Guerre de l'information sur le financement du nouveau Stade de Nice

Le 26 Juin 2015, La Chambre Régionale des Comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) publiait un rapport critiquant ouvertement le choix de la ville de Nice de réaliser la construction d’un grand stade dans le cadre d’un contrat de partenariat public-privé (PPP). L’émission Cash Investigation du 18 Octobre 2016 décide de faire un long reportage sur les dérives liées au financement de ce projet et reproche à Christian Estrosi, ancien maire de Nice et instigateur du projet, d’avoir créé un véritable gouffre financier motivé par sa réélection à la mairie de Nice.

Aujourd’hui président du Conseil Régional de PACA, l’homme politique niçois décide de se défendre en contre-attaquant : Il remet en cause l’objectivité de l’émission et pointe du doigt des erreurs factuelles, lors d’un entretien, mais également sur le Net et les réseaux sociaux.
En définitive, contrairement à la plupart des politiques ou entreprises qui font l’objet d’un reportage de ce type, Christian Estrosi et la ville de Nice ont mis en place une véritable contre-offensive sur le terrain de la guerre de l’information. Face aux attaques d’une émission qui s’appuie fortement sur les témoignages d’opposants politiques, l’organisation et la mise en place d’une contre-offensive informationnelle a permis de ne pas laisser la parole aux seules critiques. Allant plus loin que ça, la communication stratégique de la ville de Nice et d’Estrosi a consisté à discréditer l’attaquant, en remettant en cause ses méthodes, ses informations et ses manières de travailler.

Un partenariat couteux public/privé à Nice


Le Stade de Nice, nommé aujourd’hui « Allianz Riviera » conformément à un contrat de naming avec l’assureur du même nom, est issu d’un accord entre la ville de Nice et l’entreprise Vinci le 11 Octobre 2010. Cet accord est un partenariat public privé (PPP), par lequel la mairie « confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la durée d'amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, une mission globale ayant pour objet la construction ou la transformation, l'entretien, la maintenance, l'exploitation ou la gestion d'ouvrages, d'équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public, ainsi que tout ou partie de leur financement à l'exception de toute participation au capital » (Article 1er de l’ordonnance n°2004-559 du 17 Juin 2004).
La mairie de Nice aurait pu choisir d’effectuer une maitrise d’ouvrage public (MOP), procédure plus classique par laquelle elle emprunte de l’argent à une banque et gère elle-même la construction. Mais c’est le PPP qui fut choisi. Le coût du stade prévu initialement était de 204 millions d’euros. Or, le montant total représente pour la ville de Nice 372 millions d’euros, composé de 358 millions de redevance que la mairie doit payer à Vinci jusqu’en 2041 et 14 millions de subventions. C’est seulement à partir de 2041 que la mairie de Nice deviendra propriétaire du stade. Jusqu’à cette date, c’est Vinci qui gère et contrôle le stade.
L’inauguration du stade a lieu le 22 Septembre 2013. Mais deux ans plus tard, un rapport de la Chambre Régionale des Comptes (CRC) juge contestable le PPP avec Vinci et le coût de construction total.

Des critiques sur un cout réel énorme à des allusions de projet électoraliste


Les critiques de l’opposition politique commencent alors à s’abattre sur Christian Estrosi : Certains parlent de stade trop grand, pas adapté et d’un gouffre financier qui obèrera les finances de la municipalité jusqu’en 2041. L’émission Cash Investigation donne la parole à Louis Vallernaud, président de la CRR de PACA. Selon lui, Le coût de construction rapporté à la capacité en nombre de place montre que le stade de Nice est l’un des plus chers de France. Ce coût, de l’ordre de 6000 euros par place est plus élevé à Nice que dans les autres partenariats public/privé en France comme au Havre ou à Valenciennes, où le coût est moitié moins cher.
Après lui, c’est Pascal Marty, chercheur au CNRS, qui intervient dans l’émission pour affirmer que la facture totale aurait été largement plus faible en MOP. La critique principale est que la mairie a effectué un PPP par commodité budgétaire immédiate, sans réfléchir au long terme.
Mais Cash Investigation ne donne pas uniquement la parole à des spécialistes pouvant faire preuve d’autorité sur le sujet. Marouane Bouloudhnine, ancien conseiller municipal de Nice et ancien proche de Christian Estrosi, est invité. Il avait critiqué le train de vie de la mairie d’après le journaliste en charge du reportage. Ce dernier affirme que l’enjeu principal derrière la construction du stade était la réélection de Christian Estrosi au poste de maire. Le PPP permet de fixer une date de livraison contractuelle avec le partenaire privé, qui est chargé de la respecter. Dès lors, le choix du PPP permettait de faire avancer rapidement la construction.
Le reportage cite sur cette question un rapport confidentiel de mission d’évaluation des partenariats public-privé du Ministère de l’économie et des Finances selon lequel :
« L’urgence d’un projet était parfois motivée, dans les faits, par la volonté de réaliser un investissement public avant une échéance électorale, le PPP étant jugé plus rapide que la loi MOP. A partir des bases de données disponibles, il est ainsi possible de mettre en évidence un certain lien entre le recours au PPP et le cycle électoral municipal. »
D’autres personnalités politiques sont interrogées et parle d’un projet qui a été accéléré au détriment d’investissements prioritaires, comme dans les établissements scolaires ou les logements sociaux.
Par ailleurs, Cash Investigation vient attaquer le PPP sur le terrain fiscal, car Vinci aurait bénéficié de « cadeaux fiscaux » : exonération de charges, refacturation d’impôts, allégements de différentes taxes. Ici, le reportage en vient à Vinci. Un journaliste s’étend introduit dans une assemblée générale de l’entreprise pose une question publique à ce sujet. La direction de Vinci répond qu’elle n’a aucun commentaire particulier à faire sur le PPP du Stade de Nice et ne répondra à aucune demande d’interview à ce sujet.
Le reportage est donc totalement à charge et cherche à démontrer que le projet n’est pas tout à fait celui qu’il aurait dû être, et cela à plusieurs niveaux. Pour finir, le sujet se termine en mettant en avant le fait qu’une enquête a été ouverte et confiée à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) par le Parquet National Financier sur le PPP à Nice.
Toute cette émission est accompagnée de critique sur les réseaux sociaux : De nombreux opposants politiques relayent l’émission ou des parties de celle-ci sur Twitter et critiquent le PPP. L’émission elle-même est représentée et active à travers un compte officiel qui communique avec une communauté assidue et active. Chaque soir de sa diffusion, l’un des « hashtags » les plus populaires en France est #CashInvestigation. L’émission a donc une caisse de résonnance importante.

Vinci et Estrosi, deux stratégies défensives : La communication discrète et la contre-offensive


Les deux acteurs mis en cause dans cette polémique sont, par ordre d’importance, Christian Estrosi et la mairie de Nice d’une part ; le groupe Vinci d’autre part. Mais les deux ne vont pas adopter la même tactique de défense et de communication face aux critiques.
Christian Estrosi, qui représente la mairie de Nice dans cette polémique, adopte un comportement absolument offensif, de combat, pour repousser ces critiques. Il décide d’aller sur le plateau de l’émission Cash Investigation pour faire un entretien dans les conditions du direct en essayant de discréditer les journalistes et critique les méthodes du reportage. Il commence par faire du « fact-checking » (vérification des faits en français), habitude plutôt journalistique : L’ancien maire de Nice démontre que le reportage contient des erreurs factuelles et une bataille des chiffres commence.
Mais le désormais président de région PACA cherche d’abord et avant tout à convaincre l’auditoire, qui s’exprime et utilise le Net et les réseaux sociaux, et les prend à témoin. Tous les documents qu’ils citent apparaissent pendant l’émission sur un site internet créé pour l’occasion par la mairie de Nice, intitulé « veritestade.nice.fr » où le bandeau principal est le suivant : « Mensonges de Cash Investigation, Toute la vérité sur le stade de Nice ». Le site se présente sous forme de rubriques reprenant les principales critiques adressées par le reportage.

Cette initiative est accompagnée de nombreux tweet publié par Christian Estrosi en temps réel au fil de la diffusion du reportage.

Le groupe Vinci a également été mis en cause dans le reportage de Cash Investigation, notamment concernant des possibles avantages fiscaux négociés sur le dos des contribuables niçois. La tactique appliquée par les dirigeants du groupe français a été de chercher à garder le plus possible le silence et d’éviter d’intervenir. Aucune prise de parole volontaire n’a eu lieu pendant le reportage et aucun communiqué n’a été publié à la suite de l’émission pour réagir à ces attaques. Malgré tout, une initiative existe sur le site officiel de Vinci pour chercher à informer sur les PPP.

Au final, une polémique qui a pris de l'ampleur, mais qui a changé de sujet


L’analyse des orchestrations d’attaques et de défenses informationnelles montre que la polémique a finalement changé de sujet. Initialement prévu par Cash Investigation et ses contributeurs comme devant porter sur le financement en PPP du stade de Nice, elle a viré à une polarisation de l’opinion pour ou contre les méthodes de l’émission d’une part ; et pour ou contre la tactique choisie par Christian Estrosi pour se défendre d’autre part. Contrairement à de nombreux acteurs mis en cause par cette émission, à l’instar de Vinci ici-même, Christian Estrosi a mis en place une véritable organisation de contre-attaque informationnelle basée sur des méthodes journalistiques de vérification des faits, de transparence affichée concernant les documents officiels liés au PPP, et d’une volonté de « ré-information » face aux « erreurs » de Cash Investigation.
Cette défense a permis de changer le focus de la polémique sur les réseaux sociaux notamment. Après l’émission, Cash Investigation a cherché à réagir en critiquant à nouveau les méthodes et les erreurs de Christian Estrosi lors de l’entretien. Quelques heures plus tard, la publication d’un rapport de la Cour des comptes critiquant la politique « insuffisamment rigoureuse » de France Télévisions d’abord ; associée à une enquête révélant les salaires mirobolants de certains salariés de France Télévisions ensuite, a provoqué les sarcasmes de nombreuses personnes invitant sur Twitter Cash Investigation à s’intéresser au sujet pour un futur reportage.



Arthur Altounian