La voiture autonome, capable de circuler sans aucune intervention humaine est vue comme une opportunité de rendre les routes plus sûres. Cette automobile dotée de capteurs, de radars et de logiciels en tout genre est pilotée par un ordinateur de bord sophistiqué. Selon Franck Cazeneuve (directeur marketing et innovation chez Bosch) l’objectif de cette innovation est de réduire le nombre de morts et de blessés sur la route. Une étude menée par le cabinet KPMG a annoncé que la fréquence des accidents devrait chuter de 80 % d’ici à 2040. Le marché du véhicule autonome a donc un bel avenir devant lui, et d’ici à 2035, il pourrait générer 500 milliards d'euros, pour l'industrie automobile.
Pour le moment le stade de développement de la technologie est trop précoce pour voir apparaitre de réelles confrontations entre les multiples acteurs impliqués (constructeurs, concessionnaires, assureurs, utilisateurs et bien sûr nous tous en tant qu’usager de la route au titre de piéton ou de conducteur). Il est toutefois possible d’anticiper les différents problèmes que pourront poser ces véhicules dans un futur proche. Sur les réseaux sociaux et dans la presse, on voit déjà des voix qui s’élève contre cette technologie.
Les assureurs et les juristes sont inquiets, « Lorsqu’un véhicule conçu pour que personne ne tienne le volant sort de la route, vers qui se tourner pour identifier le responsable ? Le constructeur du modèle, le sous-traitant qui a conçu les algorithmes, le gestionnaire des données, la société qui a fabriqué les capteurs, les pouvoirs publics qui entretiennent l’infrastructure routière ? », demande Pascal Demurger (directeur de MAIF et président du Groupement des entreprises mutuelles d’assurance (GEMA). Un autre problème d’ordre plus éthique est soulevé, sauver un animal qui est sur le trottoir ou épargner la vie de l’enfant qui traverse la route au dernier moment ? Ce genre de choix peut être évident pour un conducteur humain mais comment va réagir l’algorithme d’une voiture autonome ? En mars 2015 une Google Car avait réussi à éviter un sac de sable sur une route sans percevoir le bus derrière elle ce qui entraina un accident mineur. Pour finir, les spécialistes informatiques rappellent qu’il existe des risques accrus de hacking. Fin 2015, un chercheur en sécurité au Security Innovation, Inc., a démontré qu’il était facile de contrôler les capteurs sur n’importe quelle voiture autonome pour la forcer à ralentir ou à se stopper avec un simple laser.
Les interrogations des assureurs
La voiture autonome touche au domaine du Big Data et des objets connectés, des mondes qui ne sont encore encadrés par aucune législation ou réglementation. Aucune règle ne permet de déterminer le responsable légal d'un accident dans un véhicule sans conducteur, il est donc du rôle des gouvernements de se préoccuper de ces problématiques.
Selon les prédictions, le stade de maturité évoluera rapidement entre 2015 et 2035, pour arriver à un model complexe de réseaux globaux de mégalopoles connectées. C’est donc un futur plus proche que l’on pourrait le penser. Avant d'autoriser ces véhicules à circuler il faut donc se pencher sur les problèmes de responsabilité en cas d'accident. Et là tous ne sont pas d’accord, certains défendent que le conducteur ne pourra pas être tenu responsable du fait que la conduite est déléguée au système.
En Europe comme aux états Unis, cet aspect inquiète. Les questions liées à la législation sont nombreuses et il est nécessaire que les Etats s’accordent sur la mise en place d’une réglementation homogène. Pour analyser ce sujet, nous mettrons en parallèle l’évolution de la situation aux états Unis et en Europe.
Aux Etats Unis
En 2015, on assiste à un tournant dans le développement des voitures autonomes. Google a saisi les autorités fédérales américaines au sujet de la règlementation, suite à cela elles déclarent être prêtes à reconnaitre les logiciels destinés aux voitures autonomes comme « des conducteurs à part entière ». Il faut savoir qu’avant cela, la National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA), en charge de définir les règles du code de la route, avait déterminé que seul un « humain » avait la capacité de conduire un véhicule. Cette modification dans la réglementation laisse entrevoir la possibilité de voir des voitures autonomes circuler aux Etats Unis, mais rien n’est encore fait ….
Fin 2015, en Californie, « le régulateur local » veut rendre obligatoire la présence systématique d’une personne ayant obtenu un permis particulier et qui de ce fait serait capable de réagir de façon adéquate en cas de défaillance du système. De plus dans cet état, un nouveau projet de loi encadre la commercialisation des voitures autonomes. En effets celles-ci ne pourront pas être mises en vente pour des entreprises ou des particuliers, seule la location sera possible. Avec ce projet de loi l’administration affiche clairement sa volonté de contrôler cette innovation. Les constructeurs seront contraints de remettre des rapports tous les mois sur les performances et les troubles constatés. Le Department of Motor Vehicles (DMV) de Californie explique que tout accident devra être signalé, l’ensemble des données collectées donneront la possibilité de juger de la sécurité et des capacités de la voiture sans conducteur en conditions réelles. Ce projet n’a pas que des adeptes, selon Chris Urmson (directeur technique du projet Google Car) il «va empêcher cette technologie d’atteindre tout son potentiel». En mai 2015, Google inquiété de la tournure que prenaient les évènements, avait, par l’intermédiaire de la firme de Mountain View recruté un lobbyiste à Las Vegas. Son rôle était de promouvoir des lois au Nevada en faveur de l’autorisation des voitures autonomes. Pour tout ce qui touche au problème des accidents ou infractions la Californie a décidé que la responsabilité revenait au conducteur. Mais là encore tous ne sont pas d’accord, «Si ces voitures sont autorisées à rouler, il semble logique que la responsabilité incombe aux fabricants automobiles», rétorque M. Simpson. Ce point est au cœur de l’attention des assureurs. «Ils pourront avoir à changer de modèle économique», prédit le cabinet McKinsey.
Au Nevada la loi stipule que le constructeur ne peut pas être tenu pour responsable en cas d'accident lié à une défaillance du système autonome de navigation excepté dans un cas bien particulier : celui où le conducteur aurait lui-même réalisé l’installation du système dans le véhicule.
Nous avons donc ici l’exemple de deux états au sein desquels la réglementation n’est pas homogène, sans l’établissement de texte au niveau fédéral, les lois continueront d’être définies individuellement par les différents Etats. Ainsi cela revient à dire que pour les Etats Unis uniquement on compte déjà 50 réglementations différentes. Cette absence de cohérence nationale est un problème car dans certains états les voitures peuvent circuler sans conducteur tandis que dans d’autres la présence d’une personne humaine est obligatoire. Il faut toutefois souligner qu’en fin 2016, la circulation de ces véhicules reste interdite dans la majorité des états. Dans ce contexte il est difficile d’envisager une homogénéisation des pratiques dans un futur proche.
En Europe
A l’heure actuelle en Europe la Convention de Vienne interdit la circulation des véhicules autonomes mais Jean Laurent Franchineau, (directeur du programme Eco Mobilité de VEDECOM (institut dédié à l'automobile autonome connectée et créé dans le cadre des 34 plans d'avenir pour une nouvelle France industrielle)) assure qu’il y a toutefois des discussions en cours à Genève pour revoir les réglementations. Un amendement devrait être appliqué en mars 2016 pour favoriser la mise en circulation de ces voitures.
En France, la réglementation est stricte et même les tests nécessitent l'accord des autorités locales, l’institut VEDECOM effectue régulièrement des tests près de Versailles et ce pour une durée de deux ans à partir de début 2016. L'objectif est d’apporter aux constructeurs et aux équipementiers des données techniques pointues. En 2016, François Nédey (directeur technique assurances de biens et de responsabilités chez Allianz France) considère que « la voiture autonome pose des problèmes inextricables en termes de responsabilité ». Selon lui, « des évolutions très profondes de la réglementation devront intervenir». Ainsi plusieurs assureurs semblent s’intéresser au système de « responsabilité sans faute » ce qui signifie que la victime est indemnisée et les assureurs se mettent d’accord ensuite pour déterminer les responsabilités. Pour Jean Laurent Franchineau « La responsabilité pénale du conducteur ne serait pas nécessairement modifiée puisque reste conducteur celui qui peut neutraliser le système à tout moment. Les infractions sanctionnant le conducteur lui seraient donc toujours applicables ».
Un autre modèle envisagé est celui selon lequel les décisions des responsabilités seront prises au cas par cas pour trouver l’origine du problème. Certains acteurs comme VEDOM considèrent qu’il serait judicieux d’installer des boîtes noires similaires à celles que l’on trouve dans les avions et qui ont pour vocation de retracer le déroulement des évènements en cas d’accident. Mais selon Jean Laurent Franchineau « les règlements actuels ne permettent pas à la voiture d'enregistrer des données pouvant notamment être utilisées pour établir les responsabilités ».
C’est alors une véritable guerre qui est déclarée "La Google Car va tuer l'assurance automobile" déclarait Stanislas di Vittorio (patron du comparateur d'assurance Assurland) à un haut responsable de Google France en septembre 2016. Toutefois, Monsieur Di Vittorio, nuance ses propos en annonçant que les assureurs ne seraient pas vraiment inquiets dans un futur proche. En effet il y a de nombreux facteurs limitants qui sont notamment le coût, le cadre juridique à l’heure actuelle inexistant et le facteur social. Ces barrières ne font que repousser l’échéance de la mise en circulation des véhicules autonomes, échéance donc trop lointaine pour qu'il y ait une réelle préoccupation.
Dans une démarche d’anticipation, les assureurs français ont toutefois mis en place un groupe de travail dont l’objectif est d’échanger avec le gouvernement au sujet de la réglementation. Pour Monsieur Nédey la manière d’assurer les véhicules autonomes est dépendante du cadre juridique fixé. Selon lui il est donc important de faire en sorte que la réglementation soit adaptée et admette que le conducteur du véhicule ne soit jamais responsable. Autre point, il faut que la législation définisse tous les acteurs susceptibles d’engager leur responsabilité et détermine les conditions d'assurabilité des véhicules. En fonction de la direction donnée à la législation il faudra envisager que la responsabilité puisse se porter sur les éditeurs des logiciels de pilotage ou encore sur les constructeurs automobiles, ce qui sous-entend que l'assureur devra être capable d'évaluer la qualité de ces technologies et non plus la qualité de la conduite.
Des enjeux sociétaux
Bien que les problématiques d’assurance et de réglementation soient prioritaires, il ne faut pas oublier les autres enjeux liés à cette nouvelle technologie. Comme précisé précédemment comment l’algorithme qui dirige l’automobile réagira fasse à un risque de collision immédiat si plusieurs vies sont en jeu ? Sur twitter « LesNvxTaxisParisiens » ont lancé un sondage le 3 novembre 2016.
Il y a donc une réelle préoccupation des citoyens face à cette problématique. Et de nombreuses questions sont soulevées : une vie vaut-elle mieux qu’une autre ? Le nombre de victimes potentielles est-il le critère de choix déterminant ?
De plus, qui dit algorithme dit risque de piratage, c’est également un des points sujet à controverse dont on parle dans la presse spécialisée et sur les réseaux sociaux. L’exercice a été testé avec succès en 2015 à la Security Innovation, Inc. A l’aide d’un simple laser un véhicule autonome a pu être contrôlé à distance. Alors oui dès lors tout type de dérive est envisageable et les réseaux sociaux s’affolent, « on parle de crise de confiance ».
Dans ce contexte nouveau et encore instable, le patron de la MAIF souligne que les relations client pourraient être grandement modifiées du fait que l’assureur dialoguera non plus avec le propriétaire de la voiture mais avec le constructeur automobile. Une alternative intéressante est possible, celle où BMW, Toyota, Volkswagen, Renault ou PSA Peugeot Citroën deviennent eux-mêmes les assureurs de leurs véhicules autonomes. Mais à l’heure actuelle, il y a eu seulement quelques échanges informels entre les assurances et le monde de l’automobile. Il ne fait guère de doute qu’à moyen terme, les discussions vont s’intensifier. Chez Allianz, on affirme que « La voiture sans chauffeur, c’est un saut dans l’inconnu. Et les assureurs ont horreur de l’inconnu ».
Pour tout ce qui touche aux enjeux sociétaux, les questions sont encore en suspens … on est à l’aube d’un changement technologique qu’on ne maitrise pas encore à 100% et qui génère beaucoup d’inquiétude. Et les acteurs de la société civile n’ont pas encore pris position sur les failles ou les contradictions du système. Les campagnes d’action sur les réseaux sociaux sont une épée de Damoclès que les différentes parties prenantes ne peuvent écarter de leur approche globale de cette problématique émergente.
Oana Lavergne