Rénovation du Santiago Bernabéu : chroniques d’une guerre de l’information

« Pour atteindre la victoire, nous devons masser nos forces au centre de tout pouvoir et de tout mouvement, le centre de gravité de l'ennemi ». C’est ainsi que Carl Von Clausewitz définissait l’endroit et le moment idéaux pour attaquer l’ennemi. Cette citation résume la stratégie des médias face au Real Madrid en 2006, quand une campagne a pu mener à la démission du président M. Florentino Pérez, dont la promesse électorale phare en 2004 était le plafonnement du stade, en pleine saison; une première dans l’histoire du club espagnol. 3 ans plus tard, le président déchu revint prêt pour la guerre de l’information. Avec sa volonté persistante de renouveler le Stade Santiago Bernabéu, M. Pérez se retrouve face à la farouche opposition d’une association de voisins clamant la non-conformité du projet au plan urbain de la ville (commerces et nuisances au voisinage), et de l’ONG « Ecologistas en Acción» qui se positionna sur le front écologiste dénonçant une réduction des espaces verts, toutes deux trouvant des alliés au sein de médias nationaux. Toutefois, le Real Madrid C.F. a bien mené ses attaques et réussi à valider le projet auprès des autorités compétentes pour commencer la construction avant la fin 2017.

Les faits


En 2004, et après une saison catastrophique sur le plan sportif et une crise institutionnelle majeure, M. Pérez, qui était sur la ligne de mire des médias sportifs madrilènes depuis son limogeage de Vicente Del Bosque une semaine après avoir été sacré Champion d’Europe en mai 2003, notamment le journal sportif As, s’est présenté à nouveau aux élections afin de reconduire sa présidence. Son projet électoral cherchait à raviver l’illusion chez les supporters et les socios avec la promesse de la modernisation du stade « Merengue ». En effet, après le lancement de la construction de l’Allianz Arena en 2002 à Munich, et avec la couverture médiatique correspondante, le club bavarois a pris les devants de la scène mondiale en termes de popularité et acquisition de sympathisants, ce qui a des répercussions directes, outre sur la fierté de la masse sociale, sur les droits de télévision et, par là même, sur les recettes du club.

M. Florentino Pérez lors de la présentation du projet électoral 2004
Perspective 3D du projet Nouveau Santiago Bernabéu – version 2004

Face à la pression du voisinage et à une campagne des médias sportifs, le Real Madrid n’a pu lancer les travaux et s’est retrouvé incapable de gagner la guerre de l’information. Cette déroute a mené à la démission de M. Pérez en 2006 et le projet du nouveau stade a été mis à l’écart… du moins, pour quelques années.

La manière dont le Real Madrid a lutté contre les acteurs de la société civile 


Après des années de vaches maigres sur le plan sportif et un endettement important du club, les appels se sont multipliés et une campagne a été instiguée pour le retour du président Pérez. C’est ainsi qu’en juin 2009, il se représente à des élections qu’il remporte haut la main. Il arrive avec la leçon bien apprise : pour bien réussir, il faut dominer la guerre de l’information.
Ainsi, avant son arrivée et pendant les premiers mois du mandat, l’équipe de direction menée par M. Pérez commence à centrer ses pièces sur l’échiquier du pouvoir : davantage de rapprochement avec la classe politique en place, placement des membres du comité de direction dans les postes clé des médias (notamment M. Luis Blasco Bosqued, qui passe de Telefonica Argentina à présider la division « Contenidos » en Espagne), encouragement de plateformes online tant blogs que sites web et pages dans les réseaux sociaux (defensacentral, elminuto7 et primaverablanca en plus des liens officiels du club) et création d’émissions pro-Real Madrid dans des chaines « amies » (notamment du Groupe A3Media, partageant les mêmes valeurs que la coupole du club madrilène).
A son retour à la tête du club de Concha Espina, M. Pérez s’est concentré sur la réduction de la dette laissée par son prédécesseur (683,3M€) et qui plaçait le club sous la menace d’une pénalisation de la part de la UEFA qui mettait en place le Fairplay Financier. Il a mis de côté son grand projet de modernisation du Bernabéu, d’autant plus qu’en 2006, après son départ, il y a eu introduction de la domotique ai sein des installations, ce qui a valu au stade la qualification « Stade 5 étoiles » par la UEFA en novembre 2007. Cette attente a certainement servi à la finalisation du plan d’attaque puisque bientôt les médias du Grupo Prisa (l’un des détracteurs les plus virulents du club lors de la première étape de M. Pérez) commencent à perdre de l’audience pour manque d’exclusives et un boycott du club madrilène, le lectorat étant massivement pro-Real Madrid.
En 2011, Mme. Ana Botella, épouse de M. José Maria Aznar (ancien premier ministre espagnol), devient maire de Madrid représentant le PP (Partido Popular).

M. Aznar, Mme. Botella, M. Pérez et M. Rosell lors du « clasico » : 11/2011

Avec une réduction importe de la dette du club (juin 2011, la dette est de 170M€) et une administration favorable la demande du club de modifier le plan urbain pour mener acquérir le droit de rénover son stade, M. Pérez décide de se lancer à nouveau dans sa guerre pour le Nouveau Bernabéu en 2012. Une année clé dans le conflit.
Au cours de ce positionnement, l’ONG « Ecologistas en Acción» dénonce des irrégularités graves dans le projet immobilier dont une réduction des espaces verts de la ville. Le Real Madrid cède et modifie légèrement et ponctuellement le plan de construction. Peu de temps après, M. Aznar déclare aux médias nationaux sa volonté de présider le Real Madrid, ce qui provoque son passage d’allié de M. Pérez à coopétiteur. Celui-ci décide de soumettre au vote une proposition de modification des statuts encadrant l’accession à la présidence au club. Cette proposition passe en septembre 2012 et M. Aznar se retrouve face à l’impossibilité d’accéder à la présidence, ce qui crée une rupture dans les relations avec la Mairie de Madrid.
Sentant l’affaiblissement de la position du Real Madrid, les voisins du stade décident de se grouper dans une structure : « Plataforma Vicinos del Bernabéu ». Ils créent un blog et une page Facebook qui sont relayés par les médias sportifs (notamment AS de Madrid et Sport et Mundo Deportivo de Barcelone), puis les médias nationaux (la Vanguardia, El Pais et même ABC qui est proche du directoire madrilène).

L'implication des médias


En janvier 2013, l’affaire Barcenas éclate en Espagne et le PP est signalé pour corruption institutionnalisée. En mars 2013, la Commission Européenne ouvre une enquête pour possibles irrégularités dans le projet de construction du Nouveau Bernabéu. Un mois plus tard, l’association de voisins attaque en faisant appel à la première décision du TSJM (Tribunal Supérieur de Justice de Madrid), favorable au projet. L’ONG Ecologistas en Acción lance la campagne « Pelotazo Bernabéu ». Les médias, notamment Grupo Prisa, relaye ces informations de façon récurrente et crée des polémiques autour de l’entraineur M. José Mourinho, divisant la masse sociale et faisant pression sur le Real Madrid. Le départ de M. Pérez serait une source de soulagement pour le groupe qui récupérerait sa place proche du club et augmenterait ses ventes. Le club contre-attaque avec la multiplication de sources pro-Real Madrid afin d’atomiser le marché de l’information et noyer les messages de l’opposition dans du bruit.
En juillet 2014, le TSJM suspend l’accord entre le Real Madrid et la mairie de Madrid de 2012 et décide de geler, de façon préventive, le lancement des travaux en 2015. Le club fait preuve de patience, et attend que la dernière pièce se mette en place pour frapper le centre de gravité de l’ennemi. C’est quelques mois plus tard que cela arrive.
En juin 2015, le parti politique Ciudadanos accède à la mairie de Madrid et M. Pérez trouve une nouvelle voie de négociation : Mme. Manuela Carmena.
Le vent change en faveur du Real Madrid et de M. Pérez. Movistar acquiert définitivement Canal plus, devenant actionnaire majoritaire et commençant l’érosion du Grupo Prisa. Les droits télé sont distribuées entre Movistar et Bein Sports. Les lignes éditoriales sont très favorables au Real Madrid et avec l’émission « El Chiringuito de Jugones » sur Mega (chaine d’A3media) qui est souvent leader d’audience et trending topic sur Twitter. Il faut mentionner que le président d’A3media, M. José Creuheras, est un ancien de la direction du l’Espanyol C.F., un allié du club madrilène.

M. Pérez active son attaque finale en faisant usage de l’ensemble des moyens : chaines télé dont le passage au bouquet gratuit de Real Madrid TV, émissions radio, blogs et pages Facebook, comptes Twitter et journaux. Même à échelle internationale, la possibilité que le nouveau stade porte un nom d’entreprise en plus de « Bernabéu » permet de trouver des sponsors qui sont au même temps des alliés puissants. En effet, ce sera possiblement IPIC (société pétrolière d’Abu Dhabi en osmose avec Bein et Al Jazeera, ce qui offre une visibilité internationale) ou Cepsa, géant espagnol de l’énergie qui exerce une pression pour obtenir le lancement des travaux. Le club réussi une campagne contre les opposants du projet et se lance dans une négociation avec la mairie.
Moyennant des concessions telles que la cession du parking pour faire une corniche piétonne de 2.000m2, la démolition d’un coin du stade pour créer 6.000m2 de zones vertes qui réduit la pollution sonore pour le voisinage et le déménagement des bureaux à Valdebebas dans la banlieue de Madrid. En échange, le club pourrait construire un hôtel, prévoir des espaces commerciaux et procéder à l’installation d’une peau extérieure et un toit rétractile.
Finalement, le 11 octobre 2016, le club et la mairie arrivent à un nouvel accord et présentent, conjointement, le nouveau Santiago Bernabéu qui coûtera plus de 400M€.

M. Pérez et Mme. Carmena présentant le Nouveau Santiago Bernabéu : 11/10/2016

Cette polémique qui a duré plus de 10 ans, nous permet de voir que celui qui gagne est celui qui domine les temps et qui prépare bien ses attaques. Le Real Madrid l’emporte une fois de plus et les travaux commenceront, enfin, avant fin 2017.

Badr Bakhat