TAXIS contre VTC, comment sortir de la crise du transport rémunéré de personnes, en France ?

Il n’est probablement pas habituel que soit faite, dans un rapport stratégique ou de gestion de crise, une mise en perspective historique ou socio-politique, quand bien même celle-ci rencontrerait un succès indéniable sur le plan analytique. De même, fait-on rarement référence au concept de « praxis historique », c’est-à-dire à celui de la répétition de l’histoire, dont l’auteur du Capital nous apprendra qu’elle voit s’affronter, sur le champ social, le passé et l’avenir, la conservation et la transformation. Prenant pour acquis que cette répétition signe la rupture avec ce passé dont on se réclame et une réalité essentiellement nouvelle, comment ne pas voir dans la crise – qui oppose les compagnies de taxis traditionnelles aux compagnies nouvelles de VTC – une répétition historique flagrante ?

On peut remonter jusqu’à Louis XIV pour voir apparaître les premiers fiacres et la nécessité de leur appliquer de premières réglementations, sensiblement celles qui s’appliquent encore aujourd’hui, d’ailleurs. Et l’Etat est dès lors régulièrement intervenu au cours des siècles pour réglementer ce secteur des transports, notamment lorsque, pour sortir d’une crise de sécurité et de non-respect des réglementations, Louis XVI accordera une première concession de service public monopolistique.

Il interviendra à nouveau lorsque Napoléon III, à l’approche de l’exposition universelle, décidera de réguler le marché des fiacres « taxis » à Paris, en créant en 1855 une plateforme monopolistique, la Compagnie Impériale des Voitures, transformant, pour dix ans seulement, un marché de petits et moyens entrepreneurs indépendants en un monopole privé mieux contrôlé, mais qui dégradera le statut et les conditions de travail des cochers. Et encore lorsque, les progrès technologiques faisant évoluer le service du cheval à la machine, comme aujourd’hui les VTC (Véhicules de Tourisme avec Chauffeurs), ces nouveaux taxis à moteur engendreront l’ire des cochers en esquivant pendant un temps les réglementations en place pour leurs concurrents historiques.

Il est intéressant de noter qu’à la plupart de ces étapes la sortie de crise s’est faite, tant sous Louis XVI que sous Napoléon III, par une indemnisation de certaines parties prenantes et par la mise en place d’une réglementation centralisée, voire monopolistique. Les règles de base des taxis que nous connaissons aujourd’hui ont pris place sous le front populaire, avec le numerus clausus et la tarification réglementée en 1937. Elles ont ensuite peu évolué, mais se sont fortement complexifiées.

L’histoire des taxis est donc jalonnée de crises auxquelles les différentes stratégies adoptées pour y mettre fin, ou les limiter, ne semblent, à chaque fois, qu’apporter une solution temporaire, et doivent être révisées encore et encore avec l’évolution technique, économique ou sociale. Et la dernière en date n’est pas des moindres. Avec l’arrivée des plateformes numériques de mise en relation, qui ont ouvert la route à l’explosion des VTC, un changement de paradigme s’applique au monde entier.

Tandis qu’en France, nous nous débattons dans une évolution très rapide, peut-être même trop rapide pour un marché très réglementé, ayant pour effet que les tentatives de solutions mises en place jusqu’ici ne parviennent pas réellement à résoudre l’équation.

Aujourd’hui, où en sommes-nous ? Que devons-nous prendre en compte pour nous donner les moyens d'envisager et de préconiser les bonnes solutions à une sortie de crise ?

Sortir de la crise nécessitait de trouver une solution respectueuse de l’ancien état et du nouvel état. Cela nécessite de comprendre à la fois les intérêts à préserver et les revendications à considérer. 
Les principales problématiques qui sont d’abord ressorties de nos analyses respectives sont l’importance de protéger les investissements des chauffeurs de taxis et la protection sociale des chauffeurs de VTC.

Mais ce que cela révèle surtout c’est la désuétude d’un modèle et le bouleversement du marché par un autre. C’est une forme de nouvelle querelle des Anciens et des Modernes, dans une application très ciblée ici, mais qui n’est pas embryonnaire du tout et porte en son sein la capacité de bouleverser fondamentalement le système économique, social et sociétal actuel.

La piste d’abord privilégiée au sein de l'étude consiste dans la mise en place d’un système tripartite composé d’un statut uniformisé, conditionné par l’établissement d’un fonds de garantie, lui-même financé par une cotisation généralisée. Le tout doit nécessairement être légitimé par la création d’une Autorité en charge de diriger cette phase de transition. Un travail sur des problématiques annexes ou des signaux faibles nous a cependant révélé que la réalité de l’offre et de la demande est à l’équilibre, que les solutions des pays voisins ne sont pas pérennes si elles ne sont pas évolutives dans le temps et si elles ne prennent pas en compte la température européenne sur le sujet (Italie). La France doit prendre en compte ces diverses réalités dans la gestion de la crise qu’elle connaît. Si notre priorité est de préserver l’intérêt du plus grand nombre de la préservation des intérêts de tous, la solution qui se dégage actuellement – et telle qu’expliquée plus haut – se trouve être conforme aux objectifs européens en ce qu’elle est une transition vers un marché ouvert, mettant fin au marché des licences. Dans l’hypothèse où tous les intérêts ne peuvent être préservés, la solution qui se dégage actuellement – et telle qu’expliquée plus haut – se trouve être inutile et caduque. Mieux vaut attendre une directive européenne, à priori largement favorable au nouvel acteur du marché et à une forme de nouvelle économie. Tandis que dans l’attente de cette directive, l’industrie du VTC s’enracine de façon de plus en plus favorable et durable.

Si l’ambition est d’agir ou de « commettre une influence » quelconque au support de cette solution, alors il importe de se pencher sur les différents acteurs ou terrains d’influence. Ni l’Europe, ni la France du lendemain des élections ne sont hostiles à une nouvelle économie. Ce qui est un euphémisme, à considérer le lobbyisme appuyé de sociétés telles qu’Uber et AirBnB auprès des institutions bruxelloises. S’il faut cependant trouver les brèches susceptibles de faire entendre une voix dans la forteresse, il est éventuellement possible d’interroger l’Europe sur l’évasion fiscale de sociétés majeures au sein de cette nouvelle économie.

Quant à la France, si le second tour des élections se solde par une victoire du camp libéral, il sera toujours possible de questionner l’entourage « gauche sociale » du vainqueur sur la survie des emplois en France et des régimes de protection sociale. Quoiqu’il en soit, nous supposons qu’à moyen terme la décision ne réside pas entièrement entre les mains de la France, dans la mesure où l’Europe se dirige vers l’acceptation intégrale du nouveau « business model » de l’économie de partage, ou de « l’ubérisation ». Partant de là, et du constat que les lobbies auprès de Bruxelles sont favorables à cette nouvelle économie, il semble utile et nécessaire de s’orienter dans le sens d’une solution largement inspirée des travaux préparatoires de l’Union Européenne.

A savoir donc, la dérégulation et la domination d’un système libéral. Si on ajoute à cela qu’une crise ne se résout pas nécessairement dans l’émergence d’une solution construite et prémâchée mais qu’elle peut – en toute hypothèse – émergée d’elle-même dans un état d’esprit de « containment », il est peut-être plus raisonnable d’attendre la décision européenne favorable à la dérégulation, qui s’imposera à l’ensemble des états membres. Une telle solution permettra à l’acteur en position de force – aujourd’hui les VTC – de s’imposer comme le nouveau modèle économique, laissant les acteurs traditionnels sur la touche s’ils n’ont pas d’ici là intégré plus de souplesse dans leurs conditions de négociations. Toute autre solution serait probablement caduque assez rapidement et resterait – à tout le moins – un pansement superficiel sur une plaie béante car les problèmes d'emploi et les problèmes de la France ne sont pas les problèmes d'Uber ni de l'Europe.

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