Les relations entre le Niger et Areva sur la question de l’exploitation des mines d’uranium

L’uranium, une ressource essentielle et stratégique

Depuis une dizaine d’années l’offre en minerai d’uranium est bien supérieure à la demande. Cela a pour conséquence une baisse du cours et, partant, de la rentabilité des mines. Certaines sont désormais exploitées à perte, le coût d’extraction étant supérieur au prix de vente. Ce phénomène, accentué par l’arrêt quasi total du parc nucléaire japonais, a pu être limité dans ses effets par le passé au moyen de contrats à long terme, fixant de manière relativement stable le coût d’achat du minerai par les exploitants de centrales aux producteurs. Toutefois, le marché étant devenu de plus en plus instable, les entreprises ont de moins en moins recours à ce type de contrat. Les équilibres économiques et politiques entre les divers acteurs de l’uranium, depuis les pays exploitants jusqu’aux utilisateurs finaux sont donc de plus en plus précaires. Or, l’uranium est une ressource stratégique et vitale pour l’ensemble des acteurs de son industrie. Tant pour les producteurs, qui se servent de leur sous-sol riche en uranium comme moyen de développer leur économie et de faire pencher le rapport de force en leur faveur, que pour les utilisateurs de la ressource dont dépend l’indépendance énergétique et la préservation de leur statut.

Des acteurs aux intérêts à priori clairement définis

La France et Areva
La question de l’uranium est, probablement plus qu’ailleurs, essentielle en France. 75% de la production d’électricité française est issue du nucléaire, sans oublier que la force de dissuasion nucléaire est un élément fondateur de la puissance française dans le monde ; c’est ce qui permet, entre autres, à la France de préserver un statut de grande puissance.
L’intérêt de la France est ainsi de préserver cette source d’approvisionnement essentielle sans pour autant sacrifier son indépendance énergétique. Le Niger n’est en effet pas son seul fournisseur en uranium.  Areva, à l’instar de nombreux acteurs de l’industrie nucléaire, n’est pas dans une phase de croissance économique, mais cherche plutôt à maintenir son activité et son statut de leader mondial en matière de nucléaire.  L’entreprise subit d’une part les conséquences de la baisse du cours de l’uranium, qui met en danger l’ensemble de son activité mines, présentant une part importante de son CA (16%), et d’autre part l’évolution de l’opinion publique qui tend à critiquer le nucléaire, phénomène accentué par l’incident de Fukushima et le regain de forme des activistes écologiques à l’occasion de la CoP21.

Le Niger est son président
Le Niger, ancienne colonie avec laquelle la France a su maintenir de bonnes relations, à la faveur notamment d’une décolonisation pacifique, cherche à profiter de ses importantes ressources minières afin de développer son économie.
Cependant, s’intéresser au Niger et tenter d’en analyser la politique en matière d’uranium, c’est avant tout comprendre qu’aujourd’hui, le Niger c’est plutôt son Président Mahamadou Issoufou. Les intérêts de ce dernier primant souvent sur ceux de son pays.  Or, l’intérêt de Mahamadou Issoufou est tout d’abord de rester au pouvoir. La perspective des élections qui auront lieu en 2016 a ainsi fait de la question de l’uranium un point central de la campagne pour les présidentielles.

Un rapport de forces économique marqué par des impératifs politiques 

L’affrontement opposant le Niger d’une part et Areva et la France d’autre part est avant tout de nature économique. Le cœur du rapport de force réside dans la capacité qu’auront chacune des parties à tirer un avantage économique et stratégique de la gestion de la ressource que constitue l’uranium.
Toutefois, la nature actuelle des relations entre la France et le Niger permet également aux deux pays de développer des positions régionales communes, notamment au regard des questions sécuritaires. Nous avons ainsi pu nous apercevoir à la faveur du conflit au Mali, pays voisin, que le Niger est et doit rester un partenaire majeur de la France dans le Sahel et en Afrique de l’Ouest. Ce pays constitue un relai local d’accroissement de puissance et d’influence pour la France, qui voit le Niger comme un point d’entrée majeur dans la région.
La question des équilibres politiques est donc également bien présente.

La remise en cause du statu quo par la stratégie offensive du président nigérien

La stratégie initiale d’Areva : « Wait and hope for better days »
Areva exploite deux mines au Niger et dispose déjà des droits d’exploitation sur une troisième. Les deux mines en cours d’exploitation sont cependant en fin de vie et ne sont plus rentables depuis longtemps. Areva a fait le choix de les laisser mourir doucement plutôt que de les fermer, certainement afin de pouvoir montrer à tous que l’entreprise se soucie du développement économique local et contrecarrer ainsi les campagnes de communication et d’influence d’un certain nombre d’ONG, notamment américaines telles Greenpeace, très actives dans les milieux dirigeants et qui tentent de diaboliser Areva.
La troisième mine, Imouraren, n’est pas encore exploitée. Le gisement, bien que d’une faible teneur en uranium, est très vaste. Il aurait ainsi une capacité de production de l’ordre de 2 millions de tonnes d’uranium, soit l’équivalent de la capacité actuelle de production du Niger.
La stratégie d’Areva est ainsi de préserver ses droits d’exploitation sur cette troisième mine, dans l’attente d’une remontée des cours de l’uranium suffisante, tout en conservant une image de marque positive, déjà très bonne auprès des nigériens, en accompagnant la fin de l’activité des deux mines historiques. L’entreprise disposant par ailleurs d’alternatives à l’exploitation, extrêmement coûteuses, de cette nouvelle mine au Niger, elle peut se permettre de mettre en sommeil les mines qu’elle exploite historiquement dans le pays, à condition que cela ne lui coûte pas trop cher. Elle possède en effet d’autres mines, notamment au Kazakhstan, dont l’exploitation pourrait permettre de satisfaire ses contrats d’approvisionnement et les besoins en Uranium de la France ; et ce à un coût moindre.

Un bras de fer à l’initiative d’Issoufou, qui cherche à conforter son assise électorale
Dès son élection en mars 2011, Mahamadou Issoufou a cherché à mettre en place son programme électoral qui incluait, outre des promesses concernant l’augmentation du niveau de vie des nigériens et l’amélioration des infrastructures du pays, la renégociation des accords avec les entreprises étrangères afin de tirer le meilleur parti possible des ressources minières.
Fin connaisseur de l’industrie minière de manière générale et d’Areva en particulier, il en a été l’un des dirigeants au Niger, il a entamé un bras de fer avec cette entreprise afin de renégocier les contrats d’exploitation des mines qu’elle possède dans le pays. Cela inclut, outre une augmentation des redevances minières, la remise à plat de la fiscalité appliquée aux grands groupes miniers internationaux.
Sa marge de manœuvre est toutefois limitée par l’importance de l’industrie minière au Niger, qui représente un peu moins de 10% du PIB, et par le poids économique du premier acteur de cette industrie. Les conséquences d’un départ d’Areva peuvent être catastrophique pour l’économie locale car, des employés locaux d’Areva aux commerçants, nombreux sont ceux qui ont intérêt à ce qu’Areva et ses cadres occidentaux au fort pouvoir d’achat restent dans le pays.
L’intérêt, électoral à n’en pas douter, d’Issoufou, est donc bien de tirer le maximum de la volonté d’Areva de rester au Niger sans en demander trop au risque de voir l’entreprise s’en aller. Il ne faut donc pas se tromper. Le discours du dirigeant nigérien concernant la taxation des grands groupes miniers est avant tout à visées électoraliste. Quand bien même il le voudrait, et rien n’est moins sûr, c’est une position qu’il aurait du mal à tenir face aux grands groupes du secteur, et notamment face à Areva et à la France.

Une situation en faveur du groupe nucléaire
La question centrale, qui est de nature à modifier considérablement le rapport de force entre Areva et le Niger, est celle de savoir s’il existe des alternatives crédibles à Areva. C’est un point essentiel pour le Niger. Car de cette possibilité dépend, entre autres, son pouvoir de négociation. En effet, les retombées économiques liées à la présence d’un acteur comme Areva, c’est à dire d’un grand groupe industriel capable d’employer de nombreux personnels locaux et de drainer l’économie du pays, ne sont plus à démontrer.
Il apparaît que le groupe Areva est quasiment irremplaçable. La présence historique du groupe, ses nombreux investissements passés, l’attachement de la population locale au groupe, notamment due à la formation de cadres locaux, en font un groupe à part dans l’économie nigérienne.
La probabilité de voir un concurrent étranger prendre sa place est ainsi assez faible. L’exemple chinois est assez frappant. Au delà de la production à perte, au moins pendant quelques années jusqu’à la remontée des cours, et des lourds investissements initiaux dans des projets miniers, l’impossibilité de s’attacher le soutien de la population, accentuée par la réputation d’intolérance des chinois vis-à-vis des populations locales africaines rend très difficile et coûteuse toute velléité d’implantation et de conquête du marché local.
D’un autre côté, Areva a déjà consenti de lourds investissements dans le pays, que ce soit pour construire les usines de traitement de l’uranium ou des infrastructures d’intérêt collectif (routes, usines de traitement d’eau…) et n’est pas sur le point de s’arrêter.
Toutefois, il apparait que l’équilibre des forces en présence est plutôt en faveur d’Areva, qui pourrait décider de partir si les exigences du président nigérien devenaient indécentes. Ce dernier a ainsi beaucoup plus à perdre qu’Areva, qui dispose de mines pouvant satisfaire ses besoins dans d’autres pays.

L’habile manœuvre d’Issoufou qui oblige la France à prendre part aux négociations
Afin de tenter de faire pencher la balance en sa faveur, le président nigérien a investi la sphère politique du rapport de force.
Mahamadou Issoufou est en effet un ancien dirigeant de l’Internationale socialiste, et cela n’est certainement pas étranger à la nature des relations personnelles qu’il entretient avec le Président Hollande. Cette relation privilégiée entre les deux chefs d’Etat a certainement permis au Président Issoufou de faire valoir directement et au plus haut niveau son intérêt, qui se trouve être commun à celui de la France. En effet, la France a intérêt à conserver le Niger dans son giron, point d’entrée dans la région et soutien dans ses opérations militaires, le meilleur moyen d’y parvenir reste de maintenir le président Issoufou, et ses conseillers francophiles ou tout simplement français, au pouvoir.
Il y a donc fort à parier qu’un compromis a été trouvé sous la pression de la France, par ailleurs actionnaire majoritaire du groupe industriel - pour partie directement, et pour partie par l’intermédiaire du CEA. La manœuvre du président Issoufou, consistant à obliger la France à arbitrer entre d’une part ses besoins en matière de sécurité, satisfaits en partie par l’existence d’un allié fidèle dans la région, notamment dans sa lutte contre le terrorisme, et d’autre part l’optimisation de sa chaine d’approvisionnement en uranium, a été très habile.
Il semble ainsi avoir atteint ses objectifs puisque la France et Areva ont accepté de signer un nouvel accord, mettant fin au bras de fer.

Un accord qui satisfait presque tout le monde

Le Niger et Areva ont signé un accord en mai 2014 prévoyant d’une part de nouveaux investissements de la part d’Areva, à hauteur d’environ 300 millions d’euros, et d’autre part un aménagement des mesures fiscales souhaitées par le président Issoufou. Il est ainsi question d’augmenter à 12% la taxation sur le minerai extrait tout en exonérant de TVA les sociétés exploitant les mines.

Préservation des intérêts stratégiques de la France dans la région
L’accord satisfait la France qui maintient sa possibilité d’approvisionnement en minerai stratégique tout en conservant un allié fidèle dans la région. Il est même fort à parier que la coopération a pu être renforcée et que les conseillers français du président nigérien sont partis pour rester.

Un accord viable sur le plan économique pour Areva
Areva, qui a, au terme de cet accord de mai 2014, consenti de lourds investissements en terme d’infrastructures, peut sereinement envisager le maintien de ses droits miniers et la possibilité d’une exploitation de la mine d’Imouraren lorsque le contexte sera favorable.
L’entreprise a su tirer parti de sa position pour réduire l’impact de la renégociation des accords afin de ne pas trop en subir le contre-coup économique.

Un accord en forme de victoire pour le président Issoufou…
Le président Issoufou a réussi à obtenir la renégociation d’un accord permettant, en apparence, d’obtenir plus de dividendes de la part d’Areva. Sur le plan politique interne c’est donc sans aucun doute une manière pour lui d’affirmer son autorité et sa capacité à faire plier les grands groupes internationaux afin de favoriser la population nigérienne.
C’est également, sur le plan international, un acte fondateur qui lui permettra certainement de négocier avec d’autres acteurs, à des conditions peut être plus avantageuses. Tous savent désormais qu’il est en mesure, tout du moins en apparence, d’imposer sa volonté.

… au détriment du Niger
Le grand perdant de ces négociations est sans aucun doute le Niger. En effet, le nouvel accord prévoit une augmentation de l’imposition sur le minerai extrait et une baisse des impôts sur les structures et sociétés qui exploitent les mines. Lorsque l’on sait, et Areva ne s’en cache pas, que les mines ne sont quasiment plus en activité et que le projet d’Imouraren n’a toujours pas commencé, malgré le calendrier fixé par les accords de 2014, cela ressemble fort à un écran de fumée destiné à satisfaire des intérêts électoraux.
La réalité économique de l’accord et de ses bénéfices pour le Niger sont bien plus contestables. Enfin, rappelons que malgré les investissements consentis par le groupe nucléaire français, encore faudra-t-il les mettre en œuvre et entretenir les infrastructures. Les entreprises occidentales de BTP rechignant à mettre les pieds dans cette zone instable, la réalisation des ouvrages risque de reposer sur les entreprises locales qui ne semblent pas en mesure de réaliser ce genre de projets.
Il y a donc fort à parier que ces projets n’aboutissent jamais…
Il apparaît donc assez clairement que tant Mahamadou Issoufou qu’Areva, et la France, ont pour l’instant intérêt à préserver leurs bonnes relations économiques et politiques. Il me semble toutefois que le grand perdant est le Niger pour qui l’accord ne résout aucun vrai problème de développement économique et tend à renforcer considérablement la puissance du groupe Areva et l’influence de la France.

Edwin GOUTHIERE-BAZIRE