaux. Or en une vingtaine d’années l’ancien géant de l’industrie française est passé de leader des télécoms, des câbles, de l’énergie, du ferroviaire et des chantiers navals a un groupe aujourd’hui en passe de disparaître. Pour faire face au nouveau champion du transport chinois CRCC (China Railway Construction Corporation Limited) qui totalise un chiffre d’affaires de 30 milliards d’euros, Alstom n’avait pas le choix, elle devait soit racheter soit se faire racheter.
Malgré une santé financière retrouvée, avec un chiffre d’affaire en progression de 6,2% par rapport à 2016, Alstom n’a pas su sortir vainqueur de ce nouveau rapport de force, quelques années après avoir cédé ses activités énergétiques à General Electric sous la menace de sanctions judiciaires. Ainsi, peut-on se demander pourquoi Alstom à échoué là où les conglomérats allemand et américain ont succédé ?
Bruno Le Maire a confirmé mercredi 27 septembre que l’État français n’entrerait pas au capital de la future entreprise. Actionnaire à hauteur de 20% via un prêt du groupe Bouygues (détenteur de 28,8% des parts d’Alstom), l’État a donc décidé de ne pas exercer son option d’achat, et sortira ainsi officiellement du capital d’Alstom le 17 octobre, jour d’expiration de son prêt.
Pour répondre à ceux qui accusent le gouvernement de négligence dans cette nouvelle affaire de rachat, le ministre de l’Économie à déclarer que « L'État n'a pas vocation à être assis sur un strapontin dans les conseils d'administration (...) sans pouvoir intervenir ». Pourtant, le gouvernement français aurait pu avoir intérêt à rester au capital du groupe, car même en n’étant pas actionnaire majoritaire, il aurait conservé un droit de regard sur les engagements sociaux pris par Siemens et sur les futures orientations stratégiques du groupe. Il aurait également pu bénéficier de la création de valeur née de la synergie des deux entreprises et ainsi espérer un important retour sur investissement. Si l’État n’est pas resté au capital du groupe, c’est d’abord car les pressions du côté allemand ont imposé comme condition au bon déroulement de la fusion la levée de l’option d’achat du gouvernent français auprès des parts du groupe Bouygues. Ainsi, en acceptant les directives allemandes, l’État français consolide son idée de projet européen en faisant un geste envers l’Allemagne et perpétue dans le même temps une politique implicite de désindustrialisation qui rythme la France depuis les deux dernières décennies.
Le retour d’un certain opportunisme d’affaires et de la recherche de rente
Si le groupe Alstom a éprouvé autant de difficultés ces vingt dernières années cela s’explique plus profondément par l’abandon de la politique industrielle française entamée depuis le début des années 90 par les classes dirigeantes. Pour l’historien Paul Vermeren, la vente d’Alstom Transport à Siemens est en effet une « nouvelle illustration du déclin industriel français » qui s’opère depuis plus d’une trentaine d’années. La France fut, aux côtés de l’Allemagne, un des meneurs la deuxième révolution industrielle de 1880 à 1930. A cette époque, deux France se distinguent sur des positionnements économiques différents. D’un côté, la France du Nord, à son apogée en matière de politique industrielle, de l’autre, la France du Sud, qui se lance dans un autre capitalisme, le capitalisme marchand et financier né de la compétition coloniale dans laquelle est engagé le pays. Dans les années 60, la France est à son paroxysme : à la fois leader sur le marché mondial dans de grands secteurs industriels et en bonne position sur les nouveaux secteurs tertiaires comme la banque ou le tourisme. Après la crise industrielle des années 70, le pays a du mal à retrouver sa puissance et progressivement démarre la « liquidation de son capital industriel ». De nouvelles logiques font leur entrée parmi les classes dirigeantes et rapidement la politique industrielle française n’est plus une priorité face à la financiarisation, le développement du secteur tertiaire et la mise en place de nouvelle politique sociale de redistribution qui pèsent sur la santé financière des grands groupes français. Pour Paul Vermeren, la France vit aujourd’hui le « grand retour du modèle capitaliste qu'elle avait connu à l'époque de son empire colonial : financier, improductif, marchand et rentier ». Si une partie de ce capitalisme reste dynamique (par exemple sur les secteurs de la grande distribution et du luxe), il peut être judicieux de se poser la question de la viabilité à terme de cette stratégie économique.
Anne-Elizabeth Maghinici
Sources
Entretien téléphonique avec Jean-Michel Quatrepoint le 11 octobre 2017.
Vermeren, Pierre. 8 octobre 2017. « Le grand bond en arrière du capitalisme français ». Le Figaro.
Mabille, Philippe. 4 octobre 2017. « Industrie : ne m’appelez plus jamais France ». La Tribune
Devecchio, Alexandre. 28 septembre 2017. « La vente d’Alstom était uns scandale écrit d’avance » : Entretien avec Jean-Michel Quatrepoint. FigaroVox
Albouy, Michel. 9 octobre 2017. « Alstom-Siemens : questions pour une fusion ». La Tribune
Barroux, David. 26 septembre 2017. « Fusion Alstom-Siemens : les coulisses d'un deal historique ». Les Echos
Ewing, Jack et Alderman, Liz. 27 septembre 2017. « Siemens and Alstom Form European Train Giant to Beat Chinese Competition ». New York Times
Clavel, Geoffroy et Boudet, Alexandre. 27 septembre 2017. « Fusion Alstom-Siemens: pour Bruno Le Maire, "l'Etat n'a pas vocation à être assis sur un strapontin" ». Huffington Post
Un rapport de force perdu par la France ?
Les négociations encouragées par l’État français « convaincu de l’intérêt industriel de ce ‘deal’ » ont démarré au printemps 2017 pour aboutir à un accord rendu public en septembre. L’activité de signalisation (activité la plus rentable du groupe français) se retrouvera en Allemagne alors que l’activité du matériel roulant sera localisée en France. Le siège du nouveau groupe se trouvera également en France dans la région parisienne et l’entreprise sera cotée à la Bourse de Paris. Le président directeur général du nouveau géant Siemens-Alstom sera Henri Poupart-Lafarge, actuel directeur général d’Alstom. Siemens obtiendra la majorité au conseil d’administration avec six sièges dont quatre indépendants sur onze et le poste de président du conseil. Si au départ le groupe allemand entrera au capital d’Alstom à hauteur de 50% pour en devenir l’actionnaire majoritaire, l’accord prévoit que d’ici quatre ans, Siemens puisse dépasser les 50,5% et ainsi prendre le contrôle total du groupe. Au bout de cette période, Siemens disposera en effet de bons de souscription d’actions lui permettant d’acquérir des actions d’Alstom représentant 2% de son capital. En regardant de plus près les détails de l’accord, plusieurs déséquilibres remettent en cause l’idée d’une fusion « entre égaux » comme annoncée par le gouvernement français. En permettant à Siemens de devenir actionnaire majoritaire au-delà de 50% du capital d’ici quatre ans et en accordant la majorité de sièges au conseil d’administration du futur ensemble à Siemens, Alstom a tout simplement signé sa prise de contrôle par son homologue allemand. Ainsi, nous ne sommes pas face à une alliance, ni même face à la création d’un « nouvel Airbus du ferroviaire » comme certains l’ont annoncé, mais face à un rachat déguisé par un habituel rodage communicationnel, comme on a pu le voir illustré dans le passé à plusieurs reprises avec les affaires Alstom Energie et General Electric, Alcatel et Lucent ou encore Lafarge et Holcim.
Le décrochage des élites françaises sur la notion de puissance industrielle
Pour le journaliste Jean-Michel Quatrepoint, auteur du livre « Alstom, scandale d’Etat », « la vente d’Alstom était un scandale écrit d’avance ». En effet, comme il l’explique dans un entretien publié sur FigaroVox, seuls les grands conglomérats aux multiples activités pouvant opérer d’importantes économies d’échelles peuvent à terme s’en sortir sur les marchés mondiaux. Or en une vingtaine d’années l’ancien géant de l’industrie française est passé de leader des télécoms, des câbles, de l’énergie, du ferroviaire et des chantiers navals a un groupe aujourd’hui en passe de disparaître. Pour faire face au nouveau champion du transport chinois CRCC (China Railway Construction Corporation Limited) qui totalise un chiffre d’affaires de 30 milliards d’euros, Alstom n’avait pas le choix, elle devait soit racheter soit se faire racheter.
Malgré une santé financière retrouvée, avec un chiffre d’affaire en progression de 6,2% par rapport à 2016, Alstom n’a pas su sortir vainqueur de ce nouveau rapport de force, quelques années après avoir cédé ses activités énergétiques à General Electric sous la menace de sanctions judiciaires. Ainsi, peut-on se demander pourquoi Alstom à échoué là où les conglomérats allemand et américain ont succédé ?
Bruno Le Maire a confirmé mercredi 27 septembre que l’État français n’entrerait pas au capital de la future entreprise. Actionnaire à hauteur de 20% via un prêt du groupe Bouygues (détenteur de 28,8% des parts d’Alstom), l’État a donc décidé de ne pas exercer son option d’achat, et sortira ainsi officiellement du capital d’Alstom le 17 octobre, jour d’expiration de son prêt.
Pour répondre à ceux qui accusent le gouvernement de négligence dans cette nouvelle affaire de rachat, le ministre de l’Économie à déclarer que « L'État n'a pas vocation à être assis sur un strapontin dans les conseils d'administration (...) sans pouvoir intervenir ». Pourtant, le gouvernement français aurait pu avoir intérêt à rester au capital du groupe, car même en n’étant pas actionnaire majoritaire, il aurait conservé un droit de regard sur les engagements sociaux pris par Siemens et sur les futures orientations stratégiques du groupe. Il aurait également pu bénéficier de la création de valeur née de la synergie des deux entreprises et ainsi espérer un important retour sur investissement. Si l’État n’est pas resté au capital du groupe, c’est d’abord car les pressions du côté allemand ont imposé comme condition au bon déroulement de la fusion la levée de l’option d’achat du gouvernent français auprès des parts du groupe Bouygues. Ainsi, en acceptant les directives allemandes, l’État français consolide son idée de projet européen en faisant un geste envers l’Allemagne et perpétue dans le même temps une politique implicite de désindustrialisation qui rythme la France depuis les deux dernières décennies.
Le retour d’un certain opportunisme d’affaires et de la recherche de rente
Si le groupe Alstom a éprouvé autant de difficultés ces vingt dernières années cela s’explique plus profondément par l’abandon de la politique industrielle française entamée depuis le début des années 90 par les classes dirigeantes. Pour l’historien Paul Vermeren, la vente d’Alstom Transport à Siemens est en effet une « nouvelle illustration du déclin industriel français » qui s’opère depuis plus d’une trentaine d’années. La France fut, aux côtés de l’Allemagne, un des meneurs la deuxième révolution industrielle de 1880 à 1930. A cette époque, deux France se distinguent sur des positionnements économiques différents. D’un côté, la France du Nord, à son apogée en matière de politique industrielle, de l’autre, la France du Sud, qui se lance dans un autre capitalisme, le capitalisme marchand et financier né de la compétition coloniale dans laquelle est engagé le pays. Dans les années 60, la France est à son paroxysme : à la fois leader sur le marché mondial dans de grands secteurs industriels et en bonne position sur les nouveaux secteurs tertiaires comme la banque ou le tourisme. Après la crise industrielle des années 70, le pays a du mal à retrouver sa puissance et progressivement démarre la « liquidation de son capital industriel ». De nouvelles logiques font leur entrée parmi les classes dirigeantes et rapidement la politique industrielle française n’est plus une priorité face à la financiarisation, le développement du secteur tertiaire et la mise en place de nouvelle politique sociale de redistribution qui pèsent sur la santé financière des grands groupes français. Pour Paul Vermeren, la France vit aujourd’hui le « grand retour du modèle capitaliste qu'elle avait connu à l'époque de son empire colonial : financier, improductif, marchand et rentier ». Si une partie de ce capitalisme reste dynamique (par exemple sur les secteurs de la grande distribution et du luxe), il peut être judicieux de se poser la question de la viabilité à terme de cette stratégie économique.
Anne-Elizabeth Maghinici
Sources
Entretien téléphonique avec Jean-Michel Quatrepoint le 11 octobre 2017.
Vermeren, Pierre. 8 octobre 2017. « Le grand bond en arrière du capitalisme français ». Le Figaro.
Mabille, Philippe. 4 octobre 2017. « Industrie : ne m’appelez plus jamais France ». La Tribune
Devecchio, Alexandre. 28 septembre 2017. « La vente d’Alstom était uns scandale écrit d’avance » : Entretien avec Jean-Michel Quatrepoint. FigaroVox
Albouy, Michel. 9 octobre 2017. « Alstom-Siemens : questions pour une fusion ». La Tribune
Barroux, David. 26 septembre 2017. « Fusion Alstom-Siemens : les coulisses d'un deal historique ». Les Echos
Ewing, Jack et Alderman, Liz. 27 septembre 2017. « Siemens and Alstom Form European Train Giant to Beat Chinese Competition ». New York Times
Clavel, Geoffroy et Boudet, Alexandre. 27 septembre 2017. « Fusion Alstom-Siemens: pour Bruno Le Maire, "l'Etat n'a pas vocation à être assis sur un strapontin" ». Huffington Post