L’absence de nationalisme économique performant en matière de transports ferroviaires

Début Septembre 2016, Alstom, qui est déjà fortement perturbé par l’épisode de sa vente au groupe américain General Electric, annonce vouloir fermer son usine de Belfort au vue de son carnet de commande très faible. La décision est étonnante, car en août 2016, Alstom a remporté un contrat de 2 milliards de dollars pour la construction de 28 trains à grande vitesse aux Etats-Unis. Mais derrière cette contradiction se cache une question de fond à la fois européenne et nationale : la politique industrielle de la France en matière de transports ferroviaires.

La politique à courte vue du pouvoir politique
L’Etat, voulant sauver les 400 emplois menacés a décidé d’acheter à Alstom 15 TGV destinés aux lignes Intercités Bordeaux-Marseille et Montpellier-Perpignan. Cette commande vient s’ajouter aux 6 TGV pour la liaison Paris-Turin-Milan déjà commandés.
Par cette décision, l’Etat français montre clairement sa volonté de sauver Alstom ; en tout cas à court terme. Si le groupe Alstom va bien, ce n’est pas le cas de sa branche transport dont les commandes dépendent principalement de la SNCF et de l’Etat français.
Dans sa volonté de faire grandir cette activité, Alstom tente de se rapprocher du groupe Thales dont l’activité de transport et de signalisation représente 15 % de son chiffre d’affaires soit 1,5 milliard d’euros. Mais Thales ne souhaite pas non plus un partenariat avec un constructeur pour garder son indépendance vis-à-vis des autres constructeurs.
Patrice Caine, le PDG de Thales a affirmé mi-novembre ne pas vouloir se séparer de son activité transport car c’est pour lui un secteur en devenir si Thales est capable de s’adapter au marché, notamment en ajustant son offre à la signalisation ferroviaire, une industrie qui va être bouleversée par la numérisation du rail.
« La valeur ajoutée dans le domaine viendra plus des logiciels que du train en lui-même. C’est l’utilisation de la cybersécurité ou encore l’application du big data à la maintenance prédictive qui feront de plus en plus la différence. » a déclaré Patrice Caine dans Le Revenu.
Pour couper court aux assauts répétés d’Alstom, le PDG de Thales écrivit au Président de la République, François Hollande ainsi qu’aux ministres concernés. Patrice Caine stoppa ainsi la polémique en refusant tout rapprochement des deux groupes en étant conscient qu’une telle opération aurait permis à Alstom de regagner des parts de marchés et à Thales d’asseoir sa position de n°1 de l’électronique.

Thales préfère s’ouvrir au marché chinois
Dans le même temps, Thales s'ouvre un peu plus le marché chinois du transport terrestre en s'alliant avec le leader mondial de fabrication de matériels roulants ferroviaires CRRC. CRRC est venu chercher Thales car ce dernier a une très bonne image dans le domaine de l’électronique à travers le monde. Le groupe français commence donc une alliance avec une entreprise réalisant un chiffre d’affaires avoisinant les 30 milliards de dollars.
Thales refuse un partenariat avec Alstom en revendiquant son besoin d’indépendance et signe un partenariat avec CRCC leader chinois. CRRC pèse plus à lui tout seul que Bombardier, Alstom, Siemens et Hitachi réunis. Il est donc un fort concurrent pour Alstom.
Dans un premier temps, Alstom jouissant d’une médiatisation contextuelle se lance dans la bataille en cherchant à s’allier avec un leader mondial (français) de l’électronique. L’opinion ne peut qu’être favorable à ce rapprochement car il pourrait permettre de sauver des emplois en France. L’Etat, malgré sa volonté de « sauver coûte que coûte » l’usine de Belfort, a préféré laisser Thales prendre un gros marché plutôt que de sauver de manière pérenne l’usine de Belfort. La commande signée par Alstom pour un montant de 31 millions d'euros pour une ligne de métro automatisée à Shanghai faisait sans doute partie du « deal » proposé par l’entreprise chinoise qui n’alimentera pas en travail l’usine de Belfort puisque les composants seront fabriqués à Tarbes et Villeurbanne.
L’absence de stratégie industrielle est le produit d’une absence de convergence de vue entre une vision politique sur le développement de la France et des intérêts privés qui ne se soucient guère de cette problématique. Or dans ce dossier, l’Etat aurait pu faire pression sur les protagonistes. Rappelons à ce propos que l’Etat est actionnaire à 26 % de Thales et à 20 % d’Alstom. Jean Michel Quatrepoint [Note 1] qui est un des rares journalistes français à s’être penché sur des questions de stratégie de nationalisme économique résume à sa manière cette déficience de réponse de la part des élites françaises : « Le drame de l'appareil d'Etat c'est qu'il est dirigé par Bercy où la fibre industrielle a pratiquement disparu. Soit nous avons des politiques qui ne connaissent l'activité économique qu'à travers le prisme des collectivités locales soit nous avons de jeunes technocrates formés, imprégnés par la mentalité de banquier d'affaires. »

[Note 1] Jean Michel Quatrepoint Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde? Paris, Le Débat, Gallimard, 2014.