L’usage offensif de l’information par Bolloré Africa Logistics

De port en port, BAL est devenu omniprésent grâce à un maillage du continent sans équivalent avec une présence effective dans 45 pays en Afrique où sont reparties 250 filiales qui gèrent 7500 escales chaque année. BAL, c’est aussi un chiffre d’affaire d’environ 2,5 milliards permettant ainsi au groupe Bolloré de réaliser le quart de son chiffre d’affaires en Afrique.
Contrôlant seul ou en partenariat avec d’autres opérateurs, la manutention de 14 terminaux portuaires, auxquels on peut ajouter 25 ports secs, un réseau ferroviaire et routier important ainsi que des millions de mètres carrés de surface de stockage, Bolloré Africa Logistique. BAL a été créé en 2008 pour gérer les activités d’infrastructure, de transit et de logistique du groupe Bolloré sur le continent africain) s’est imposé comme le premier réseau intégré de logistique en Afrique où il s’est taillé un petit empire (exploitant une douzaine de terminaux à conteneurs) le long des côtes ouest-africaines. Son originalité stratégique inclus les infrastructures portuaires dans la chaîne lo-gistique, avec une méthode qui consiste à contrôler de bout en bout toute la chaîne de transport, qui va du port au destinataire final. Le tout, clairement accompagné par une vision commerciale expansionniste qui lui impose de se placer sur tous les appels d’offre de mise en concession lancés sur le continent africain.

Les outils classiques de l’influence
Encadré, d'un côté, par ses grands concurrents en terminaux de conteneurs (le français CMA CGM, le danois APMT, filiale de Møller-Maersk, l'italo-suisse MSC, Dubai Ports World, le phi-lippin ICTSI...) et, de l'autre, par les opérateurs de logistique, Bolloré Africa Logistique (BAL) ne joue donc pas tout à fait sur le même terrain ni avec les mêmes armes.
Outre la densité de son réseau de logistique intégrée et les qualités techniques des investissements réalisés dans les ports, la stratégie de BAL, pour renforcer sa position dominante et remporter des marchés sur le continent africain, s’est très souvent appuyé sur des liens politiques très forts et une puissante influence médiatique.
Le groupe Bolloré est le digne héritier des réseaux français en Afrique. Comme d’autres conglo-mérats, il bénéficie de l’appui des pouvoirs publics dans sa conquête des marchés sur le continent, le président de la République ou les ministres se transportant volontiers en Afrique pour jouer les lobbyistes auprès de leurs homologues.
Les stratégies d’influence de BAL est renforcé par l’action d’influents élites africaines ou fran-çaises qui sont recrutés comme administrateurs ou dirigeants opérationnels dans l’optique de flui-difier les relations avec les pouvoirs publics africains. Ainsi, parmi les administrateurs de BAL, on retrouve par exemple Claude Juimo Siewe Monthe, député camerounais du parti du Paul Biya, Denis Kessler, ancien président du Medef, ou encore Martine Koffi Studer, ancienne déléguée à la communication du gouvernement Konan Banny en Côte d’Ivoire ou même Dominique Laffont, dirigeant de BAL qui préside, quant à lui, le comité Afrique de l’Est du Medef.

L’arme de l’information
L’influence médiatique constitue également un autre type d’armes qu’utilise BAL pour compléter sa stratégie de domination. Le groupe Bolloré a pris position sur le champ de bataille de la com-munication, où il investit massivement depuis le début des années 2000. Contrôlant ainsi un arse-nal allant de la publicité (Euro RSCG) à la télévision (Direct 8), en passant par les sondages (CSA) et la presse gratuite (Matin plus, Direct soir), le groupe Bolloré peut donc assurer la propa-gation de messages maîtrisés de bout en bout, de la conception à la diffusion.
Accompagnant la conquête des marchés africains, le pôle médias multiplie donc les offensives de charme envers tout ce que le continent compte de « décideurs » importants et constitue ainsi une arme de choix en support aux activités y compris africaines du groupe Bolloré.

Une démarche offensive tous azimuts
Fort d’un « arsenal de guerre » composé de la qualité de ses offres (financières et techniques), de sa capacité d’investissement, des leviers d’influence (lobbyistes et média) savamment pilotés et des soutiens apportés au monde caritatif africains, BAL parvient toujours à remporter des marchés même quand il est battu. C’est le cas du Togo, par exemple, où le port de Lomé avait été attribué en 2001 à l’entreprise espagnole Progosa, dirigée par Jacques Dupuydauby. En 2009, la société espagnole est évincée pour une affaire de fraude fiscale et la gestion du port est alors immédiate-ment attribuée à BAL.
En Côte d’Ivoire, l’attribution du deuxième terminal à conteneurs du port d’Abidjan à l’industriel breton a fait couler beaucoup d’encre. Le premier terminal de la capitale économique ivoirienne a déjà été attribué en 2004 à BAL sous la forme d’un marché de gré à gré. Au moment de lancer l’appel d’offres pour le second terminal, l’objectif affiché par les autorités portuaires était "d’accroître la compétitivité du port par le jeu de la concurrence". Résultat : en 2013, les deux terminaux sont attribués au même opérateur.
Autre cas, celui du port de Conakry en Guinée. En 2008, Getma, une filiale de Necotrans, un groupe français spécialisé dans la logistique, obtient la concession du port de Conakry pour une durée de 25 ans, juste devant BAL. Le 10 mars 2011, le nouveau président élu Alpha Condé, envoie les forces de l’ordre pour déloger les employés de Getma, invoquant des défaillances dans la mise en œuvre du contrat avec la Guinée. Le lendemain, Vincent Bolloré, très proche de Condé finit par signer un contrat pour la gestion du port avec élargissement du périmètre de concession sans augmentation de la redevance.