Attaque informationnelle contre le Groupe Renault-Nissan

Le groupe Nissan a fait l’objet ces dernières années d’une attaque informationnelle par le syndicat américain Union Auto Worker, ainsi que d’autres organisations associées. Le syndicat a accusé le groupe Nissan de s’opposer à la création d’un syndicat dans l’usine de 5200 salariés que possède le groupe dans la ville de Canton (située dans l’Etat du Mississippi).
Cette polémique oppose le Groupe Nissan, qui dispose de 3 sites de production aux Etats-Unis au syndicat UAW. Le syndicat américain est soutenu par l’organisation IndustriALL qui regroupe plusieurs syndicats industriels. Une association locale nommée Mississippi Association For Fairness At Nissan a été formée pour relayer les droits des salariés au sein de la société civile. Un autre acteur est l’organisation NAACP (National Association for Advancement of Colored People) qui a rédigé un rapport de 47 pages sur les manquements aux standards internationaux mené par le groupe Nissan à Canton.
Cette attaque se fait selon un angle social en soulignant un rapport de force entre la direction et les employés, mais aussi sociétal (au sens américain du terme), en mettant en parallèle cette situation avec la lutte pour les droits civiques, comme l’indique le slogan : « Labor Right is Civil Right ». Une immense majorité des employés sont noirs et la perpétration d’une situation de ségrégation par Nissan a évoquée. Les tensions raciales ont été ravivées à partir de juillet 2013 avec le mouvement « Black Lives Matter ». En janvier 2014, les employés du site de Canton arboraient des T-shirts à l’effigie de Martin Luther King avec le slogan suivant : « Dites-le à Nissan : les droits des travailleurs sont des droits civiques ».

Un conflit qui nécessite une grille de lecture à plusieurs entrées
A partir de 2011, le syndicat UAW, confronté à une baisse du nombre de ses adhérents, rend public sa volonté d’établir des syndicats dans le Sud des Etats-Unis où l’adhésion à un syndicat est faible. La polémique contre Nissan commence à partir de 2012. Un site internet www.dobetternissan.org a été créé en juin 2012 afin de relayer la parole de tous les acteurs du débat. Un autre site internet a été mis en place, www.lookbeneaththeshine.org en décembre 2012. Chacun des sites dispose de pages ad hoc sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter). C’est aussi en 2012 qu’est créé le Mississippi Alliance For Fairness At Nissan (MAFFAN). Cette organisation commence à recruter des étudiants et des partisans issus de la lutte pour les droits civiques afin de manifester devant le site de Canton en 2012.
A partie de 2013, la NAACP entre en relation avec l’UAW et rédige un rapport qui met en évidence le manquement des pratiques managériales aux principes de l’Organisation Internationale du Travail (respect de la liberté de syndicat et de la liberté d’association). Pour y remédier, l’organisation présente dans son rapport préconise de garantir la liberté syndicale sur le site de Nissan et de déclarer officiellement que le site de Canton ne fermera pas si une représentation syndicale des salariés est adoptée. Le syndicat UAW est soutenu à partir de ce moment par le membre du Congrès Bennie Thompson, un relais politique susceptible d’impliquer les décideurs politiques.
Le groupe Nissan se défend d’être en violation de la législation américaine en matière de droit du travail. Le site de Canton est situé dans le Mississippi, qui est un des vingt-six Etats assujettis aux « Right to Work Laws ». Les salariés n’y ont pas l‘obligation d’appartenir à un syndicat pour faire partie d’une entreprise. Nissan n’est donc pas en infraction à la législation américaine. Sollicité par le syndicat, le bureau de la National Labor Relation Board à La Nouvelle Orléans a reçu à deux reprises des plaintes de L’UAW au sujet des pratiques managériales durant l’été 2013. Les deux requêtes n’ont pas fait l’objet de jugement faute de preuves et la demande fut close en septembre 2013.
En janvier 2016, une conférence de presse a été organisée à l’Université de Tugaloo en soutien à la lutte syndicale. Cette conférence de presse rassemblait 400 membre de la MAFFAN, l’association Mississippi Student Justice Alliance et des membres des syndicats Brésiliens Central Unica dos Trabalhadores et de son antenne dédiée aux ouvriers métallurgistes Confederacao Nacional dos Metalurgicos. Les étudiants de cette université ont réalisé et diffusé des vidéos de soutien aux ouvriers de Canton. Ces vidéos ont été envoyées à 115 autres universités et plus précisément des « Black University » (universités réservées aux étudiants noirs établis avant 1964 jusqu’à la fin de la discrimination à l’entrée des universités aux Etats-Unis et haut lieu de la contestation des droits civiques). Des acteurs hétérogènes capables d’étendre les enjeux de la polémique au-delà de la présence d’un syndicat à Canton ont été mobilisés pour mettre en place une série d’attaque contre Nissan à différentes échelles.

L’internationalisation de la polémique
La lutte a été aussi menée hors des Etats-Unis. En Mai 2013, le syndicat Américain ainsi que l’organisation IndustriALL ont organisé des manifestations en Afrique du Sud où NISSAN dispose d’une usine. Une manifestation a été organisée devant l’ambassade du Japon le 6 juin en compagnie du comédien Danny Glover avec le syndicat Sud-Africain NUMSA (National Union of Metalworker of South Africa). Le comédien a eu l’occasion de rencontrer le président Africain Jacob Zuma afin d’évoquer la situation des ouvriers de Canton.
Au Brésil, où le groupe Nissan possède un site de production où les employés adhèrent tous à un syndicat, des manifestations hostiles à Nissan ont eu lieu. Le syndicat ainsi que l’organisation IndustriALL ont sollicité le sénateur brésilien Paulo Paim en Avril 2016 pour intercéder auprès des autorités brésiliennes en leur faveur. Une première manifestation a eu lieu en février 2016 au Brésil et une seconde à Paris pendant les Jeux Olympiques (dont Nissan était un sponsor) en août 2016.
A partir de 2014, Le Syndicat UAW fait alliance avec l’organisation Internationale IndustriALL qui regroupe des syndicats du monde entier issus de l’industrie. C’est aussi en 2014 que l’UAW fait appel à l’OCDE contre le Groupe Renault Nissan et engage une procédure auprès du National Contact Point aux Etats-Unis afin de jauger la situation à Canton à l’aune des principes de l’Organisation Internationale du travail.
Lors du salon du North American International Auto Show en Janvier 2015, des manifestations ont été organisées devant les stands de Nissan avec le comédien Danny Glover. En novembre 2015, deux salariés américains de l’usine, Lee Ruffin et Linda Brown ont rencontré le député socialiste Bruno Leroux lors d’une première visite en France. Lors du salon de l’automobile 2016 à Paris, le comédien engagé Danny Glover est venu à Paris pour alerter l’opinion Française sur la situation des employés de Nissan de Canton. Le comédien a organisé plusieurs conférences de presse afin de dénoncer une situation perçue comme injuste et obtenir l’aide de la part du Gouvernement Français, actionnaire à 20% du capital de Renault, propriétaire de Nissan. Le comédien a reçu le soutien de parlementaires français comme l’écologiste Sergio Coronado et du Député Maire Christian Hutin.
Ce fut notamment lors de l’intervention de Christian Hutin à Assemblée Nationale en avril 2016 qui a appelé une intervention de l’Etat français. Plusieurs conférences de presse ont été organisées et une lettre ouverte au président de Renault Nissan Carlos Ghosn a été rédigée. La famille d’un employé de Nissan Derrick Whiting n’ayant pas survécu à un malaise ayant eu lieu à l’usine est venue saluer sa mémoire et exposer son cas aux journalistes français. Une nouvelle fois des relais politiques ont apporté leur soutien et les partenaires de Nissan ont été pris pour cible. Lors des manifestations organisées à Paris, l’un des responsables d’IndustriALL a souligné le point suivant : « Dans aucune usine d’un constructeur étranger installé au Mississippi, en Alabama ou au Tennessee, les salariés n’ont pas réussi à implanter de section syndicale ». Alors que les usines appartenant à des constructeurs américains ont un taux élevé d’adhésion à un syndicat, ce n’est pas le cas dans les usines appartenant à un groupe étranger ayant recours à l’intérim en fonction du marché automobile. Des lors, les salaires y sont moins élevé ce qui confère un avantage stratégique.

L’élargissement du débat à d’autres constructeurs.
L’UAW n’est pas en lutte uniquement avec le groupe Nissan. Le syndicat est aussi en conflit avec le groupe Volkswagen à Chattanooga pour la création d’un syndicat. Le syndicat a organisé plusieurs votes afin d’installer une section locale dans le site d’assemblage du constructeur allemand depuis son inauguration en 2011. Le syndicat après avoir essuyé un premier échec en février 2014, a organisé un second vote en juillet 2014 dont le résultat fut cette fois-ci favorable. Une autre tentative d’ouvrir une section syndicale a eu lieu à Vance a sein d’un site d’assemblage appartenant à Mercedes Benz ou encore dans le site appartenant au groupe Honda dans la ville de Lincoln. A chaque fois la création d’un syndicat est exigée. L’objectif est de parvenir à un rapport de force analogue à ce qui se produit au sein des sites appartenant à des constructeurs américains.
L’UAW y dispose d’une véritable influence qui permet d’obtenir des améliorations sociales. Une session de négociation eut lieu en 2015 entre les 3 plus gros constructeurs américains et le Syndicat UAW. Pour une durée de 4 ans. Il prévoit une revalorisation des salaires en fonction du degré d’ancienneté. L’accord prévoit un salaire de 17 à 22 dollars pour les salariés issus d’agences d’intérim. Le salaire moyen au sein de ces fabricants augmentent pour passer de 47 à 56 dollars en moyenne pour Fiat-Chrysler, de 57 à 60 dollars pour Ford et 55 et 60 pour Générale Electric. Le coût du travail horaire pour les fabricants américains se situe à l’issue des négociations au-dessus du seuil de 50 dollars pour l’ensemble des fabricants automobiles (Américains ou internationaux) présents sur le territoire américain.
L’accord obtenu par l’UAW permet d’améliorer la condition des salariés mais augmente le coût de production des véhicules, à cause des rémunérations et des prestations sociales, sur le territoire américain, mais permet en contrepartie le recours à l’intérim. Le corollaire de cet accord est de rendre plus nécessaire une homogénéisation des frais de production sur le territoire américain pour les constructeurs. L’objectif pour l’UAW est de parvenir à la création de syndicat afin d’étendre son influence.

Une guerre de l’information non dénuée de contradictions
Le discours fait par les parties en présence contre le groupe Nissan fait usage des trois angles d’attaque de la rhétorique :
- Le Pathos : Le discours fait usage de l’affect pour convaincre : « Le groupe Nissan fait preuve de discrimination en refusant le droit des syndicats à se syndiquer. C’est de la ségrégation.»
- Le Logos : On fait usage d’arguments rationnels issus de la vérité : « les sites de productions de Nissan à travers le monde disposent de syndicats. Pourquoi en refuser aux Etats-Unis ? »
- L’Ethos : Il s’agit de faire appel aux valeurs dans lesquelles se reconnaissent les parties prenantes. « Allons-nous laisser l’avènement de citoyens de seconde classe ? »

La force de l’UAW a été aussi de trouver des alliés à l’international ainsi qu’auprès de publics différents en prenant pour cible le groupe Nissan ou ses partenaires. Cette tactique permet d’accroître les enjeux et l’ampleur de la polémique. A partir d’une contestation locale, l’image globale du groupe Nissan est menacée. Mais il est cependant difficile d’évaluer le rapport e force entre les ouvriers pro et anti-syndicat. La situation est figée dans la mesure où les responsables locaux de l’UAW refusent d’organiser une élection sur le site de Canton tant que la direction ne laissera pas le syndicat faire campagne au sein de l’usine. Ce qui permet à l’UAW et ses alliés de poursuivre l’offensive.
L’assertion selon laquelle L’UAW reflète fidèlement la volonté des salariés a été toutefois démentie à plusieurs occasions :
Le syndicat a tenté à deux reprises d’organiser des élections dans une usine de Nissan à Smyrne, d’abord en juillet 1989, puis en octobre 2001. Ces deux élections ont donné lieu à un rejet de la part des employés.
Les résultats de négociations menées en novembre 2015 par les négociateurs de l’UAW avec les responsables de Fiat-Chrysler ont été rejetés par l’ensemble des salariés appartenant au Groupe Fiat à une majorité de 65%. Un autre accord avec le groupe Ford négocié par le syndicat à la même période a été rejeté par les salariés du groupe Ford à une majorité de 52 %. La présence d’un syndicat ne signifie nullement que ce dernier soit le représentant exclusif et fidèle des aspirations des salariés.
Le syndicat UAW s’est d’ailleurs heurté à la concurrence d’autres organisations, à l’instar de l’American Council of Employee qui s’oppose à la présence d’un syndicat sur le site de Volkswagen à Chattanooga. Dans le même ordre d’idées, des salariés ont arboré à Canton des t-shirt hostiles à l’UAW avec le slogan : « Si tu veux un syndicat, va à Detroit. »
D’autres part, si l’UAW est alliée à au NAACP pour établir un syndicat à Canton, le groupe Nissan collabore lui aussi avec cette association. Le groupe a contribué au financement des conventions et les manifestations de cette association pendant cinq ans entre 2011 et 2016. En 2013, Nissan a subventionné les commémorations du 50ème anniversaire du discours de Martin Luther King lors de la marche sur Washington. Une dirigeante de la NAACP, Myrlie Evers, avait visité le site de Canton et a félicité le travail de Nissan en matière de responsabilité sociale des entreprises. Nissan a sponsorisé une cérémonie au cimetière militaire d’Arlington à la mémoire de Medgar Evers, grande figure des droits civiques et époux de Myrlie Evers. Il est donc paradoxal qu’une organisation dénonce les pratiques managériales d’une entreprise qui en cofinance les évènements. Les accusations de la NAACP sont donc décrédibilisées.

Quel avenir pour le site de Nissan ?
La situation se réduit à l’alternative suivante : soit Nissan finit par organiser une élection sur le site de Nissan, soit le groupe persiste dans son refus, ce qui met le syndicat UAW en une situation financière et politique encore plus délicate. En décembre 2015, le National Relation Board a condamné Nissan pour avoir voulu empêcher ses salariés d’arborer de T-Shirt au couleur de l’UAW. Une première victoire pour l’UAW. La multiplicité des acteurs engagés et la constance des attaques contre Nissan à travers le monde, amènera le groupe Nissan à clarifier cette situation définitivement, en organisant une élection. Cette campagne pour la défense des droits des salariés comporte-t-elle des enjeux géoéconomiques cachés ? La volonté avérée par la direction de l’UAW de cibler des groupes étrangers (européens ou asiatiques) relève-t-elle du pur hasard ? Certains s’interrogent à ce propos et évoquent une autre lecture de l’évènement en l’assimilant à un épisode d’une guerre économique entre les Etats-Unis et le reste du monde sur le marché de l’automobile.

Georges Bonfils