À la différence de sa cousine étasunienne, le mandat de la Banque Centrale Européenne (BCE) n’intègre pas d’objectifs vis-à-vis du taux de chômage ; il se cantonne au maintien de la « stabilité des prix », soit une inflation effective mais faible, n’excédant pas 2%. Or depuis 2008, la banquière de Francfort ne s’attèle plus à contenir l’inflation pourtant réputée pourvoyeuse de compétitivité et d’emplois, entamant certes des excédents de balances commerciales particulières, mais bien à faire face au risque inverse, systématiquement redoutable : celui de la déflation et son lot généralisé de cataclysmes socio-économiques. En 2015, ayant épuisé toutes ses armes légales, la BCE s’est précipitée dans un programme non-conventionnel maquillé, véritable opération de sauvetage par la monnaie, toujours opérationnel et dont les derniers développements laissent entrevoir au mieux une catastrophe socio-économique au Sud, au pire une explosion généralisée de la zone euro, et ce à très court terme. En 2017, les éléments de sa dislocation sont désormais réunis.
Des éléments de dislocation potentiels
Le 27 juillet 2016, dans son rapport annuel intitulé « External Sector Report », le FMI confirmait que la monnaie commune était surévaluée de 15% pour l’économie française et sous-évaluée de 6% pour l’Allemagne. Derrière ces chiffres, une réalité : pour l’exportateur germain, l’euro est une subvention, alors que pour le français, c’est une taxe. Ces chiffres doivent nous rappeler qu’en 2000, au moment de l’entrée en vigueur de l’euro, l’excédent commercial courant de la France était trois fois supérieur à celui de l’Allemagne, alors « homme malade de l’Europe ». Dès l’année suivante, l’excédent allemand était deux fois supérieur au français et en 2016, l’Allemagne a connu un excédent record de 297 Milliards de dollars, la plaçant au premier rang mondial des exportateurs, quand la France enregistrait honteusement un déficit de 48 Milliards. De quoi mettre en perspective la crainte du Général de Gaulle de voir l’idée d’une construction européenne transformée en glacis géopolitique américain sous contrôle économique allemand, et donc la trahison d’Adenauer sur les deuxième et troisième volets du traité de l’Élysée de 1963.
Début 2015, les alarmes s’affolaient ; la zone euro vivait une déflation de 0,3%, alors même que l’intégralité des moyens de la BCE étaient déjà poussés au maximum de leurs capacités : le taux de refinancement de l’eurosystème « culminait » symboliquement à 0,05% (passé à 0% depuis, à comparer avec les 4,25% de 2008) et le taux de rémunération des dépôts était négatif à -0,40% (contre 3% en 2008). En d’autres termes, pour les banques commerciales européennes, il n’avait jamais été aussi attractif de se financer auprès du comptoir central et désormais coûteux de laisser dormir des liquidités dans ses coffres. L’objectif de l’institution était ainsi clair : pour retrouver l’inflation (comprendre la vitalité économique), des taux très incitatifs suffiraient à relancer la consommation des ménages et des entreprises par l’attraction du crédit dans l’économie réelle. La vacuité professionnelle n’excluant pas les travers idéologiques, la BCE s’est trouvée confrontée à la dure réalité de terrain d’une zone monétaire dévastée, enlisée dans des dettes colossales dont la nature privée est par ailleurs imposée par les traités, contrainte paradoxalement par Bruxelles de baisser ses dépenses publiques et décimée par un taux de chômage de 11,3%. Dans ces conditions, difficile d’être surpris de l’échec de l’opération, tant la stimulation de l’offre est obsolète pour régler des déséquilibres structurels de demande qui ne cessent de croître, notamment entre le Nord et le Sud de l’Europe. L’euro est le poison des économies européennes, mais la BCE persiste à vouloir en faire le médicament.
L’opération de sauvetage de la BCE
Ainsi, face à la mort certaine de l’euro si elle s’en tenait à son mandat et semblant soudainement découvrir le keynésianisme, la BCE décida en mars 2015 de placer sa monnaie sous perfusion et de l’introduire elle-même dans « l’économie », via le lancement d’une politique non-conventionnelle auprès des marchés financiers, appelée Quantitative Easing (QE). Ce programme, prévu pour prendre fin en décembre 2017, consiste à injecter des quantités astronomiques de liquidités sur les marchés secondaires (2200 milliards d’euros de « planche à billets », soit près de 6500 euros pour chacun des 340 millions d’êtres humains que compte la zone euro) en échange de titres de dette majoritairement souveraine. En agissant ainsi, la BCE contourne son interdiction de financer directement les états membres et pense diversifier ses relais d’investissement potentiels vers l’économie réelle (banques, fonds de pensions, compagnies d’assurance,…), en vain. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, l’économie réelle malade, dont il serait utile de rappeler que l’ultra-majorité des acteurs est indépendante de marchés financiers apatrides et inversement, n’a profité de ces milliers de milliards que de manière infinitésimale, leur immense majorité ayant soit réamorcé le risque spéculatif dans leur digestion par les marchés boursiers, soit alimenté par leur thésaurisation les déséquilibres déjà inouïs entre banques centrales européennes, soit tout simplement disparu du circuit. L’économie réelle n’est pas le CAC 40 et en réalité, le QE n’a fait qu’accentuer les inégalités nationales face à l’euro et le risque de désintégration.
Le déséquilibre monétaire de l’économie allemande
Même l’Allemagne subventionnée et florissante vacille, avec son excédent réalisé pour 36 % en zone euro, car il la place en situation d’arroseur arrosé. En effet, la balance Target 2, régissant les échanges entre banques centrales de l’eurosystème, traduit chaque euro-exportation allemande par un excès de liquidités au passif de la Bundesbank (monnaie commune oblige), à son tour contrainte d’équilibrer son actif par des créances sur les banques centrales d’origine, souvent fragiles. Combinée à la sous-évaluation, à la crainte des investisseurs continentaux vis-à-vis de l’euro, à la libre circulation des capitaux et à la thésaurisation accélérée par le QE, l’économie allemande affronte aujourd’hui un gigantesque excès de liquidités d’environ 800 Milliards d’euros, qui aspire les capitaux européens tout en pouvant détruire sa monnaie en cas d’effondrement de l’eurozone. De l’autre côté, italiens et espagnols se partagent plus de 700 Milliards d’euros de dettes dans cette poudrière qu’est devenu Target 2. Ainsi, la surpuissance économique de l’Allemagne est conditionnée par le maintien de l’euro, quand une dislocation lui vaudrait une probable catastrophe hyper-inflationniste.
Le point faible : la disparité des modèles économiques
Depuis février 2017, la catastrophe se met en place. Neuf mois avant la fin prévue du QE, stimulée par la remontée des prix du pétrole, l’inflation moyenne de la zone euro vient de dépasser l’objectif de 2% de la BCE, dont les mandataires nient la réalité des inflations différenciées. Le gouvernement allemand fait pression pour freiner des quatre fers avec ses 2,2%, quand les pays qui en avaient le plus besoin, la France (1,2%), l’Italie et le Portugal (1,6%) et la Grèce (1,3%) n’ont pas retrouvé une vitalité suffisante pour relancer leurs économies malades et diminuer le poids de leurs dettes. Enfin, la FED a décidé de relever ses taux directeurs, accentuant la pression sur Francfort. La BCE se retrouve donc face à un dilemme : si elle maintient sa politique, l’inflation pourrait devenir incontrôlable dans les pays florissants comme l’Allemagne, et si elle décide d’y mettre un terme et de relever ses taux, elle étouffera immédiatement la lente reprise des pays du Sud. Peu importe son choix, ce sera le mauvais, elle accentuera les déséquilibres et foncera à toute allure vers la désintégration.
L’euro ne peut pas fonctionner sans une gestion par le bas prenant en compte la disparité des modèles économiques entre les pays d’Europe. Au même titre qu’elle n’a pas su apporter la prospérité, l’idéologie européiste, niant par définition les inégalités réelles dans son rêve intégratif, ne saura empêcher la faillite. Même à l’extérieur de nos frontières, l’euro n’a pas su devenir une monnaie de réserve.
Des éléments de dislocation potentiels
Le 27 juillet 2016, dans son rapport annuel intitulé « External Sector Report », le FMI confirmait que la monnaie commune était surévaluée de 15% pour l’économie française et sous-évaluée de 6% pour l’Allemagne. Derrière ces chiffres, une réalité : pour l’exportateur germain, l’euro est une subvention, alors que pour le français, c’est une taxe. Ces chiffres doivent nous rappeler qu’en 2000, au moment de l’entrée en vigueur de l’euro, l’excédent commercial courant de la France était trois fois supérieur à celui de l’Allemagne, alors « homme malade de l’Europe ». Dès l’année suivante, l’excédent allemand était deux fois supérieur au français et en 2016, l’Allemagne a connu un excédent record de 297 Milliards de dollars, la plaçant au premier rang mondial des exportateurs, quand la France enregistrait honteusement un déficit de 48 Milliards. De quoi mettre en perspective la crainte du Général de Gaulle de voir l’idée d’une construction européenne transformée en glacis géopolitique américain sous contrôle économique allemand, et donc la trahison d’Adenauer sur les deuxième et troisième volets du traité de l’Élysée de 1963.
Début 2015, les alarmes s’affolaient ; la zone euro vivait une déflation de 0,3%, alors même que l’intégralité des moyens de la BCE étaient déjà poussés au maximum de leurs capacités : le taux de refinancement de l’eurosystème « culminait » symboliquement à 0,05% (passé à 0% depuis, à comparer avec les 4,25% de 2008) et le taux de rémunération des dépôts était négatif à -0,40% (contre 3% en 2008). En d’autres termes, pour les banques commerciales européennes, il n’avait jamais été aussi attractif de se financer auprès du comptoir central et désormais coûteux de laisser dormir des liquidités dans ses coffres. L’objectif de l’institution était ainsi clair : pour retrouver l’inflation (comprendre la vitalité économique), des taux très incitatifs suffiraient à relancer la consommation des ménages et des entreprises par l’attraction du crédit dans l’économie réelle. La vacuité professionnelle n’excluant pas les travers idéologiques, la BCE s’est trouvée confrontée à la dure réalité de terrain d’une zone monétaire dévastée, enlisée dans des dettes colossales dont la nature privée est par ailleurs imposée par les traités, contrainte paradoxalement par Bruxelles de baisser ses dépenses publiques et décimée par un taux de chômage de 11,3%. Dans ces conditions, difficile d’être surpris de l’échec de l’opération, tant la stimulation de l’offre est obsolète pour régler des déséquilibres structurels de demande qui ne cessent de croître, notamment entre le Nord et le Sud de l’Europe. L’euro est le poison des économies européennes, mais la BCE persiste à vouloir en faire le médicament.
L’opération de sauvetage de la BCE
Ainsi, face à la mort certaine de l’euro si elle s’en tenait à son mandat et semblant soudainement découvrir le keynésianisme, la BCE décida en mars 2015 de placer sa monnaie sous perfusion et de l’introduire elle-même dans « l’économie », via le lancement d’une politique non-conventionnelle auprès des marchés financiers, appelée Quantitative Easing (QE). Ce programme, prévu pour prendre fin en décembre 2017, consiste à injecter des quantités astronomiques de liquidités sur les marchés secondaires (2200 milliards d’euros de « planche à billets », soit près de 6500 euros pour chacun des 340 millions d’êtres humains que compte la zone euro) en échange de titres de dette majoritairement souveraine. En agissant ainsi, la BCE contourne son interdiction de financer directement les états membres et pense diversifier ses relais d’investissement potentiels vers l’économie réelle (banques, fonds de pensions, compagnies d’assurance,…), en vain. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, l’économie réelle malade, dont il serait utile de rappeler que l’ultra-majorité des acteurs est indépendante de marchés financiers apatrides et inversement, n’a profité de ces milliers de milliards que de manière infinitésimale, leur immense majorité ayant soit réamorcé le risque spéculatif dans leur digestion par les marchés boursiers, soit alimenté par leur thésaurisation les déséquilibres déjà inouïs entre banques centrales européennes, soit tout simplement disparu du circuit. L’économie réelle n’est pas le CAC 40 et en réalité, le QE n’a fait qu’accentuer les inégalités nationales face à l’euro et le risque de désintégration.
Le déséquilibre monétaire de l’économie allemande
Même l’Allemagne subventionnée et florissante vacille, avec son excédent réalisé pour 36 % en zone euro, car il la place en situation d’arroseur arrosé. En effet, la balance Target 2, régissant les échanges entre banques centrales de l’eurosystème, traduit chaque euro-exportation allemande par un excès de liquidités au passif de la Bundesbank (monnaie commune oblige), à son tour contrainte d’équilibrer son actif par des créances sur les banques centrales d’origine, souvent fragiles. Combinée à la sous-évaluation, à la crainte des investisseurs continentaux vis-à-vis de l’euro, à la libre circulation des capitaux et à la thésaurisation accélérée par le QE, l’économie allemande affronte aujourd’hui un gigantesque excès de liquidités d’environ 800 Milliards d’euros, qui aspire les capitaux européens tout en pouvant détruire sa monnaie en cas d’effondrement de l’eurozone. De l’autre côté, italiens et espagnols se partagent plus de 700 Milliards d’euros de dettes dans cette poudrière qu’est devenu Target 2. Ainsi, la surpuissance économique de l’Allemagne est conditionnée par le maintien de l’euro, quand une dislocation lui vaudrait une probable catastrophe hyper-inflationniste.
Le point faible : la disparité des modèles économiques
Depuis février 2017, la catastrophe se met en place. Neuf mois avant la fin prévue du QE, stimulée par la remontée des prix du pétrole, l’inflation moyenne de la zone euro vient de dépasser l’objectif de 2% de la BCE, dont les mandataires nient la réalité des inflations différenciées. Le gouvernement allemand fait pression pour freiner des quatre fers avec ses 2,2%, quand les pays qui en avaient le plus besoin, la France (1,2%), l’Italie et le Portugal (1,6%) et la Grèce (1,3%) n’ont pas retrouvé une vitalité suffisante pour relancer leurs économies malades et diminuer le poids de leurs dettes. Enfin, la FED a décidé de relever ses taux directeurs, accentuant la pression sur Francfort. La BCE se retrouve donc face à un dilemme : si elle maintient sa politique, l’inflation pourrait devenir incontrôlable dans les pays florissants comme l’Allemagne, et si elle décide d’y mettre un terme et de relever ses taux, elle étouffera immédiatement la lente reprise des pays du Sud. Peu importe son choix, ce sera le mauvais, elle accentuera les déséquilibres et foncera à toute allure vers la désintégration.
L’euro ne peut pas fonctionner sans une gestion par le bas prenant en compte la disparité des modèles économiques entre les pays d’Europe. Au même titre qu’elle n’a pas su apporter la prospérité, l’idéologie européiste, niant par définition les inégalités réelles dans son rêve intégratif, ne saura empêcher la faillite. Même à l’extérieur de nos frontières, l’euro n’a pas su devenir une monnaie de réserve.