Manipulation de l’information sur l’intervention des forces aériennes russes en Syrie

Contexte
A l’aube de l’automne 2015, la décision de la Russie de procéder à des opérations aériennes en Syrie surprend tous les observateurs et commentateurs par la rapidité de son déclenchement (1).
L’intervention du Président Russe à l’assemblée générale de l’ONU ne laisse aucun doute à ce sujet, le Président russe y affirme clairement la nécessité de « fournir une aide tous azimuts au gouvernement Syrien légal » (2).
Ce discours s’inscrit dans la lignée du « discours de Munich » prononcé le 10 février 2007, lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, véritable pierre angulaire du « Nouvel Ordre Multipolaire » Vladimir Poutine semble déterminé à faire entendre la voix de la Russie.
Contre toute attente, alors que la presse française depuis maintenant trois ans ne cesse d’informer la communauté internationale que le Kremlin s’apprête à lâcher Bachar el Assad (3) , que les Etats occidentaux dans leur grande majorité campent sur leur position, à savoir le départ de Bachar el Assad, les Russes prennent de court tant les services secrets américains que français sur la dimension du dispositif russe en Syrie et la détermination du Kremlin à soutenir l’Etat Syrien.
En effet, courant août 2015, la Maison Blanche s’était mise à parler de sortie « négociée » de la crise syrienne « C’est sûr, Moscou est prêt à lâcher Bachar », affirmait-elle en off. « Peut-être pas tout de suite, mais, disons dans six mois » précisait-elle. Le Kremlin jouait le jeu. « Nous ne sommes pas mariés avec Bachar », chuchotaient les officiels russes. Mais, à postériori, ce n’était que pour gagner du temps (4).

Le dénigrement par « les morts civils »
L’ambassade américaine confirme : les autorités russes envoient une requête demandant l’interdiction de survol d’avions de la coalition sur le territoire syrien (5). Quand Poutine dit quelque chose il le fait. La Russie semble confirmer sa volonté de reprendre son statut de puissance régionale et internationale.
S’empressant d’accuser Moscou les White Helmets (Casques Blancs) (6), organisation se disant humanitaire, publie sur Twitter, le 30 septembre 2015 (7) des photos de civils morts, d’enfants baignant dans une mare de sang, fustigeant les frappes russes en Syrie « 33 civils morts dont 3 enfants » (8) .
Cette offensive médiatique sensibilise la communauté internationale. Tant le ministère des affaires étrangères français, que les spécialistes de toutes parts (opposition russe comprise), se lèvent d’une seule voix pour affirmer que la Russie ne frappe pas Daesh mais l’opposition modérée, civils compris.
Dans une déclaration commune les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, le Qatar, la Turquie et le Royaume-Uni demandent expressément à la Russie de cesser de viser l’opposition modérée. L’Arabie Saoudite, pour sa part, exige de la Russie un arrêt pur et simple des opérations militaires (9).
Le service de presse de l’ONU relaye également ces informations, par le biais de son porte-parole Stéphane Dujarric « Selon les données des messages initiaux diffusés par de nombreux médias, réseaux sociaux et l’ONG White Helmets, près de 33 citoyens innocents auraient été victimes d’attaques dans la région de Homs » (10).
L’information circule vite et bien. En France, l’Express fait un article choc sur son site (11).
Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon est informé que la Russie effectue des frappes aériennes sur la ville de Homs et probablement sur d’autres lieux en Syrie, des civils sont à déplorés au nombre des victimes. Photos à l’appui.
Sauf que, contre toute attente:
- Les réseaux sociaux ont submergés leurs sites de témoignages de photos affirmant que les frappes russes auraient fait des morts parmi la population civile alors que les avions russes n’avaient pas encore décollés (12) .
- Les photos de civils tués par les bombardements d’avions russes et largement diffusés, dataient du 25 septembre 2015, soit 5 jours avant les bombardements qui n’avaient d’ailleurs pas encore commencés (13).

L’ONU ne valide pas la campagne de dénigrement
Farham Haq, autre porte-parole du secrétaire général de l’ONU, monte au créneau et nuance la situation : « Les récentes déclarations du service de presse de l’ONU affirmant que les frappes de l’aviation russe contre les positions de l’EI faisaient des morts parmi les civils syriens n’étaient fondées que sur les informations de médias et d’ONG » (14) .
L’ONG en question, les « white Helmets » précédemment appelés « Syria Civil Defense » n’ont pas été créés par les Syriens. C’est une ONG financée par le Royaume-Uni, les Etats Unis et le Conseil National Syrien (Organisation controversée qui travaille en sous-main avec le groupe radical Front al-Nostra filiale d’Al-Qaïda). « Les White Helmets diabolisent le gouvernement de Bachar et-Assad et encouragent une invasion étrangère directe » (15) .
A qui profite le crime ?
« La Russie fait l’objet d’une guerre de l’information » déclare Maria Zakharova porte-parole du ministère russe des affaires étrangères. Invitant les médias de vérifier leurs informations avant toute divulgation (16) .
« Quant aux informations diffusées par certains médias selon lesquelles……avant même le décollage de nos avions … nous sommes prêts à ces attaques médiatiques… Cependant cela ne signifie pas que nous ne devons pas prêter attention à ces informations ».
Vladimir Poutine lors d’une réunion du conseil Russe pour le développement de la société civile et les droits de l’homme.


Notes :
Ici le terme est repris pour désigner de façon plus générique la situation suivante : Mélange de guerre réelle (interventions militaires d’armées d’Etats) et de guerre informationnelle (Désinformation, manipulation de la presse et des réseaux sociaux) ayant comme acteurs les anciens blocs (USA, URSS) et les nouveaux (Chine et Moyen-Orient). Une guerre multipolaire dont l’enjeu n’est plus idéologique (comme la Guerre Froide) mais économique, voire religieux.
Sources :
(1) Agence Sputnik- Blog Vincent Jouvert « L’OBS » 2 Oct. 2015.
(2) Extrait du discours lors de la 70 ème session de l’AGNU-70- 25 sept -2 Oct. 2015.
(3) « Le JDD » du 14 décembre 2102, « Le figaro » du 23 Janvier 2103, « l’AFP »- France Info », mai 2015, « Le Monde » du 3 juin 2015.
(4) Vincent Jauvert- L’OBS.
(5) « U.S Embassy Syria@USE » 30 Septembre 2016.
(6) The White Helmets @SyriaCivilDef.
(7) « 1/ pic.twitter.com/5aYYSrwv2d) ».
(8) « Twitter@SyriaCicilDef-16:29-30sept2015 ».
(9) Agence Sputnik-. 17 :03-30 sept.2015.
(10) « U.S. Dept.of Fear@FearDept 18 :48- 30sept 2015 ».
(11) « lexpress.fr/actualité/monde/proche-moyen-orient/intervention-russe-en-syrie ».
(12) « AMNTPNN CTEWNH @KP_STESHIN ».
(13) « SMOD#2016@JeffMcIrish-16:59-30sept2015 ».
(14) Agence Sputnik 22 :02- 30 sept 2015.
(15) Vanessa Beeley ; Journaliste d’investigation interview pour l’agence Sputnik.
(16) Agence Sputnik – Conférence de Presse du 1 octobre 2015.