Les biotechnologies végétales sont en plein développement. Le marché est évalué à 8,6 milliards d’euros selon l’USDA, ministère de l’agriculture des Etats-Unis. Pour soutenir cette dynamique, une campagne d’information a été lancée à destination de l’Europe menée par la New Breeding Techniques Platform. Ce groupe est dirigé par Schuttelaar & Partners, un cabinet de relations publiques néerlandais. Des actions au niveau national ont aussi lieu pour obtenir une clarification du statut juridique des plantes issues des New Breeding Techniques (NBT). Les NBT sont des techniques d’ingénierie génétique modifiant la capacité d’expression des gènes d’un organisme. Ce procédé se définit comme une mutagenèse et ne s’appuie pas sur l’implémentation de caractères extérieurs dans un organisme, c’est-à-dire la transgénèse. La Commission Européenne aurait dû statuer sur le statut juridique des NBT à la fin de l’année 2015. Mais cette dernière déclara que la question des biotechnologies avait besoin d’être étayée par des analyses supplémentaires, ce qui repoussa la décision. Désormais, les recommandations de la DG Recherche & innovation sont attendues pour la fin du mois de Mars 2017.
Un consortium d'acteurs
La NBT Platform représente une coalition d’entreprises développant ou utilisant des biotechnologies et regroupe, selon leur site officiel : Syngenta, Inova Fruit, producteur de pommes néerlandais, KeyGene, producteur de biotechnologie néerlandais, SweTree Technologies, entreprise suédoise de biotechnologie, Vlaams Instituut voor Biotechnologie (VIB), un institut de recherche belge. Le VIB a un partenariat avec BayerCrop Sciences depuis 2008. La NBT Platform désire que les NBT ne soit pas associées au débat sur les organismes modifiés par transgénèse, mais plutôt comme les organismes issus de la mutagenèse, qui ont fait la preuve de leur innocuité depuis cinquante ans. Pour éclairer la question des NBT, la Commission Européenne a créé un groupe de travail de 2007 à 2012 s’interrogeant sur le statut juridique des NBT en distinguant 8 techniques différentes. Un rapport de 220 pages fut publié détaillant l’usage et le potentiel des NBT en agriculture. En complément de cette étude, l’EFSA, l’organisme européen pour la sécurité alimentaire doit vérifier l’innocuité des NBT. Pour cela, l’EFSA réalise des méta-analyses, reprenant les études déjà publiées pour renforcer les conclusions des scientifiques.
Entrée dans le débat européen
La NBT Platform regroupe des informations pertinentes pour mener la réflexion sur la décision en les diffusant aux personnes adéquates. Le site NBT Platform détaille le plan d’action en trois étapes : la première phase (2011) de préparation consistait à produire un argumentaire scientifique et étayer, par des faits, le bon emploi des NBT, la deuxième (2012-2013) consistait en une phase d’information auprès des membres de la Commission Européenne et des Etats-membres, en fournissant des informations scientifiques et légales sur le sujet. La troisième phase (2014-aujourd’hui) consiste en une phase de lobbying et d’actions coordonnées entre les industries de biotechnologie et la Commission Européenne ainsi qu’auprès des Etats-membres.
Source : nbtplatform.org
Dans les faits, le lancement du site internet s’est fait en 2011, suivi au printemps 2012 de deux réunions avec les équipes (Note 1) de la DG SANCO, (renommé depuis DG Santé), la DG Trade, et la DG Recherche et Innovation, pour présenter de manière scientifique les NBT. En mai 2013, c’est l’interprétation légale qui fut diffusée auprès des décideurs politiques. En juin 2014, un colloque intitulé « The Future of Plant Breeding Techniques in the European Union » eut lieu à Bruxelles, organisé conjointement par la NBT platform et l’European Technology Platform dont font partie, l’ESA, l’EPSO, Bayer CropSciences, Limagrain, Monsanto Europe, Syngenta, Dow Agro, DuPont Pioneer Europe. La plupart des groupes industriels sont membres de cette plateforme, enregistrée auprès du registre de la transparence de l’union européenne comme un groupe institutionnel et académique. Ce regroupement d’acteurs est à mettre en parallèle avec les fusion-acquisitions que le secteur des semenciers a connu en 2015-2016, dont l’acquisition de Dow Agro par DuPont Pionneer, de Syngenta par Chem China, et de Monsanto par Bayer. La fusion des principaux acteurs d’un secteur peut être interprétée comme le signe d’une convergence d’intérêt et la recherche d’un nouveau souffle pour leur développement par une concentration des forces.
Appui sur des arguments rationnels
En organisant ainsi des colloques, où industriels et représentants se rencontrent, la NBT Platform permet la diffusion des positions des experts, de transmettre l’information scientifique, de manière compréhensible, aux décisionnaires. En développant une réputation solide, la NBT Platform affirme sa crédibilité. En procédant ainsi, elle bénéficie d’une plus grande confiance de la part des décideurs politiques quant aux arguments qu’elle avance. Par exemple, elle affirme que les plantes NBT sont sûres pour l’environnement car on ne peut les différencier des plantes non modifiées génétiquement. Ces dernières ne détruisant pas la biodiversité. Des analyses comparatives des législations relatives aux NBT hors de l’UE sont également diffusées. L’argument central de l’interprétation légale est que les NBT n’ont pas recours à du matériel génétique extérieur à la plante, contrairement à la transgénèse encadrée par la directive 2001/18/EC. L’analyse comparative fut actualisée en Juin 2015 détaillant les différentes positions sur les NBT en dehors de l’UE afin de donner une vue synoptique aux décideurs politiques. Les considérations de la NBT Platform s’en retrouvent appuyées peu de temps avant la décision finale de la Commission Européenne.
Selon les industries biotechnologiques, les NBT pourront mieux nourrir le monde. Ils sont même parfois présentés comme étant garant d’une agriculture durable. C’est un sentiment humanitaire. Si nous n’utilisons pas les NBT, nous serions incapables de nourrir l’ensemble de la population qui est en pleine expansion. La justification de l’usage des NBT doit commencer par la reconnaissance d’un stress alimentaire de nos sociétés.
Les NBT peuvent permettre de créer des plantes résistantes aux maladies ce qui sera bénéfique pour l’environnement, aux agriculteurs et aux consommateurs. Hors UE, les agriculteurs utilisent déjà ces techniques désavantageant les agriculteurs européens dans la concurrence mondiale. Les NBT assureront un gain pour l’économie, et pour l’innovation dans le secteur de l’agriculture européenne. Les NBT servent alors à protéger l’agriculteur des procédés déloyaux utilisés à l’étranger contre une agriculture plus raisonnée.
Les applications permettent de développer des plantes plus résistantes aux herbicides, mais aussi qui auraient besoin de moins d’eau pour être cultivées, réduisant ainsi l’impact environnemental de la culture. De cette manière, les NBT protègeraient l’environnement.
La NBT platform a utilisé auprès des instances européennes la technique de l’interprétation continue, en donnant sa vision du sujet par une entrée scientifique et légaliste, puis en soulignant les points forts de la technique auprès du public qui l’écoute, résumé par le sentiment d’humanité, la défense des exploitants agricoles contre la mondialisation, et la considération environnementale.
Une bataille sur la qualification des innovations
En Suède, où l’université d’Umeå relaye la position du ministère de l’agriculture en faveur des techniques d’éditions génomiques. L’université d’Umeå est l’une des universités dont Emmanuelle Charpentier, co-découvreuse de la technique CRISPR/CAS9, est professeur-invité. Elle travaille aussi en Allemagne pour l’institut Max Planck de Microbiologie, qui fait partie de l’EPSO. Elle a fondé plusieurs entreprises pour vendre des licences d’exploitation dans différents domaines dont Geonomics et Crispr Therapeutics, une joint-venture dans laquelle Bayer a participé à hauteur de 35 millions d’euros. Cet investissement est à considérer comme une réelle volonté de développer cette technologie. Bayer est très intéressé par les techniques d’édition génomique, dont font partie les NBT, car elle dépasse le simple cadre des plantes. En Allemagne, la BVL, l’agence fédérale pour la protection du consommateur et de la sureté alimentaire a décrété qu’un produit NBT n’était pas considéré comme un organisme génétiquement modifié au sens de la directive de 2001. En 2015, l’Institut Leopoldina, l’académie des sciences allemande, s’est prononcé en faveur de l’ingénierie génétique. Cette prise de position académique est appuyée par le Ministre de l’agriculture allemand, Christian Schmidt, qui désire développer la recherche sur l’édition génomique, justifiant cette prise de position pour éviter une fuite des cerveaux.
En France, une polémique a eu lieu au sein du Haut-Conseil des Biotechnologies, une institution composée d’un comité scientifique et d’un comité éthique environnemental et sociétal. Un avis préliminaire fut demandé au HCB en 2015. Mais en 2016, cette note préliminaire a généré une cacophonie dans l’institution. Yves Bertheau, chercheur à l’INRA, refusa de signer le rapport. Selon ce dernier, les NBT devraient être soumises à des études approfondies sur d’éventuels effets inattendus, avant leur mise sur le marché, donc à une procédure particulière. Peu de temps après, une démission massive de la part de sept associations eut lieu afin de signifier leur refus de souscrire à la recommandation émise en faveur des NBT. En parallèle une dizaine d’organisations, dont le syndicat agricole la confédération paysanne, ont déposé en 2015, une saisine du Conseil d’Etat demandant une clarification sur le statut de la mutagénèse. Le Conseil d’Etat s’est déclaré incompétent et a donc renvoyé la question à la Cour de l’Union Européenne de Justice (CUEJ). Son jugement n’est pas attendu avant deux ans. L’académie nationale d’agriculture de France s’est aussi prononcée sur les NBT jugeant que ces derniers « peuvent être » exclues de la directive 2001/18/EC.
Il apparaît que les académies nationales de sciences de différents pays d’Europe ont pris position en faveur de l’expérimentation des NBT en affirmant leur sureté, et en justifiant leur décision par l’exclusion de la mutagenèse de la directive 2001/18/EC. Le 07/01/2016, ce groupe d’acteurs nationaux s’affiche en cosignant une lettre adressée à Martin Schultz, alors président du Parlement Européen, affirmant l’indépendance de leur recherche. Avec cette démarche, les instituts de recherche réaffirment leur légitimité comme acteurs essentiels et neutres de la recherche scientifique.
Une situation actuelle peu lisible
Outre-Atlantique, le ministère de la santé canadien considère que les NBT n’ont pas besoin d’un statut juridique particulier, le Canada étant déjà pourvu des lois nécessaires pour encadrer ces pratiques. DuPont, au Canada, a annoncé le lancement de champs pour les tests de variété de blé résistante à la sécheresse.
La NBT platform s’est appuyée sur les études scientifiques assurant de la sureté des NBT, puis, sur l’annexe 1 B de la directive 2001/18/EC afin d’éclaircir la situation législative. En parallèle, les instituts de recherche nationaux se prononcent pour une exclusion des NBT en raison de l’annexe 1 B excluant les procédés issus de la mutagenèse.
Des organisations ont essayé, sans succès, de s’appuyer sur l’opinion publique. Comme Greenpeace France qui a mené une campagne contre les NBT défendue par une pétition, mais cette dernière stagne aux environs de 100 000 signatures. La discussion est désormais suivie par Greenpeace Belgique. En France, les manœuvres au HCB n’ont fait qu’accroitre la cacophonie sur le sujet.
Notes
Note 1 : La Commission Européenne est composée d’un secrétariat général et d’une quarantaine de Direction Générale ayant compétences sur des domaines spécifiques.