Le débat autour de la crise migratoire en Europe est un des plus vifs qui animent la vie politique en France aujourd’hui. Ce débat se déroule de façon fragmentée et se compose de plusieurs polémiques subordonnées, dont celle du démantèlement de la jungle de Calais est la plus récente. On peut constater dans cette polémique la façon dans laquelle des acteurs étrangers ont instrumentalisé le débat sur la crise migratoire à leurs propres fins géopolitiques, ainsi que l’engagement des acteurs français à des fins beaucoup plus limitées. Cette dynamique est surtout évidente dans les discours médiatiques sur internet, et plus précisément ceux qui se trouvent sur Twitter. Parmi les tweets sur cette polémique, deux hashtags sont devenus plus répandus que tous les autres et montrent de façon très claire les différences entre l’engagement des acteurs étrangers et français dans cette polémique.
#CalaisJungle
#CalaisJungle, l’orthographie anglophone, était propagé surtout par des acteurs étrangers visant un public extérieur à la France, ou un public français orienté vers l’international. Cet hashtag est lié à d’autres hashtags ayant une orientation favorable à l’ouverture aux flux migratoires, dont #NoBorders, #RefugeesWelcome, et #MigrantCrisis. De plus, il est plus fortement lié au hashtag #Refugees qu’à celui de #Migrants, ce qui est une réflexion de la perspective de ces acteurs envers les personnes étrangères arrivant en Europe.
On peut constater trois groupes distincts parmi les acteurs les plus influents sur cet hashtag : des comptes associés avec la chaîne d’information du Qatar, al-Jazeera (dont al-Jazeera English et AJ+) ; des comptes représentants les médias des nouveaux prétendants d’influence sur la scène internationale (dont XH News, chaîne chinoise, et RT, chaîne russe) ; et des comptes britanniques, y compris des chaînes d’information, des ONGs, le British Council. On trouve aussi dans ce dernier regroupement les réseaux No Borders, dont le bras médiatique à l’international est Calais Migrant Society, qui s’appuie sur des sources calaisiennes mais cible un public différent, publiant en anglais et en arabe seulement.
Tous ces acteurs se sont engagés dans la polémique avec l’hashtag #CalaisJungle à partir du début d’octobre, avec une augmentation graduelle de la popularité de l’hashtag qui a atteint son somment au début de novembre (lors de la fin du démantèlement de la jungle), et qui a après retrouvé son niveau original de popularité en mi-novembre.
Le bilan global que présente l’hashtag #CalaisJungle est une instrumentalisation du débat par des acteurs extérieurs afin de poursuivre leurs propres intérêts sur le plan socio-politique en France. Ces acteurs ont mobilisé et encadré la discussion bien avant la réalisation du démantèlement de la jungle, et avec une avance sur les acteurs français. Le plus dominant de ces acteurs est al-Jazeera, qui a influencé le débat avec plusieurs de ses plateformes. Il est intéressant de constater que l’engagement d’al-Jazeera avec #CalaisJungle s’inscrit dans un effort médiatique plus vaste de la part du Qatar. Cet effort a récemment été plus visible dans la polémique autour de Gilles Kepel et ses propos contre l’idée de « l’islamophobie », ce que le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) a très vocalement attaqué. Le CCIF a une conception politique de l’islam qui est semblable à celle des Frères musulmans, et les deux sont souvent soupçonnés d’être liés. Si al-Jazeera est le bras médiatique du Qatar, les Frères musulmans et ses filiales en sont le vecteur d’influence sur le plan religieux ; ainsi, avec les engagements des deux dans les débats autour de l’immigration en France, on peut observer un effort concerté d’encourager l’ouverture française, voire européenne, aux migrants. Il est dans l’intérêt des pays du CCG de maintenir les flux migratoires en Europe afin d’éviter des tels flux envers leurs propres pays. Les pays du Golfe n’ont accueilli quasiment pas de migrants venant des pays voisins car une telle migration représenterait une vraie menace à leur stabilité sécuritaire, politique, et économique à la fois. Si l’engagement d’al-Jazeera dans le débat avec #CalaisJungle sert à encourager l’acceptation des migrants, la polémique autour de l’islamophobie menée par le CCIF vise, elle, à en réprimer l’éventuelle contestation. Qu’un interlocuteur ait réellement des préjugés ou non, l’appellation « islamophobe » est un argumentum ad hominem qui vise à le faire taire ou le délégitimer, et pas à faire vivre un vrai débat. L’engagement du Qatar dans le débat français sur ces deux domaines montre donc sa volonté non seulement de diriger les migrants vers l’Europe, mais aussi d’y encourager des querelles médiatiques, ce qui peut distraire le public et engendrer à son tour une paralysie locale de s’opposer à ses efforts.
D’un autre côté du débat de #CalaisJungle, les acteurs britanniques (surtout les médias et le British Council) avaient vocation à encourager la conservation de la jungle afin d’éviter la redirection des migrants vers leur pays : la jungle servait de bouchon qui a permis au Royaume-Uni de contrôler à son gré les flux des migrants rentrant dans le pays. Sur un deuxième plan, les ONGs dans ce regroupement avaient une raison de plus de propager l’ouverture française aux migrants et la conservation de la jungle : ces conditions permettent aux ONGs d’obtenir plus de financement, ainsi que d’augmenter leur engagement sur le champ et leur influence sur les débats politiques.
#jungledecalais
L’orthographie francophone, #jungledecalais, est l’autre hashtag au premier plan de cette polémique, utilisé par des acteurs français visant un public interne. Il est lié à d’autres hashtags avec une perspective plus critique de l’immigration que celle de #CalaisJungle, dont #FoutageDeGueule et #Paris (discussions sur les effets du démantèlement de la jungle sur la situation migratoire parisienne). #jungledecalais est beaucoup plus fortement lié à #Migrants qu’à #réfugiés, ce dernier étant très peu influent, et on peut également constater le manque d’influence des hashtags exprimant les mêmes idées que #RefugeesWelcome ou #NoBorders dans les tweets français. La discussion autour de #jungledecalais est dominée par deux groupes. D’un côté on trouve des chaînes d’information professionnelles qui donnent un point de vue plutôt neutre, telles que France Inter, Europe1, et Public Sénat. De l’autre côté se trouvent plusieurs acteurs de l’extrême droite, dont le compte officiel du Front National, Robert Ménard, et @tprincedelamour, un personnage notoire sur Twitter que ses adversaires accusent de faire partie de la « facho-sphère ».
#jungledecalais est légèrement moins répandu que #CalaisJungle, ce qui est normal, étant donné la taille de la population francophone sur Twitter par rapport à celle de la population anglophone. Cet hashtag était presque invisible jusqu’à la dernière semaine d’octobre, puis a soudainement explosé en popularité au début de novembre, avant de redevenir quasiment inexistant deux semaines après.
Contrairement aux dynamiques de l’hashtag #CalaisJungle, le #jungledecalais était utilisé par les acteurs français à des fins plutôt limitées. Cette discussion était totalement inactive jusqu’au début du démantèlement de la jungle, ayant dont débuté bien après les étrangers avaient commencé à encadrer et canaliser le début de leur côté. Les chaînes d’information françaises ont pris une perspective plus mesurée que leurs homologues du Qatar et du Royaume-Uni : elles ont joué un rôle plus neutre et moins militant, ne cherchant pas à définir l’ordre du jour de ces débats. En outre, les chaînes françaises ont employé quelques d’autres hashtags comme #apparts, #familles et #Paris en conjonction avec #jungledecalais, ce qui suggère un accent sur les implications locales concrètes du démantèlement de la jungle et le relogement de ses habitants ailleurs en France. Les acteurs de l’extrême droite ont, quant à eux, pris une position populiste sur la question de la jungle, en phase avec leurs discours plus généraux sur la crise migratoire.
Dans l’ensemble, on constate une avance des plateformes étrangères sur les acteurs français dans le débat sur le démantèlement de la jungle, et ce en conjonction avec une utilisation de ce débat à des fins plus vastes. En revanche, les acteurs français n’ont pas essayé d’exploiter cette question pour influencer les discours politiques, ni en Europe, ni à l’international. Il serait prudent pour le public français d’être conscient de l’instrumentalisation extérieure ce débat – même en France, comme l’on peut constater avec la polémique actuelle autour de Gilles Kepel – ainsi que de reconnaître la possibilité pour la France de faire exactement la même chose envers des acteurs extérieurs.
Daniel Walsh
#CalaisJungle
#CalaisJungle, l’orthographie anglophone, était propagé surtout par des acteurs étrangers visant un public extérieur à la France, ou un public français orienté vers l’international. Cet hashtag est lié à d’autres hashtags ayant une orientation favorable à l’ouverture aux flux migratoires, dont #NoBorders, #RefugeesWelcome, et #MigrantCrisis. De plus, il est plus fortement lié au hashtag #Refugees qu’à celui de #Migrants, ce qui est une réflexion de la perspective de ces acteurs envers les personnes étrangères arrivant en Europe.
On peut constater trois groupes distincts parmi les acteurs les plus influents sur cet hashtag : des comptes associés avec la chaîne d’information du Qatar, al-Jazeera (dont al-Jazeera English et AJ+) ; des comptes représentants les médias des nouveaux prétendants d’influence sur la scène internationale (dont XH News, chaîne chinoise, et RT, chaîne russe) ; et des comptes britanniques, y compris des chaînes d’information, des ONGs, le British Council. On trouve aussi dans ce dernier regroupement les réseaux No Borders, dont le bras médiatique à l’international est Calais Migrant Society, qui s’appuie sur des sources calaisiennes mais cible un public différent, publiant en anglais et en arabe seulement.
Tous ces acteurs se sont engagés dans la polémique avec l’hashtag #CalaisJungle à partir du début d’octobre, avec une augmentation graduelle de la popularité de l’hashtag qui a atteint son somment au début de novembre (lors de la fin du démantèlement de la jungle), et qui a après retrouvé son niveau original de popularité en mi-novembre.
Le bilan global que présente l’hashtag #CalaisJungle est une instrumentalisation du débat par des acteurs extérieurs afin de poursuivre leurs propres intérêts sur le plan socio-politique en France. Ces acteurs ont mobilisé et encadré la discussion bien avant la réalisation du démantèlement de la jungle, et avec une avance sur les acteurs français. Le plus dominant de ces acteurs est al-Jazeera, qui a influencé le débat avec plusieurs de ses plateformes. Il est intéressant de constater que l’engagement d’al-Jazeera avec #CalaisJungle s’inscrit dans un effort médiatique plus vaste de la part du Qatar. Cet effort a récemment été plus visible dans la polémique autour de Gilles Kepel et ses propos contre l’idée de « l’islamophobie », ce que le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) a très vocalement attaqué. Le CCIF a une conception politique de l’islam qui est semblable à celle des Frères musulmans, et les deux sont souvent soupçonnés d’être liés. Si al-Jazeera est le bras médiatique du Qatar, les Frères musulmans et ses filiales en sont le vecteur d’influence sur le plan religieux ; ainsi, avec les engagements des deux dans les débats autour de l’immigration en France, on peut observer un effort concerté d’encourager l’ouverture française, voire européenne, aux migrants. Il est dans l’intérêt des pays du CCG de maintenir les flux migratoires en Europe afin d’éviter des tels flux envers leurs propres pays. Les pays du Golfe n’ont accueilli quasiment pas de migrants venant des pays voisins car une telle migration représenterait une vraie menace à leur stabilité sécuritaire, politique, et économique à la fois. Si l’engagement d’al-Jazeera dans le débat avec #CalaisJungle sert à encourager l’acceptation des migrants, la polémique autour de l’islamophobie menée par le CCIF vise, elle, à en réprimer l’éventuelle contestation. Qu’un interlocuteur ait réellement des préjugés ou non, l’appellation « islamophobe » est un argumentum ad hominem qui vise à le faire taire ou le délégitimer, et pas à faire vivre un vrai débat. L’engagement du Qatar dans le débat français sur ces deux domaines montre donc sa volonté non seulement de diriger les migrants vers l’Europe, mais aussi d’y encourager des querelles médiatiques, ce qui peut distraire le public et engendrer à son tour une paralysie locale de s’opposer à ses efforts.
D’un autre côté du débat de #CalaisJungle, les acteurs britanniques (surtout les médias et le British Council) avaient vocation à encourager la conservation de la jungle afin d’éviter la redirection des migrants vers leur pays : la jungle servait de bouchon qui a permis au Royaume-Uni de contrôler à son gré les flux des migrants rentrant dans le pays. Sur un deuxième plan, les ONGs dans ce regroupement avaient une raison de plus de propager l’ouverture française aux migrants et la conservation de la jungle : ces conditions permettent aux ONGs d’obtenir plus de financement, ainsi que d’augmenter leur engagement sur le champ et leur influence sur les débats politiques.
#jungledecalais
L’orthographie francophone, #jungledecalais, est l’autre hashtag au premier plan de cette polémique, utilisé par des acteurs français visant un public interne. Il est lié à d’autres hashtags avec une perspective plus critique de l’immigration que celle de #CalaisJungle, dont #FoutageDeGueule et #Paris (discussions sur les effets du démantèlement de la jungle sur la situation migratoire parisienne). #jungledecalais est beaucoup plus fortement lié à #Migrants qu’à #réfugiés, ce dernier étant très peu influent, et on peut également constater le manque d’influence des hashtags exprimant les mêmes idées que #RefugeesWelcome ou #NoBorders dans les tweets français. La discussion autour de #jungledecalais est dominée par deux groupes. D’un côté on trouve des chaînes d’information professionnelles qui donnent un point de vue plutôt neutre, telles que France Inter, Europe1, et Public Sénat. De l’autre côté se trouvent plusieurs acteurs de l’extrême droite, dont le compte officiel du Front National, Robert Ménard, et @tprincedelamour, un personnage notoire sur Twitter que ses adversaires accusent de faire partie de la « facho-sphère ».
#jungledecalais est légèrement moins répandu que #CalaisJungle, ce qui est normal, étant donné la taille de la population francophone sur Twitter par rapport à celle de la population anglophone. Cet hashtag était presque invisible jusqu’à la dernière semaine d’octobre, puis a soudainement explosé en popularité au début de novembre, avant de redevenir quasiment inexistant deux semaines après.
Contrairement aux dynamiques de l’hashtag #CalaisJungle, le #jungledecalais était utilisé par les acteurs français à des fins plutôt limitées. Cette discussion était totalement inactive jusqu’au début du démantèlement de la jungle, ayant dont débuté bien après les étrangers avaient commencé à encadrer et canaliser le début de leur côté. Les chaînes d’information françaises ont pris une perspective plus mesurée que leurs homologues du Qatar et du Royaume-Uni : elles ont joué un rôle plus neutre et moins militant, ne cherchant pas à définir l’ordre du jour de ces débats. En outre, les chaînes françaises ont employé quelques d’autres hashtags comme #apparts, #familles et #Paris en conjonction avec #jungledecalais, ce qui suggère un accent sur les implications locales concrètes du démantèlement de la jungle et le relogement de ses habitants ailleurs en France. Les acteurs de l’extrême droite ont, quant à eux, pris une position populiste sur la question de la jungle, en phase avec leurs discours plus généraux sur la crise migratoire.
Dans l’ensemble, on constate une avance des plateformes étrangères sur les acteurs français dans le débat sur le démantèlement de la jungle, et ce en conjonction avec une utilisation de ce débat à des fins plus vastes. En revanche, les acteurs français n’ont pas essayé d’exploiter cette question pour influencer les discours politiques, ni en Europe, ni à l’international. Il serait prudent pour le public français d’être conscient de l’instrumentalisation extérieure ce débat – même en France, comme l’on peut constater avec la polémique actuelle autour de Gilles Kepel – ainsi que de reconnaître la possibilité pour la France de faire exactement la même chose envers des acteurs extérieurs.
Daniel Walsh