Les Hawaiiens défient le lobby agrochimique
Un mouvement de contestation a éclaté à Kauai en 2013, lorsque les citoyens ont réclamé la promulgation d’une loi visant à diminuer l’opacité des grands groupes du secteur de l’Agrochimie. S’en est suivit une affaire de portée mondiale sur fond de guerre de l’information.
Cadrage contextuel
Maui et Kauai sont deux îles de l’archipel d’Hawaï, dont le climat idéal pour l’agriculture permet de réaliser jusqu’à quatre récoltes par an. Ce confort environnemental à peu à peu amené les grandes entreprises d’agrochimie (Dow, Dupont, Syngenta, BASF, Monsanto) à venir s’implanter dans la région. Au total, ce sont près de 6000 Hectares de terrain qui leur ont été accordé par le ministère de l’agriculture américain dans le but de tester leurs futurs produits, notamment les OGM. De grandes quantités de pesticide sont ainsi vaporisées sur les zones en question afin de garantir le succès des expérimentations.
Après une étude menée par des médecins des deux îles, une polémique née de la suspicion de pollution des zones habitées par le déplacement des particules dans la poussière au gré du vent. De plus le département Hawaiien de l’Agriculture confirme que les quantités de pesticide vaporisées sont plus élevées que dans les autres Etats de la ceinture agricole des USA. L’impact supposé de ces pesticides sur la santé des habitants, et particulièrement des nouveau-nés est présenté comme néfaste.
Une mobilisation massive des habitants de l’île de Kauai se traduit par de grandes manifestations hostiles aux expérimentations. La situation aboutit en 2013 à un projet de loi, porté par Gary Hooser, dont la promulgation dépendrait d’un referendum.
Cette loi prévoit :
- Une obligation de publication des pesticides utilisés
- Une obligation de précision des quantités déversées
- La création d’une zone tampon entre les zone d’expérimentation et l’espace public
Les enjeux financiers au centre de cette affaire vont au fil du temps transformer le débat en guerre de l’information.
Déroulement et analyse de la polémique
Cet affrontement constitue une illustration pertinente de la forme particulière de rapport de force type « faible contre Fort ». Dans ce rapport, le « faible » dispose de levier d’influence et de moyens financiers moindres que son adversaire, mais peu profiter de l’empathie que son statut peu lui conférer, d’autant que les arguments moraux sont facilement opposables aux grandes firmes multinationales en temps de crise économique (rappelons que l’affaire date de 2013).
D’autre part, le(s) fort(s) a plus à perdre de cette polémique. Par crainte qu’une forme de jurisprudence apparaisse et que d’autres Etats soient en position d’exiger la mise en place de mesures similaires, les groupes agrochimiques vont investir massivement dans une campagne de lutte contre la promulgation de la loi.
Lors des délibérations du conseil de l’île, les deux camps vont donc s’appuyer sur deux stratégies bien distinctes :
- Les promoteurs de la loi : Rhétorique émotionnelle basée sur la protection des enfants d’une part, sur une certaine expertise médicale d’autre part. De nombreux parents d’enfants victimes de maladies témoignent durant plusieurs mois, ce qui provoque une vague de sympathie pour le mouvement. L’initiative est ainsi soutenue par diverses associations telles que « Farmers Union United »
- Les opposants à la loi : Rhétorique économique basée sur le fait que les entreprises agrochimiques sont les premiers générateurs d’emplois de l’île. Le spectre du chômage est ainsi brandi dans plusieurs opérations médiatiques, à la télévision comme à la radio. Parallèlement, le lobby de l’Agrochimie s’appuie sur son propre réseau d’influence local, composé de la plupart des responsables politiques de l’île, dont les campagnes sont financées en grandes parties par l’industrie agrochimique, mais aussi d’associations qui se chargent de diffuser d’autres formes d’expertises soulignant l’absence de preuves d’une relation de cause à effet entre la vaporisation de leurs produits et les maladies infantiles.
Concernant l’éventuel responsabilité des pesticides dans la recrudescence des maladies infantile, « nous ne connaissons aucune source de statistiques sanitaires crédibles pour appuyer ces affirmations », explique Bennette Misalucha, directrice exécutive de l’Association sur l’amélioration des cultures à Hawaii.
Porté par la sympathie de l’opinion public, le referendum tourne malgré tout en faveur de la loi, qui est définitivement adopté par le Parlement de l’île en Décembre 2013.
Cependant, les groupes d’Agrochimie, menés par Syngenta, entament presque instantanément des poursuites contre l’île de Kauai, du fait que cette ordonnance règlemente « des activités qui ne relèvent pas de la compétence des comtés d’Hawaï. Ces activités sont déjà réglementées par des organismes gouvernementaux en vertu des lois étatiques et fédérales » (Paul Minehard, porte-parole de Syngenta). L’affaire est donc confiée à la justice fédérale américaine et la loi sera finalement invalidée.
Quelles leçons peut-ont tirer de cette affaire ?
L’intérêt de cette histoire réside dans la manière pour un groupe de citoyens, soutenu par quelques acteurs de la société civile, d’aborder une guerre de l’information face à une industrie disposant de moyens financiers lui conférant une influence considérable. Le « faible » a ainsi su tirer profit du contexte socio-économique afin d’attiser la défiance envers des multinationales, tout en s’appropriant la dimension morale débat par ses considérations protectrices vis-à-vis des enfants.
Leurs exigences sont restées dans un cadre acceptable pour les multinationales puisqu’elles ne restreignaient pas, dans un premier temps, leurs activités. Le mouvement ne s’est ainsi pas déclaré « anti-OGM » mais revendiqué « le droit de savoir ». Le simple fait de refuser la demande du « faible » mettait, de fait, le « fort » en porte-à-faux vis-à-vis de l’opinion public (le nerf de la guerre dans cette affaire). C’est donc par une meilleure stratégie que le « faible » a triomphé face au « fort ».
La bataille de l’information a donc été gagnée par le « faible », mais l’argument juridique a permis au Lobby agrochimique de gagner la guerre d’Hawaï.
Guillaume Beaume
« Cash Investigation : produits chimiques, nos enfants en danger »
Un mouvement de contestation a éclaté à Kauai en 2013, lorsque les citoyens ont réclamé la promulgation d’une loi visant à diminuer l’opacité des grands groupes du secteur de l’Agrochimie. S’en est suivit une affaire de portée mondiale sur fond de guerre de l’information.
Cadrage contextuel
Maui et Kauai sont deux îles de l’archipel d’Hawaï, dont le climat idéal pour l’agriculture permet de réaliser jusqu’à quatre récoltes par an. Ce confort environnemental à peu à peu amené les grandes entreprises d’agrochimie (Dow, Dupont, Syngenta, BASF, Monsanto) à venir s’implanter dans la région. Au total, ce sont près de 6000 Hectares de terrain qui leur ont été accordé par le ministère de l’agriculture américain dans le but de tester leurs futurs produits, notamment les OGM. De grandes quantités de pesticide sont ainsi vaporisées sur les zones en question afin de garantir le succès des expérimentations.
Après une étude menée par des médecins des deux îles, une polémique née de la suspicion de pollution des zones habitées par le déplacement des particules dans la poussière au gré du vent. De plus le département Hawaiien de l’Agriculture confirme que les quantités de pesticide vaporisées sont plus élevées que dans les autres Etats de la ceinture agricole des USA. L’impact supposé de ces pesticides sur la santé des habitants, et particulièrement des nouveau-nés est présenté comme néfaste.
Une mobilisation massive des habitants de l’île de Kauai se traduit par de grandes manifestations hostiles aux expérimentations. La situation aboutit en 2013 à un projet de loi, porté par Gary Hooser, dont la promulgation dépendrait d’un referendum.
Cette loi prévoit :
- Une obligation de publication des pesticides utilisés
- Une obligation de précision des quantités déversées
- La création d’une zone tampon entre les zone d’expérimentation et l’espace public
Les enjeux financiers au centre de cette affaire vont au fil du temps transformer le débat en guerre de l’information.
Déroulement et analyse de la polémique
Cet affrontement constitue une illustration pertinente de la forme particulière de rapport de force type « faible contre Fort ». Dans ce rapport, le « faible » dispose de levier d’influence et de moyens financiers moindres que son adversaire, mais peu profiter de l’empathie que son statut peu lui conférer, d’autant que les arguments moraux sont facilement opposables aux grandes firmes multinationales en temps de crise économique (rappelons que l’affaire date de 2013).
D’autre part, le(s) fort(s) a plus à perdre de cette polémique. Par crainte qu’une forme de jurisprudence apparaisse et que d’autres Etats soient en position d’exiger la mise en place de mesures similaires, les groupes agrochimiques vont investir massivement dans une campagne de lutte contre la promulgation de la loi.
Lors des délibérations du conseil de l’île, les deux camps vont donc s’appuyer sur deux stratégies bien distinctes :
- Les promoteurs de la loi : Rhétorique émotionnelle basée sur la protection des enfants d’une part, sur une certaine expertise médicale d’autre part. De nombreux parents d’enfants victimes de maladies témoignent durant plusieurs mois, ce qui provoque une vague de sympathie pour le mouvement. L’initiative est ainsi soutenue par diverses associations telles que « Farmers Union United »
- Les opposants à la loi : Rhétorique économique basée sur le fait que les entreprises agrochimiques sont les premiers générateurs d’emplois de l’île. Le spectre du chômage est ainsi brandi dans plusieurs opérations médiatiques, à la télévision comme à la radio. Parallèlement, le lobby de l’Agrochimie s’appuie sur son propre réseau d’influence local, composé de la plupart des responsables politiques de l’île, dont les campagnes sont financées en grandes parties par l’industrie agrochimique, mais aussi d’associations qui se chargent de diffuser d’autres formes d’expertises soulignant l’absence de preuves d’une relation de cause à effet entre la vaporisation de leurs produits et les maladies infantiles.
Concernant l’éventuel responsabilité des pesticides dans la recrudescence des maladies infantile, « nous ne connaissons aucune source de statistiques sanitaires crédibles pour appuyer ces affirmations », explique Bennette Misalucha, directrice exécutive de l’Association sur l’amélioration des cultures à Hawaii.
Porté par la sympathie de l’opinion public, le referendum tourne malgré tout en faveur de la loi, qui est définitivement adopté par le Parlement de l’île en Décembre 2013.
Cependant, les groupes d’Agrochimie, menés par Syngenta, entament presque instantanément des poursuites contre l’île de Kauai, du fait que cette ordonnance règlemente « des activités qui ne relèvent pas de la compétence des comtés d’Hawaï. Ces activités sont déjà réglementées par des organismes gouvernementaux en vertu des lois étatiques et fédérales » (Paul Minehard, porte-parole de Syngenta). L’affaire est donc confiée à la justice fédérale américaine et la loi sera finalement invalidée.
Quelles leçons peut-ont tirer de cette affaire ?
L’intérêt de cette histoire réside dans la manière pour un groupe de citoyens, soutenu par quelques acteurs de la société civile, d’aborder une guerre de l’information face à une industrie disposant de moyens financiers lui conférant une influence considérable. Le « faible » a ainsi su tirer profit du contexte socio-économique afin d’attiser la défiance envers des multinationales, tout en s’appropriant la dimension morale débat par ses considérations protectrices vis-à-vis des enfants.
Leurs exigences sont restées dans un cadre acceptable pour les multinationales puisqu’elles ne restreignaient pas, dans un premier temps, leurs activités. Le mouvement ne s’est ainsi pas déclaré « anti-OGM » mais revendiqué « le droit de savoir ». Le simple fait de refuser la demande du « faible » mettait, de fait, le « fort » en porte-à-faux vis-à-vis de l’opinion public (le nerf de la guerre dans cette affaire). C’est donc par une meilleure stratégie que le « faible » a triomphé face au « fort ».
La bataille de l’information a donc été gagnée par le « faible », mais l’argument juridique a permis au Lobby agrochimique de gagner la guerre d’Hawaï.
Guillaume Beaume
« Cash Investigation : produits chimiques, nos enfants en danger »