Le Royaume des Saouds et la République des Mollahs, une guerre presque silencieuse

Le Moyen-Orient est depuis des décennies au centre des rapports de force mondiaux entre différents pôles de pensées et de philosophies de gouvernance. Le royaume d’Arabie Saoudite, puissance régionale, acteur incontournable du marché pétrolier et allié historique des puissances occidentales, plus particulièrement des Etats-Unis, se trouve confronté à une vraie crise régionale et internationale. Cet acteur plutôt passif, dont on peut citer uniquement un soft power basé principalement sur le fait religieux, orienté principalement sur les pays arabo-musulmans à majorité sunnite se trouve face à une hostilité due à l’émergence d’une puissance régionale qui est l’Iran, historiquement bridée par des sanctions économiques.
Bien avant l’accord sur le nucléaire Iranien, la république islamique, et cela malgré les pressions économiques, a su s’imposer et négocier ses intérêts souverains mais aussi déployer des dispositifs de guerre informationnelle, ou en puissance dure grâce aux soutiens et contrôle de bras armés régionaux ou locaux tels que le Hezbolah ou notamment en invoquant l’affiliation des minorités religieuses locales au concept de « wilayat al faqih » qu’on peut traduire en gouvernement du docte, un concept totalitaire qui concerne principalement le Chiisme duodécimain, doctrine officielle de la république Islamique d’Iran. La wilayat al faqih sert en effet de cheval de Troie pour la cooptation des communautés chiites locales au sein des pays de la région et qui permet ainsi d’exercer des pressions sur leurs gouvernements. Une guerre d’influence à tous niveaux entre une monarchie passive et une république dont les ambitions expansionnistes ne sont plus un secret.

La bataille du baril
L’Iran comme l’Arabie Saoudite ont des économies basées sur les énergies fossiles, or la dépendance du second a cette ressource est plus stratégique en interne pour le maintien de l’ordre public d’un coté en contrôlant l’inflation et prodiguant aux populations locales un niveau de vie satisfaisant. Mais aussi au niveau politique car ses ressources sont aussi un facteur important dans la stabilité des AL’Saoud et sa population princière qui se compte en milliers. Néanmoins le royaume décide de se lancer dans une guerre économique en ouvrant les vannes de sa production pétrolière sous couvert d’une réaction au sein de l’OPEP à l’arrivée sur le marché des pétroles de schistes, mais qui était une manœuvre économique claire pour affaiblir le rivale Iranien dont l’hostilité inquiète l’Arabie Saoudite.
Possédant des réserves en devises estimées à 750 milliards de dollars, le Royaume déclarait par le biais de son ministre du pétrole Al-Nouaim en 2015 qu’il ne réduirait pas sa production même si les prix du baril atteignaient 20 dollars. Une déclaration qui a fait réagir la caste gouvernante Iranienne qui s’est attelée à diffuser en masse des documentaires et conférences en interne et à l’international indiquant que l’Iran, fort de ses convictions, résistera aisément à la pression de cette baisse. Le président Iranien a ainsi réagi en affirmant que l’Iran surmontera le complot à son encontre.

La focalisation sur le fait religieux
Les deux nations ont une utilisation commune des canaux de communication à savoir principalement les chaines télévisées internationales et les réseaux sociaux. La principale cible étant les populations régionales puis dans un second temps les populations arabo-musulmanes, la communication d’influence sur les masses en occident reste marginale. Le vecteur commun reste une focalisation sur le fait religieux et la position victimaire que chacun de ses deux acteurs proclame. L’Arabie part avec un avantage certain grâce à l’uniformité linguistique de la population cible mais aussi de la prédominance de la doctrine sunnite qui représente environ 93% du monde musulman. L’Arabie a aussi l’avantage d’avoir amorcé une politique d’influence douce religieuse depuis sa création à travers la subvention des centres sociaux, et religieux partout sur cette zone. Néanmoins cette politique porte dans son ADN l’ambition d’une propagation des préceptes de l’islam certes de tradition rigoriste mais plutôt de nature libérale car aucun clergé, personnage ou autorité n’y est associé, sans ingérence dans les affaires politiques locales ni d’ambitions expansionnistes régionales. Ce qui place le royaume saoudien dans cette guerre en position de défense face à un adversaire iranien chiite émergeant en force, et héritier d’un empire perse, et se proclamant défenseur des musulmans du monde, mais aussi exportateur de la révolution islamique, modèle aux yeux du pouvoir Iranien, vertueux dont le monde arabo musulman devrait s’inspirer, en supportant la propagation de la doctrine chiite duodécimaine qui permet de se lier d’allégeances au pouvoir théocratique iranien en transférant l’allégeance des populations de leurs patries, vers les guides de la révolution Iranienne. L’Iran dans son offensive, se place aussi en défenseur des populations chiites locales, et réussi à les manœuvrer grâce à des chaînes en langue arabe abritées et financées par Téhéran. L’exemple des populations chiites du Bahreïn pendant la période du printemps arabe ainsi que l’intervention saoudienne sur le terrain représente une illustration claire de ce conflit.

Le grand écart des Etats-Unis
La famille Saoud ainsi que l’ensemble des pays du Conseil de coopération des pays du golfe, sont des alliés historiques des Etats-Unis sur la région depuis 1945. Une alliance motivée principalement par l’accord aux compagnies américaines de concessions pétrolières en échange de programme de défense. L’adoption en 2016 de la loi permettant aux victimes du 11 septembre de poursuivre le royaume d’Arabie Saoudite, ainsi que le rapprochement des Etats-Unis en pleine lumière du jour avec l’adversaire Iranien, notamment avec l’accord sur le nucléaire Iranien signé avec le groupe 5+1 (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Allemagne) ont créé de forte tension. Les Etats Unis dans le cadre de leur politique de désengagement du Moyen-Orient montrent un favoritisme pour la puissance Iranienne avec le souhait de lui laisser le rôle de stabilisateur de la région. Un choix critiquable car d’un point de vue pratique, les Etats Unis se trouveront forcés de cesser leur interventionnisme sur les terrains d’intérêts Iraniens tels que le Yémen et la Syrie ainsi que l’Irak, mais aussi concernant les différentes milices régionales avec à leur tête : le Hezbolah. Une modification du comportement américain est le fruit de concession et support stratégique de l’Iran à la fois pendant les deux guerres d’Irak et de l’Afghanistan, mais aussi cela retrace le succès du régime Iranien en termes de lobbying et d’influence convaincant les dirigeants américains que c’est l’allié puissant de la région de demain. Car si les deux pays semblent être asymétriquement structurés ils partagent au final une valeur en commun : c’est le rapport au temps, clé de leurs succès mutuels sur la scène internationale.

L’Union Européenne dans tout cela ?
Face à cette situation, et considérant la réalité de l’impact d’une guerre dure entre ces deux puissances régionales sur les prix du baril, le blocage du détroit d’Ormuz et ses conséquences sur le commerce International, l’UE doit prendre position.
La démonstration de force de l’Arabie Saoudite lors des affrontements au Yémen face aux bras armés de l’Iran, le mouvement Houtti, en formant et fédérant une coalition de 9 pays, mais aussi la stricte réalité du terrain dans un monde arabo musulman majoritairement sunnite et résistant aux influences du Chiisme Iranien, et malgré une impopularité du régime Saoudien, l’opinion à la fois publique et politique reste en faveur des Saoudiens, gardiens des lieux saints de l’Islam.
Un affrontement militaire direct portera un coup fatal à l’Iran qui fait ses premiers pas de reconstruction et qui théoriquement a abandonné ses ambitions militaires nucléaires. Ce dernier, d’un point de vue économique sera fragilisé, entraînant le pays dans une faillite certaine. Un déclenchement agressif de tensions locales, voir une chute du régime des Ayatollah, reste fort probable. Les opposants actuels opprimés et confinés pour le moment se saisiront certainement de cette opportunité.
D’un autre côté, la monarchie Saoud en essoufflement populaire gagnera un sursis et gagnera la bataille de la victimisation et en sortira renforcée. Ce scénario instable favorisera certes les Etats-Unis comme premier producteur mondial de pétrole, mais la zone UE se trouvera largement défavorisée. L’UE a-t-elle intérêt à renforcer ses liens avec le royaume d’Arabie Saoudite ? L’arrivée au pouvoir du Roi Salman et la préparation probable de l’investiture du prochain Roi représente-elle une occasion historique pour l’UE, plus particulièrement la France et l’Allemagne ? Doivent-elles renforcer leurs rôles stratégiques sur la région en favorisant un apaisement régional ? En briguant le rôle de partenaire économique de premier ordre mais aussi assoir une nouvelle politique d’influence et promotion des droits de l’homme ?

Rida AHIB