La fusion Bayer-Monsanto est-elle menacée par une guerre de l’information ?

Le 14 Septembre 2016, Monsanto acceptait l’offre de rachat de Bayer, pour un montant de 66 Milliards de dollars, créant ainsi la plus grosse entreprise mondiale de culture de graines et de pesticides. Les tractations étaient engagées depuis le 19 Mai, et se sont déroulées dans le contexte d’une consolidation du secteur des pesticides et des cultures OGM, alors que se déroulait la fusion des américains Dow Chemical et DuPont (pour 59 Milliards de dollars, confirmée le 20 Juillet) et celle du suisse Syngenta avec le chinois ChemChina (pour 42 Milliards de dollars, confirmée le 22 Août).
Pourtant toutes ces fusions n’ont pas eu la même visibilité médiatique, et l’on a pu assister à une campagne de dénigrement de la fusion Bayer-Monsanto, alors que les autres acteurs de ce marché n’ont pas été touchés pour l’instant par ce type de polémique.

L’offensive des détracteurs de de la société civile
Pour beaucoup, la partie visible des conséquences de cette fusion fut le rejet de celle-ci par la société civile, notamment via les nombreuses critiques que les ONG et les associations émirent à son encontre. Car c’est dans un climat de défiance que cette annonce fut délivrée, alors qu’en France, une marche contre Monsanto, organisée par le collectif citoyen Engraineurs et l'association Combat Monsanto a réuni plusieurs milliers de manifestants écologistes dans 35 villes. Sur le terrain judiciaire, Monsanto a été condamné le 10 Septembre 2015 pour l’intoxication d’un agriculteur par l’un de ses herbicides, interdit depuis 2007.
Au Pays-Bas, du 14 au 16 Octobre, le Tribunal Monsanto, qui se décrit comme une « mobilisation internationale de la société civile », entendit juger Monsanto pour « livrer une opinion juridique sur les dommages sanitaires et environnementaux causés par la multinationale Monsanto, contribuant ainsi au débat visant à inclure le crime d'écocide dans le droit criminel international. » Ce tribunal rendra un jugement symbolique contre Monsanto en décembre 2016, mais il faut noter qu’il est présidé par des juges de profession, et de renommée internationale. Monsanto récuse l’action de ce collectif, comme « une parodie de tribunal, entièrement à charge », selon les mots de son directeur des affaires institutionnelles, Yann Fichet.
Les critiques contre Monsanto sont nombreuse et représentent les voix de nombreuses organisations et qu’une telle fusion ne semble pas devoir se faire sans heurts. Monsanto, qui privilégiait surtout le lobbying institutionnel, s’est depuis peu lancé dans une campagne de « réinformation » sur le net et dans la presse, comptant regagner la confiance de la population. D’autre part, il est frappant de voir que peu d’attaques informationnelles sont dirigées contre Bayer : la firme allemande, dont les produits sont plus orientés vers un secteur complémentaire de celui de Monsanto, l’agrochimie, conserve l’espoir de gérer l’image de Monsanto, comme en témoigne la campagne informationnelle lancée sur le net en faveur de cette fusion et en faveur des entreprises produisant des OGM, arguant d’une « équivalence substantielle » entre les produits avec et sans OGM, sur la base de la présence de certains composants de base.

La fusion Bayer-Monsanto, une nécessité économique pour les deux groupes
En s’écartant des positions de la société civile pour se concentrer sur les positions adoptées par les acteurs économiques, et les principaux intéressés de cette fusion, nous découvrons les logiques économiques qui motivent ce processus. Ainsi, l’argumentaire de Monsanto s’adresse d’abord aux entreprises agricoles, mettant en exergue les profits futurs que sa fusion avec Bayer promettrait. Le pari technologique de Bayer et de Monsanto repose sur les avancées que la culture OGM et les pesticides permettraient d’obtenir en termes d’amélioration des coûts et de rendement, alors que se développe un engouement du marché pour les modèles d’agricultures biologiques et alternatifs « écoresponsables ». Dans ce cadre, la consolidation Bayer-Monsanto apparait comme une façon de se prémunir des risques de baisse de profit face à cet engouement, en devenant un acteur concurrentiel incontournable sur le marché agricole, puisque cette fusion ouvre le marché nord-américain à Bayer, et permet aux deux entreprises de toucher conjointement un marché plus large. La motivation de cette fusion est donc autant dans la perspective de bénéfices futurs que dans la consolidation de la position de Bayer-Monsanto sur un marché agricole en difficulté.

Les implications de la sphère politique
Il va sans dire que la fusion Bayer-Monsanto créerait un acteur majeur au niveau mondial dans un secteur stratégique entre tous. D’un point de vue local, des lobbies se sont déjà emparés de l’affaire, tels l’American Farm Bureau lobby, qui exprime des craintes envers les possibilités financières d’accès des agriculteurs aux produits Bayer-Monsanto après cette fusion couteuse, et envers l’avenir des budgets de R&D à l’issue de la fusion. Le président de la National Farmers Union, Roger Johnson, se fit également le relais de ces craintes au Sénat américain, arguant qu’une telle fusion amènerait non seulement une hausse des prix, mais également moins de dépenses dans la R&D et moins de choix de produits pour les agriculteurs. Toutefois, Monsanto dispose d’appuis institutionnels, via des anciens directeurs de cette firme en poste dans les institutions de contrôle américaine (Food and Drugs Administration, Environnemental Protection Agency, Departement of Agriculture). Toutefois, le fin mot de l’histoire reste désormais aux institutions européennes et américaines, car l’offre de fusion étant acceptée (et une clause de retrait de deux milliards de dollars étant signée par Bayer), il n’y a plus que les commissariats à la concurrence européens et américains qui puissent casser cette procédure, au nom de la libre-concurrence (antitrust) et de la protection des prix. Une pétition récoltant 40000 signatures, lancée par des députés écologistes envers les décideurs de Bruxelles, reprend d’ailleurs ces arguments, qui firent échouer d’autres projets de fusion européens par le passé.

Un affrontement entre deux visions du développement
Si le processus de fusion des deux sociétés n’a pas semblé être remis en cause par les nombreuses initiatives de la société civile à l’encontre de Monsanto, faut-il y voir la preuve que des entreprises de cette taille sont au-dessus de toute intervention ? Il semble plutôt que, plus qu’une inertie due à la taille de ces entreprises, c’est une volonté de se protéger face à une baisse de rendement du secteur agricole qui motive la fusion en cours, baisse de rendement qui pourrait s’expliquer par la hausse de la demande du marché pour une agriculture biologique et responsable. La fusion Bayer-Monsanto, qui advient dans le cadre d’un processus de consolidation mondiale des entreprises leader du marché agricole, témoigne de la crise de ce marché, et de l’importance que la société civile prend via sa demande d’un renouvellement des modèles agricoles. L’importance des revendications de la société civile pour une agriculture de qualité, respectueuse de l’environnement et de la santé des consommateurs et des producteurs n’est pas à prendre à la légère, même face à des géants comme Bayer-Monsanto. Monsanto l’a bien compris, puisqu’il réoriente sa stratégie pour soutenir l’équivalence qualitative des OGM par rapport aux produits traditionnels, et ainsi dérouter l’influence des critiques issues de la société civile sur les décideurs et les institutionnels
L’échec d’une telle fusion aurait alors un retentissement d’autant plus grand que l’image des deux entreprises serait atteinte, et que le coût financier d’un tel échec serait grand (Bayer a accepté une clause qui l’oblige à verser deux milliards de dollars à Monsanto en cas de rupture de la fusion), ce qui aurait en définitive l’inverse de l’effet escompté : amener deux entreprises leader dans leurs domaines dans une position de faiblesse face à leurs concurrents.