Depuis quelques années nous assistons à l’explosion du volontourisme. Issu du développement des nouvelles tendances touristiques ce secteur est au cœur d’une bataille qui voit s’affronter acteurs humanitaires et tour-opérateurs spécialisés. Les uns défendant un principe, les autres mettant en avant le développement économique et la demande occidentale.
D’un concept solidaire à une dérive sociétale...
Le volontourisme est une extrapolation de la notion de tourisme solidaire. Développé dans les années 2000, ce tourisme se défini comme un moyen de développement à destination des populations locales. L’ONG Tourisme et Développent Solidaire (créée en 1998) en est un exemple. Cette structure propose des séjours solidaires en immersions dans des villages africains. L’objectif étant le développement du village, les revenus issus de l’activité touristique finançant le village dans sa globalité.
Cette activité de tourisme solidaire est très étudiée et l’on remarque malheureusement de nombreux biais de compréhension entre acteurs locaux et touristes ; tant sur les objectifs que sur les missions et rôles de chacun. Il en découle la notion de malentendu productif et d’autres concepts qui tendent à montrer les inconvénients de telles pratiques.
Répondant à des désirs de consommations touristiques nouveaux ; dans la droite ligne de l’instantanéité et du all inclusive le volontourisme est donc une forme non maitrisée de tourisme solidaire.
Deux visions s’opposent
Sur ce marché s’est donc développée une gamme d’offres, alliant séjour touristique dans un pays exotique et exposition d’une implication locale propre à cette activité.
Mais le développement de cette activité commerciale pose la question de la marchandisation du bénévolat. Et plus généralement de l’impact que l’on espère à minima neutre pour les populations locales.
C’est de ces thèmes que se sont saisies les OGN qui voient arriver sur leurs domaines de compétences de nouveaux entrants aux pratiques contestés, à la croissance rapide et paradoxalement plus adaptables que les structures humanitaires souvent rigides et complexes à faire évoluer.
Nous retrouvons donc dans un camp les ONG qui entrent en postures de combat médiatique et dans l’autre des acteurs B to B (tournés vers les comités d’entreprises et grands groupes pour des raisons fiscales et d’abondement des missions) et B to C (tournés vers les populations citadines des jeunes actifs) du secteur privé mais aussi associatif.
Aux regards des différents éléments de la controverse (i.e. communications et réactions des différents acteurs) on constate que les attaques sont conceptuelles et peu orientées vers une cible précisément nommée. Ainsi les ONG préfèrent dénoncer le concept et le phénomène à travers des publications préventives et d’informations. Pour s’en rendre compte on peut parcourir les pages web de différentes organisations humanitaires comme celle du Service Volontaire International. A l’analyse du discours on note une démarche argumentative orientée vers la prise de position et la prise en charge (au sens premier du terme). La dénonciation se fait sur le phénomène. Aucune organisation lucrative spécifique n’est explicitement citée. Et l’ONG se place en position d’informateur et de soutien à l’initiative que l’on note par la forte répétition du « nous » et du « vous », associés à des verbes d’actions.
Il en va de même pour les autres associations qui publient elles aussi sur leur site des informations du même type. La page citée ci-dessus à cela d’intéressant qu’elle se fait aussi le relais de liens-sortant vers d’autres sources d’informations qui confirment et accentues le propos soutenu. Nous sommes donc ici en présence d’une justification de l’attaque ainsi que d’une stratégie orientée vers la preuve et l’amplification du message par elle.
Lors de l’étude de la cartographie des acteurs engagés, on surligne la forte présence des blogs et relais sociaux. Publications récentes (2015-2016) pour une majorité de référencement. Ces relais sont généralement des récits d’expériences personnelles qui utilisent une stratégie différentes des ONG en apportant un contenu au ton plus didactique et orienté vers le fait. Il est à noter la synergie de ces deux stratégies qui, manifestement ne sont pas organisées l’une par rapport à l’autre mais se renforcent mutuellement.
Nous avons donc 3 grands groupes acteurs qui se placent en position critique vis-à-vis du développement du Volontourisme. La dénonciation prend plusieurs formes, retours d’expériences, informations et prise de position, caricatures…
Les actions ne sont pas coordonnées, chaque acteur semblant utiliser son vocable et surtout un canal propre sans recoupe avec un discours que l’on pourrait considérer comme formalisé.
Ainsi les grands thèmes dénoncés sont :
- La marchandisation du statut de bénévole.
- La différence entre marketing et réel.
- La controverse sur l’impact local et les enjeux de dépendances des populations.
- La vulgarisation de la pauvreté.
- Le phénomène de mode et de nouveau type de consommation.
- Les coûts liés qui diminuent la part apportés aux investissements locaux.
Il est intéressant de remarquer que la plupart de ces points de polémiques pourraient être utilisés à l’encontre des ONG qui sont souvent accusées des même maux (frais de gestion trop élevés… faibles cohérence locale entre soutiens apportés et besoins véritables...).
Des acteurs de la société civile déstabilisés dans leur cœur de métier
Cet affrontement représente une illustration intéressante entre deux entités au rapport de force très peu marqué. Ainsi il est compliqué de faire le distinguo entre Fort et Faible. La différence se fait plutôt entre acteurs historiques et nouveaux entrants ; respectivement ONG et Acteurs économiques. Dans ce rapport de force les acteurs historiques n’ont pas la culture du contrôle de leur espace d’influence. Ainsi ayant perdu en capacité de réactions l’arrivée de nouveaux acteurs privés chamboule la stratégie de communication et d’information des ONG.
- Les acteurs nouveaux s’installent alors sur les lacunes du secteur, en s’orientant vers l’expérience et en alliant intérêt sociétal pour l’engagement et intérêt économique privé. Ceci par l’utilisation d’un marketing fort tantôt tribal tantôt expérientiel, deux leviers forts et très présent aujourd’hui dans l’industrie du voyage.
- En comparaison les ONG utilise l’émotion et l’engagement, qui loin d’être inefficace ne répondent pas aux mêmes attentes.
Ces acteurs sont alors dans l’obligation de repenser leurs positions et de revenir sur une communication moins alarmiste ou jouant sur des sentiments forts comme l’espoir et la mise en scène de la pauvreté. Il sera efficace d’orienter la rhétorique et le discours globale sur l’engagement et l’interaction, le consommateur désirant de plus en plus être acteur de sa consommation ce schéma peut être appliqué à l’humanitaire par le désire d’interaction. (que proposent les acteurs privés).
En termes de moyen on remarque que les acteurs historiques utilisent leur notoriété et leur légitimité afin de s’établir comme détenteur de l’information. A l’inverse les acteurs privés bénéficient de l’effet de nouveauté et de proposition ; ils ne rentrent pas dans une démarche de justification permanente.
Usant d’une stratégie individuelle visant à dénoncer un concept plus que des acteurs les ONG perdent en échos. D’autre part un point majeur à porter au défaut de la stratégie rhétorique est dans le terme même de Volontourisme. En effet celui-ci ne renvois pas directement à des tour-opérateurs qui ont compris qu’ils devaient se dédouaner au plus vite de ce qualificatif. Ainsi la dénonciation semble creuse.
Nous l’avons exposé plus haut, les critiques faites aux TO (tour-opérateur) de ce segment touristique sont sensiblement similaires à celle que l’on peut faire aux ONG. Il est paradoxal de noter que les réponses apportées par ceux-ci sont identiques aux démarches engagées par les humanitaires :
- Une volonté de transparence dans les répartitions des frais et des actions.
- L’accentuation du discours sur l’action et l’expérience de la structure en vue d’une affirmation de légitimité.
- La mise en avant des résultats.
N’étant pas ciblés directement les TO développent une communication de l’action et de l’engagement qui recouvre les critiques énoncés par les ONG :
L’exemple de Projet abroad :
- Un vocabulaire de l’action et de la dynamique
- Présence récurrente du terme volontaire directement liés aux termes « participation » et « mission ».
L’analyse nous donne aussi à voir l’orientation générale du discours, très administratif plus qu’orienté autours des connaissances etc.… Cette polémique est alors éminemment rhétorique ; basée sur un affrontement a-frontal entre des ONG non habituées à être en posture de combat concurrentiel et des acteurs économiques privés. De façon projective il est possible d’envisager une restructuration obligatoire de la stratégie des ONG qui auront certainement intérêt à aller sur le terrain de la promotion marketing et des phénomènes sociaux de tourismes afin d’occuper le marché avant que des acteurs privés ne s’y installent trop durablement.
Jean-Baptiste Loriers
Pour aller plus loin
Chabloz Nadège, « Le malentendu. Les rencontres paradoxales du « tourisme solidaire »», Actes de la recherche en sciences sociales 5/2007 (n° 170), p. 32-47
DOI : 10.3917/arss.170.0032.
D’un concept solidaire à une dérive sociétale...
Le volontourisme est une extrapolation de la notion de tourisme solidaire. Développé dans les années 2000, ce tourisme se défini comme un moyen de développement à destination des populations locales. L’ONG Tourisme et Développent Solidaire (créée en 1998) en est un exemple. Cette structure propose des séjours solidaires en immersions dans des villages africains. L’objectif étant le développement du village, les revenus issus de l’activité touristique finançant le village dans sa globalité.
Cette activité de tourisme solidaire est très étudiée et l’on remarque malheureusement de nombreux biais de compréhension entre acteurs locaux et touristes ; tant sur les objectifs que sur les missions et rôles de chacun. Il en découle la notion de malentendu productif et d’autres concepts qui tendent à montrer les inconvénients de telles pratiques.
Répondant à des désirs de consommations touristiques nouveaux ; dans la droite ligne de l’instantanéité et du all inclusive le volontourisme est donc une forme non maitrisée de tourisme solidaire.
Deux visions s’opposent
Sur ce marché s’est donc développée une gamme d’offres, alliant séjour touristique dans un pays exotique et exposition d’une implication locale propre à cette activité.
Mais le développement de cette activité commerciale pose la question de la marchandisation du bénévolat. Et plus généralement de l’impact que l’on espère à minima neutre pour les populations locales.
C’est de ces thèmes que se sont saisies les OGN qui voient arriver sur leurs domaines de compétences de nouveaux entrants aux pratiques contestés, à la croissance rapide et paradoxalement plus adaptables que les structures humanitaires souvent rigides et complexes à faire évoluer.
Nous retrouvons donc dans un camp les ONG qui entrent en postures de combat médiatique et dans l’autre des acteurs B to B (tournés vers les comités d’entreprises et grands groupes pour des raisons fiscales et d’abondement des missions) et B to C (tournés vers les populations citadines des jeunes actifs) du secteur privé mais aussi associatif.
Aux regards des différents éléments de la controverse (i.e. communications et réactions des différents acteurs) on constate que les attaques sont conceptuelles et peu orientées vers une cible précisément nommée. Ainsi les ONG préfèrent dénoncer le concept et le phénomène à travers des publications préventives et d’informations. Pour s’en rendre compte on peut parcourir les pages web de différentes organisations humanitaires comme celle du Service Volontaire International. A l’analyse du discours on note une démarche argumentative orientée vers la prise de position et la prise en charge (au sens premier du terme). La dénonciation se fait sur le phénomène. Aucune organisation lucrative spécifique n’est explicitement citée. Et l’ONG se place en position d’informateur et de soutien à l’initiative que l’on note par la forte répétition du « nous » et du « vous », associés à des verbes d’actions.
Il en va de même pour les autres associations qui publient elles aussi sur leur site des informations du même type. La page citée ci-dessus à cela d’intéressant qu’elle se fait aussi le relais de liens-sortant vers d’autres sources d’informations qui confirment et accentues le propos soutenu. Nous sommes donc ici en présence d’une justification de l’attaque ainsi que d’une stratégie orientée vers la preuve et l’amplification du message par elle.
Lors de l’étude de la cartographie des acteurs engagés, on surligne la forte présence des blogs et relais sociaux. Publications récentes (2015-2016) pour une majorité de référencement. Ces relais sont généralement des récits d’expériences personnelles qui utilisent une stratégie différentes des ONG en apportant un contenu au ton plus didactique et orienté vers le fait. Il est à noter la synergie de ces deux stratégies qui, manifestement ne sont pas organisées l’une par rapport à l’autre mais se renforcent mutuellement.
Nous avons donc 3 grands groupes acteurs qui se placent en position critique vis-à-vis du développement du Volontourisme. La dénonciation prend plusieurs formes, retours d’expériences, informations et prise de position, caricatures…
Les actions ne sont pas coordonnées, chaque acteur semblant utiliser son vocable et surtout un canal propre sans recoupe avec un discours que l’on pourrait considérer comme formalisé.
Ainsi les grands thèmes dénoncés sont :
- La marchandisation du statut de bénévole.
- La différence entre marketing et réel.
- La controverse sur l’impact local et les enjeux de dépendances des populations.
- La vulgarisation de la pauvreté.
- Le phénomène de mode et de nouveau type de consommation.
- Les coûts liés qui diminuent la part apportés aux investissements locaux.
Il est intéressant de remarquer que la plupart de ces points de polémiques pourraient être utilisés à l’encontre des ONG qui sont souvent accusées des même maux (frais de gestion trop élevés… faibles cohérence locale entre soutiens apportés et besoins véritables...).
Des acteurs de la société civile déstabilisés dans leur cœur de métier
Cet affrontement représente une illustration intéressante entre deux entités au rapport de force très peu marqué. Ainsi il est compliqué de faire le distinguo entre Fort et Faible. La différence se fait plutôt entre acteurs historiques et nouveaux entrants ; respectivement ONG et Acteurs économiques. Dans ce rapport de force les acteurs historiques n’ont pas la culture du contrôle de leur espace d’influence. Ainsi ayant perdu en capacité de réactions l’arrivée de nouveaux acteurs privés chamboule la stratégie de communication et d’information des ONG.
- Les acteurs nouveaux s’installent alors sur les lacunes du secteur, en s’orientant vers l’expérience et en alliant intérêt sociétal pour l’engagement et intérêt économique privé. Ceci par l’utilisation d’un marketing fort tantôt tribal tantôt expérientiel, deux leviers forts et très présent aujourd’hui dans l’industrie du voyage.
- En comparaison les ONG utilise l’émotion et l’engagement, qui loin d’être inefficace ne répondent pas aux mêmes attentes.
Ces acteurs sont alors dans l’obligation de repenser leurs positions et de revenir sur une communication moins alarmiste ou jouant sur des sentiments forts comme l’espoir et la mise en scène de la pauvreté. Il sera efficace d’orienter la rhétorique et le discours globale sur l’engagement et l’interaction, le consommateur désirant de plus en plus être acteur de sa consommation ce schéma peut être appliqué à l’humanitaire par le désire d’interaction. (que proposent les acteurs privés).
En termes de moyen on remarque que les acteurs historiques utilisent leur notoriété et leur légitimité afin de s’établir comme détenteur de l’information. A l’inverse les acteurs privés bénéficient de l’effet de nouveauté et de proposition ; ils ne rentrent pas dans une démarche de justification permanente.
Usant d’une stratégie individuelle visant à dénoncer un concept plus que des acteurs les ONG perdent en échos. D’autre part un point majeur à porter au défaut de la stratégie rhétorique est dans le terme même de Volontourisme. En effet celui-ci ne renvois pas directement à des tour-opérateurs qui ont compris qu’ils devaient se dédouaner au plus vite de ce qualificatif. Ainsi la dénonciation semble creuse.
Nous l’avons exposé plus haut, les critiques faites aux TO (tour-opérateur) de ce segment touristique sont sensiblement similaires à celle que l’on peut faire aux ONG. Il est paradoxal de noter que les réponses apportées par ceux-ci sont identiques aux démarches engagées par les humanitaires :
- Une volonté de transparence dans les répartitions des frais et des actions.
- L’accentuation du discours sur l’action et l’expérience de la structure en vue d’une affirmation de légitimité.
- La mise en avant des résultats.
N’étant pas ciblés directement les TO développent une communication de l’action et de l’engagement qui recouvre les critiques énoncés par les ONG :
L’exemple de Projet abroad :
- Un vocabulaire de l’action et de la dynamique
- Présence récurrente du terme volontaire directement liés aux termes « participation » et « mission ».
L’analyse nous donne aussi à voir l’orientation générale du discours, très administratif plus qu’orienté autours des connaissances etc.… Cette polémique est alors éminemment rhétorique ; basée sur un affrontement a-frontal entre des ONG non habituées à être en posture de combat concurrentiel et des acteurs économiques privés. De façon projective il est possible d’envisager une restructuration obligatoire de la stratégie des ONG qui auront certainement intérêt à aller sur le terrain de la promotion marketing et des phénomènes sociaux de tourismes afin d’occuper le marché avant que des acteurs privés ne s’y installent trop durablement.
Jean-Baptiste Loriers
Pour aller plus loin
Chabloz Nadège, « Le malentendu. Les rencontres paradoxales du « tourisme solidaire »», Actes de la recherche en sciences sociales 5/2007 (n° 170), p. 32-47
DOI : 10.3917/arss.170.0032.