Le sable, une ressource essentielle non soupçonnée.
Il convient de définir le terme de guerre du sable et d’expliquer en quoi un rapport de force peut s’exercer entre puissances sur cette question du sable. La vague de « bétonnage systématique » qui a été entreprise depuis le 20ème siècle a érigé le sable comme une ressource essentielle dans le monde contemporain. En effet, le sable est un élément constituant du béton armé, lorsqu’il est mélangé au ciment. L’intérêt des constructeurs (entreprises privées et publiques) pour le béton armé, et donc pour le sable, s’explique par le fait que le béton armé permette de grandes performances techniques à un coût relativement bas. Ce matériau a également été plébiscité puisqu’il a semblé pendant très longtemps que le sable, son composant principal, était une ressource quasi infinie et en libre accès. Cependant, l’utilisation massive de sable pour la construction d’infrastructures, mais également à des fins d’agrandissement du territoire, a révélé que cette ressource n’était pas infinie. En moyenne, il faut 200 tonnes de sable pour construire une maison simple. Par ailleurs, il ne s’agit pas d’utiliser n’importe quel sable puisque seul le sable des fonds marins, amené par les vagues sur les plages ou dragué à la lisière des littoraux ou en haute mer, possède la granulosité nécessaire pour, associé avec le ciment, pouvoir constituer du béton armé. Cette particularité a renforcé le caractère essentiel du sable. Pour François-Bernard Huyghe, « la guerre économique, dans le sens employé en Intelligence économique, est l’effort que mène un État pour se procurer ou conserver des ressources rares, éventuellement en relation avec des acteurs publics. Définition à laquelle on peut s’accorder à condition qu’il soit précisé que l’effort en question vise à contrarier une volonté adverse et qu’il suppose un minimum d’agressivité. La guerre économique suppose une violence au moins cachée ou virtuelle – des instruments de contrainte : pas de guerre sans ravage. Pas de guerre non plus sans stratégie générale ». Les différents éléments composant cette définition de la guerre économique se retrouvent tout à fait dans ce cas de la guerre du sable en Asie du Sud-Est.
Un contexte géoéconomique marqué par l’expansionnisme.
Singapour est une puissance insulaire, une cité Etat en Asie du Sud-Est, d’une superficie de 714 km². Son territoire actuel se compose d’une soixantaine de petites îles s’étirant autour de l’île principale de Pulau Ujong. Ancienne colonie britannique établie en République en 1965, la cité Etat s’impose peu à peu comme une puissance phare de la région Asie du Sud-Est. Singapour se caractérise par une population cosmopolite en rapide croissance (du fait du fort rayonnement régional et mondial de Singapour) en perpétuelle construction. Les dernières décennies ont vu Singapour réfléchir à des manières de s’agrandir afin de pouvoir accueillir les populations attirées par son extraordinaire développement économique. En conséquence, la cité Etat est devenue le premier importateur mondial de sable. En 1965, la superficie de Singapour était de 527 km², puis de 674 km² en 1998. La république d’Asie du Sud voudrait atteindre les 834 km² d’ici quelques années. Dans ce rapport de force autour du sable, la Malaisie est un acteur de premier plan. Proche voisine de la cité Etat, la Malaisie s’étend sur un territoire de 329 750 km² et est un acteur phare de la communauté économique de la région Asie du Sud-Est. Autre acteur dans ce rapport de force, le Cambodge, d’une superficie de 181 035 km², est également très proche géographiquement de Singapour. Ce pays a connu un développement économique plus faible que Singapour et la Malaisie, ses revenus s’articulant essentiellement autour du tourisme et de la confection. Enfin, le dernier acteur impliqué dans cette guerre du sable est l’Indonésie, quatrième grand acteur dans la région Asie du Sud-Est, reliée à Singapour par le détroit de Malacca. L’Indonésie a la particularité d’être un pays transcontinental, comptabilisant à ce jour 17 508 îles.
La question du sable au cœur de l'affrontement.
A travers de la guerre du sable, l’Indonésie, la Malaisie, le Cambodge et Singapour sont engagés dans un rapport de force de nature principalement économique. Le sable s’est imposé comme une matière de première nécessité qui génère un volume d’échanges de plus de soixante-dix milliards de dollars américains sur les marchés internationaux. Trois dimensions sont à comprendre dans cette nature économique du rapport de force. Tout d’abord, puisque le sable s’est révélé être une ressource très importante et une ressource en voie de raréfaction, sa valeur est devenue considérable. Ainsi, les acteurs détenteurs de sable peuvent exercer une pression forte sur les acteurs cherchant à s’en procurer. Ensuite, dans la même perspective, du fait de la progressive raréfaction du matériau, les acteurs cherchant à se procurer du sable pour des besoins de construction ou d’expansion territoriale vont chercher à contourner les fournisseurs officiels et donc augmenter l’activité économique des marchés parallèles. Le rapport de force économique se joue ici dans l’enrichissement de l’économie de marché noir. Enfin, la troisième dimension économique à envisager est celle de l’impact environnemental induit par l’extraction de sable sur les plages ou dans les fonds marins. L’impact environnemental du sable est considérable, comme l’ont montré nombre de récentes études scientifiques. Mais au-delà du niveau écologique, cela a comme conséquence économique de fortes dépenses pour pallier aux problèmes causés par la disparition progressive du sable. Par ailleurs, cet impact environnemental affecte les potentialités touristiques des pays exportateurs de sable ou victimes de vol de sable. Pour un pays comme le Cambodge dont le tourisme est une des activités principales, cela a des conséquences dramatiques au niveau économique.
La résistance des pays voisins de Singapour.
Le terme « guerre du sable » dans le contexte de l’Asie du Sud-Est renvoie donc à l’attitude de Singapour face à cette ressource qui se raréfie progressivement. Cherchant à faire face à son défi de population, Singapour souhaite agrandir son territoire. Pour y pourvoir, Singapour a utilisé deux stratégies différentes. Dans un premier temps, peu d’Etats ou d’organisations ne s’étant rendu compte de l’importance et surtout de la progressive raréfaction du sable, Singapour allait librement « draguer » du sable dans les environs de son littoral, comme le montre le documentaire « Le Sable, Enquête sur une Disparition ». Ce faisant, la République ne commettait aucune infraction puisqu’aucune régulation n’existait à ce sujet. Ses voisins, comme l’Indonésie, exportaient sans aucune barrière leur sable à Singapour. Cependant, la technique de dragage utilisée par Singapour a eu de graves conséquences sur les territoires de ses voisins. L’Indonésie a alors vu disparaître vingt-cinq petites îles de son territoire, dont sept îles près de l’île capitale Bornéo. Par ailleurs, ces exportations massives dépourvues de régulations ont également commencé à transformer les paysages littoraux d’autres îles de la région. Ce phénomène a globalement touché les puissances malaisiennes, indonésiennes et cambodgiennes. En conséquence, la réaction des pays voisins a été d’interdire à Singapour de poursuivre ses activités d’importation de sable. Ce revirement de situation correspond à une prise de conscience plus ou moins mondiale de l’importance du sable en tant que matière première. A partir de ce moment-là (2010), Singapour a opté pour un changement de stratégie. Auparavant assez transparente sur ses activités, la cité-Etat, qui ne peut pas se passer de sable, a commencé à s’en procurer en contournant les voies légales. Ainsi, il est maintenant de notoriété publique que le gouvernement de la République de Singapour, en partenariat avec une puissante mafia locale, drague illégalement du sable sur les territoires de ses puissances voisines, et tout particulièrement au Cambodge. C’est l’ONG Global Witness, une organisation écologique, qui a découvert la nouvelle approche adoptée par Singapour dans ce rapport de force.
Conclusion.
Dans ce rapport de force, il semble difficile de déterminer qui est vainqueur, qui a perdu la guerre du sable. Au premier abord, Singapour semble avoir perdu puisque son accès quasi libre et peu coûteux au sable lui a été retiré à la suite de la découverte des conséquences de ces exportations. Cependant, la suspension du transfert du sable suite à la réaction de la Malaisie, de l’Indonésie et du Cambodge n’a pas arrêté Singapour dans sa course au sable puisque la cité-Etat a maintenant établi des réseaux parallèles pour se procurer cette matière de première nécessité. En conclusion, aucun des acteurs n’a vraiment perdu ou gagné, et le rapport de force est loin d’être résolu. Ce qui est à noter est l’attitude forcenée de Singapour sur ce sujet, la cité-Etat ne peut pas se passer de sable, car c’est une ressource vitale pour son territoire. Au-delà des perspectives économiques que ce phénomène induit, il est particulièrement intéressant en ce que cette guerre semble annoncer pour le futur : de plus en plus d’affrontements sur des questions de ressources.
Il convient de définir le terme de guerre du sable et d’expliquer en quoi un rapport de force peut s’exercer entre puissances sur cette question du sable. La vague de « bétonnage systématique » qui a été entreprise depuis le 20ème siècle a érigé le sable comme une ressource essentielle dans le monde contemporain. En effet, le sable est un élément constituant du béton armé, lorsqu’il est mélangé au ciment. L’intérêt des constructeurs (entreprises privées et publiques) pour le béton armé, et donc pour le sable, s’explique par le fait que le béton armé permette de grandes performances techniques à un coût relativement bas. Ce matériau a également été plébiscité puisqu’il a semblé pendant très longtemps que le sable, son composant principal, était une ressource quasi infinie et en libre accès. Cependant, l’utilisation massive de sable pour la construction d’infrastructures, mais également à des fins d’agrandissement du territoire, a révélé que cette ressource n’était pas infinie. En moyenne, il faut 200 tonnes de sable pour construire une maison simple. Par ailleurs, il ne s’agit pas d’utiliser n’importe quel sable puisque seul le sable des fonds marins, amené par les vagues sur les plages ou dragué à la lisière des littoraux ou en haute mer, possède la granulosité nécessaire pour, associé avec le ciment, pouvoir constituer du béton armé. Cette particularité a renforcé le caractère essentiel du sable. Pour François-Bernard Huyghe, « la guerre économique, dans le sens employé en Intelligence économique, est l’effort que mène un État pour se procurer ou conserver des ressources rares, éventuellement en relation avec des acteurs publics. Définition à laquelle on peut s’accorder à condition qu’il soit précisé que l’effort en question vise à contrarier une volonté adverse et qu’il suppose un minimum d’agressivité. La guerre économique suppose une violence au moins cachée ou virtuelle – des instruments de contrainte : pas de guerre sans ravage. Pas de guerre non plus sans stratégie générale ». Les différents éléments composant cette définition de la guerre économique se retrouvent tout à fait dans ce cas de la guerre du sable en Asie du Sud-Est.
Un contexte géoéconomique marqué par l’expansionnisme.
Singapour est une puissance insulaire, une cité Etat en Asie du Sud-Est, d’une superficie de 714 km². Son territoire actuel se compose d’une soixantaine de petites îles s’étirant autour de l’île principale de Pulau Ujong. Ancienne colonie britannique établie en République en 1965, la cité Etat s’impose peu à peu comme une puissance phare de la région Asie du Sud-Est. Singapour se caractérise par une population cosmopolite en rapide croissance (du fait du fort rayonnement régional et mondial de Singapour) en perpétuelle construction. Les dernières décennies ont vu Singapour réfléchir à des manières de s’agrandir afin de pouvoir accueillir les populations attirées par son extraordinaire développement économique. En conséquence, la cité Etat est devenue le premier importateur mondial de sable. En 1965, la superficie de Singapour était de 527 km², puis de 674 km² en 1998. La république d’Asie du Sud voudrait atteindre les 834 km² d’ici quelques années. Dans ce rapport de force autour du sable, la Malaisie est un acteur de premier plan. Proche voisine de la cité Etat, la Malaisie s’étend sur un territoire de 329 750 km² et est un acteur phare de la communauté économique de la région Asie du Sud-Est. Autre acteur dans ce rapport de force, le Cambodge, d’une superficie de 181 035 km², est également très proche géographiquement de Singapour. Ce pays a connu un développement économique plus faible que Singapour et la Malaisie, ses revenus s’articulant essentiellement autour du tourisme et de la confection. Enfin, le dernier acteur impliqué dans cette guerre du sable est l’Indonésie, quatrième grand acteur dans la région Asie du Sud-Est, reliée à Singapour par le détroit de Malacca. L’Indonésie a la particularité d’être un pays transcontinental, comptabilisant à ce jour 17 508 îles.
La question du sable au cœur de l'affrontement.
A travers de la guerre du sable, l’Indonésie, la Malaisie, le Cambodge et Singapour sont engagés dans un rapport de force de nature principalement économique. Le sable s’est imposé comme une matière de première nécessité qui génère un volume d’échanges de plus de soixante-dix milliards de dollars américains sur les marchés internationaux. Trois dimensions sont à comprendre dans cette nature économique du rapport de force. Tout d’abord, puisque le sable s’est révélé être une ressource très importante et une ressource en voie de raréfaction, sa valeur est devenue considérable. Ainsi, les acteurs détenteurs de sable peuvent exercer une pression forte sur les acteurs cherchant à s’en procurer. Ensuite, dans la même perspective, du fait de la progressive raréfaction du matériau, les acteurs cherchant à se procurer du sable pour des besoins de construction ou d’expansion territoriale vont chercher à contourner les fournisseurs officiels et donc augmenter l’activité économique des marchés parallèles. Le rapport de force économique se joue ici dans l’enrichissement de l’économie de marché noir. Enfin, la troisième dimension économique à envisager est celle de l’impact environnemental induit par l’extraction de sable sur les plages ou dans les fonds marins. L’impact environnemental du sable est considérable, comme l’ont montré nombre de récentes études scientifiques. Mais au-delà du niveau écologique, cela a comme conséquence économique de fortes dépenses pour pallier aux problèmes causés par la disparition progressive du sable. Par ailleurs, cet impact environnemental affecte les potentialités touristiques des pays exportateurs de sable ou victimes de vol de sable. Pour un pays comme le Cambodge dont le tourisme est une des activités principales, cela a des conséquences dramatiques au niveau économique.
La résistance des pays voisins de Singapour.
Le terme « guerre du sable » dans le contexte de l’Asie du Sud-Est renvoie donc à l’attitude de Singapour face à cette ressource qui se raréfie progressivement. Cherchant à faire face à son défi de population, Singapour souhaite agrandir son territoire. Pour y pourvoir, Singapour a utilisé deux stratégies différentes. Dans un premier temps, peu d’Etats ou d’organisations ne s’étant rendu compte de l’importance et surtout de la progressive raréfaction du sable, Singapour allait librement « draguer » du sable dans les environs de son littoral, comme le montre le documentaire « Le Sable, Enquête sur une Disparition ». Ce faisant, la République ne commettait aucune infraction puisqu’aucune régulation n’existait à ce sujet. Ses voisins, comme l’Indonésie, exportaient sans aucune barrière leur sable à Singapour. Cependant, la technique de dragage utilisée par Singapour a eu de graves conséquences sur les territoires de ses voisins. L’Indonésie a alors vu disparaître vingt-cinq petites îles de son territoire, dont sept îles près de l’île capitale Bornéo. Par ailleurs, ces exportations massives dépourvues de régulations ont également commencé à transformer les paysages littoraux d’autres îles de la région. Ce phénomène a globalement touché les puissances malaisiennes, indonésiennes et cambodgiennes. En conséquence, la réaction des pays voisins a été d’interdire à Singapour de poursuivre ses activités d’importation de sable. Ce revirement de situation correspond à une prise de conscience plus ou moins mondiale de l’importance du sable en tant que matière première. A partir de ce moment-là (2010), Singapour a opté pour un changement de stratégie. Auparavant assez transparente sur ses activités, la cité-Etat, qui ne peut pas se passer de sable, a commencé à s’en procurer en contournant les voies légales. Ainsi, il est maintenant de notoriété publique que le gouvernement de la République de Singapour, en partenariat avec une puissante mafia locale, drague illégalement du sable sur les territoires de ses puissances voisines, et tout particulièrement au Cambodge. C’est l’ONG Global Witness, une organisation écologique, qui a découvert la nouvelle approche adoptée par Singapour dans ce rapport de force.
Conclusion.
Dans ce rapport de force, il semble difficile de déterminer qui est vainqueur, qui a perdu la guerre du sable. Au premier abord, Singapour semble avoir perdu puisque son accès quasi libre et peu coûteux au sable lui a été retiré à la suite de la découverte des conséquences de ces exportations. Cependant, la suspension du transfert du sable suite à la réaction de la Malaisie, de l’Indonésie et du Cambodge n’a pas arrêté Singapour dans sa course au sable puisque la cité-Etat a maintenant établi des réseaux parallèles pour se procurer cette matière de première nécessité. En conclusion, aucun des acteurs n’a vraiment perdu ou gagné, et le rapport de force est loin d’être résolu. Ce qui est à noter est l’attitude forcenée de Singapour sur ce sujet, la cité-Etat ne peut pas se passer de sable, car c’est une ressource vitale pour son territoire. Au-delà des perspectives économiques que ce phénomène induit, il est particulièrement intéressant en ce que cette guerre semble annoncer pour le futur : de plus en plus d’affrontements sur des questions de ressources.
Anne-Laure Dall’Orso